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Les ci-devant provinces de la Gascogne, du Languedoc, de la Bretagne, de l'Orléanois, de la Champagne, etc., en fournissent le témoignage irrécusable.

Les considérations que nous venons de présenter sur l'utilité des forêts et des arbres en général, nous conduisent à parler des hommages dont ils furent l'objet en différens temps et en différens lieux.

Tout entier aux besoins physiques, l'homme primitif ne dut s'occuper d'abord que de се qui pouvoit satisfaire ses besoins, et sur-tout la faim, le premier, le plus impérieux de tous. L'arbre qui donne le fruit a pu avoir été adoré, même avant le soleil, dont l'influence vivifiante le mûrit, mais dont le bienfait est moins immédiat et moins sensible. Les hommages rendus aux arbres furent donc l'effet de la reconnoissance des premiers hommes, qui durent à ces végétaux leurs alimens, leurs lits et leurs vêtemens.

La majesté silencieuse des forêts les avoit fait choisir comme les lieux les plus convenables pour honorer la divinité; elles furent les premiers temples où les peuples lui adressèrent leurs vœux et implorèrent sa protection (1). Presque toutes les nations anciennes eurent leurs bois sacrés, et il n'y avoit guère de temple qui ne fût accompagné d'un bois dédié au dieu qu'on y adoroit: telle fut la célèbre forêt de Dodone, consacrée à Jupiter, et dont les chênes rendoient des oracles. Du temps de Pline, cette ancienne coutume pieuse étoit encore imitée par les habitans des campagnes, qui consacroient à la divinité le plus bel arbre de chaque canton. « Nous-mêmes, dit cet auteur, nous ne respectons pas moins les bois sacrés » et le religieux silence qui y règne que les riches statues d'or et d'ivoire qui nous repré» sentent les dieux. » Ce respect, cette crainte religieuse, qu'inspirent les forêts, comme étant le séjour de la divinité, sont dépeints par Lucain, lorsqu'il représente les soldats de César n'osant, par scrupule, abattre la forêt de Marseille, ou lorsqu'il représente le druide lui-même craignant d'y rencontrer ses dieux.

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Les arbres étoient consacrés à des divinités particulières, comme le chêne à Jupiter, qui fut adoré sous le nom de Jupiter arbel (arbre), Jupiter forestier ; le laurier à Apollon; livier à Minerve; le myrte à Vénus; le peuplier à Hercule. C'étoit d'ailleurs une croyance accréditée, que, comme le ciel avoit ses divinités propres et spéciales, les bois avoient pareillement les leurs, qui étoient les Faunes, les Sylvains, les Dryades et les Hamadriades (1). La chasse avoit pour déesse l'austère Diane, qui, suivie d'une meute de chiens, ne sortoit point de l'enceinte des forêts.

Ces fictions religieuses, en attestant la vénération réelle des anciens pour les plus belles et les plus majestueuses productions de la nature, prouvent aussi l'importance qu'ils attachoient à leur conservation dans l'intérêt de la société. Nous avons vu les funestes résultats qui, dans la Grèce, ont suivi l'oubli de ces idées conservatrices auxquelles la religion prêtoit son appui.

Nos ancêtres avoient aussi établi leurs temples dans l'enceinte des forêts; c'est au milieu de la Germanie et des Gaules, au pied des chênes antiques, que les prêtres célébroient leur culte et présentoient leurs offrandes aux dieux qu'ils adoroient. Quoi de plus propre

(1) Hæc fuêre numinum templa. PLINE, liv. XII.

(2) PLINE, liv. XH.

en effet à pénétrer l'âme d'idées religieuses que l'ombrage d'une vieille forêt! C'est là qu'ému malgré lui-même, et saisi d'une terreur subite, l'homme croit entendre la voix du créateur dans le silence mystérieux de la nature.

Les Celtes, suivant Maxime de Tyr, choisissoient un chêne très-haut, qui devenoit pour eux l'image de la divinité suprême (1). Nous avons vu que Pline parle aussi du même usage, commun de son temps dans les campagnes.

Suivant un traité De idolatriâ, composé en 1517 par Léonard Rubenus, moine allemand, les Estoniens, qui habitent vers les confins de la Livonie, avoient encore, à cette époque, l'usage de consacrer à la divinité des arbres élevés, qu'ils décoroient de pièces d'étoffes suspendues à leurs branches. Pallas a retrouvé le même usage chez les Ostiaks (2).

M. Marquis, dans ses Recherches historiques sur le chêne, en rapportant ces faits, observe qu'il est impossible de n'y pas reconnoître un reste de la vénération des anciens Celtes pour les arbres ; mais, ajoute-t-il, le chêne paroît avoir eu le plus de part au respect religieux de ces peuples. Ils avoient sur-tout une vénération particulière pour les chênes sur lesquels ils trouvoient du gui,

Pline décrit, avec l'élégance de style qui caractérise ses ouvrages, la cérémonie qui avoit lieu chez les Gaulois au commencement de leur année, qui arrivoit au solstice d'hiver, lorsque les Druides, en même temps philosophes, prêtres et magistrats, accompagnés de tout le peuple, se rendoient solennellement dans une forêt pour cueillir le gui du chêne, infiniment plus rare que celui des autres arbres. Ils le regardoient comme un présent du ciel, et l'arbre qui le portoit comme un signe d'élection (3).

Lorsque les choses nécessaires pour le sacrifice et le festin étoient préparées sous le chêne, on y amenoit deux taureaux blancs qui n'avoient jamais été sous le joug. Le prêtre, vêtu d'une robe blanche et armé d'une serpe d'or, montoit sur l'arbre et coupoit le gui, que l'on recevoit dans une casaque blanche. Ensuite les druides immoloient les victimes et prioient Dieu de leur rendre utile et profitable le présent qu'il leur avoit fait. Ils croyoient que ce gui donnoit la fécondité à tous les animaux stériles, et que c'étoit un antidote contre toute sorte de poison (omnia sanantem): tant est grande, s'écrie le naturaliste romain, la superstition des peuples, qui leur fait respecter les choses les plus frivoles (4)!

Ces cérémonies ont été décrites aussi par Jacob Vanier, auteur du Prædium rusticum, dans un passage où le poëte disserte d'ailleurs d'une manière instructive sur l'origine du gui, et où il rapporte que les druides mêloient le sang humain à leurs sacrifices (5).

Les druides, dont l'histoire se rattache si particulièrement à celle de nos plus anciennes forêts, devoient sans doute la grande autorité qu'ils avoient acquise, à leur éloignement de la vie sociale. Ils faisoient leur demeure habituelle dans la profondeur des forêts, où ils

(1) Pierre VALER. Hieroglyph.

(2) PALLAS, tom. V, pag. 152.

(3) Signum electæ ab ipso Deo arboris. PLINE, liv. XVI, chap. 44.

(4) Tanta gentium in rebus frivolis plerùmque religio est. PLINE, liv. XVI, chap. 44.

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méditoient sur les décisions qu'ils avoient à rendre dans tout ce qui intéressoit la religion, les études et la justice. La peine de ceux qui ne leur obéissoient pas étoit une espèce d'excommunication, qui les excluoit des sacrifices et les faisoit passer pour des impies que tout le monde fuyoit.

« Le mot aiguillan, dit M. Marquis, que l'on emploie encore pour celui d'étrennes dans certaines provinces, rappelle le cri au gui l'an neuf, dont l'air retentissoit pendant la cérémonie gauloise, et qui est cité et traduit par Ovide, dans le vers suivant de son poëme des Fastes:

Ad viscum druide, druidæ clamare solebant.

» Sébastien Rouillard, dans sa Parthénie ou Histoire de Chartres, prétend très-sérieusement que les druides celtiques ne révéroient le chêne que comme emblême de la croix qui devoit un jour en être faite, et le gui, que comme l'image du Christ qui devoit y être attaché par la suite. Sébastien Rouillard prodigue toute l'érudition de son temps pour appuyer ces étranges rêveries, dont la piété, louable d'ailleurs, qui les inspire, ne peut certainement excuser la bizarrerie.

» Les chênes dont le feuillage épais formoit la voûte des temples avoient donné leur nom aux prêtres de cette nation. Pline (1) n'a pu s'empêcher de reconnoître dans le nom des druides le mot grec Apus, chêne, qui est visiblement le même que Déru, nom de cet arbre dans la langue des Celtes, et qui signifie encore aujourd'hui la même chose dans le langage breton, reste de l'ancien celtique (2). Telle est l'origine commune des noms de Dryades et d'Hamadryades, que les Grecs donnoient aux nymphes, dont leur brillante ima gination peuploit leurs forêts, et qu'elle faisoit vivre sous l'écorce des arbres, et de celui de Gruyer ou Druyer qu'on donnoit encore en France, il y a peu d'années, à certains préposés à la conservation des bois.

» Une ville de Thrace, une autre de l'OEnothrie, un bourg de Lycie, portoient anciennement le nom de Apus, sans doute à cause des forêts de chênes qui les environnoient (3).

» Ces mots, Apus et Deru, sont encore faciles à reconnoître dans le nom d'une des plus anciennes villes de France, Dreux (4), qui le doit sans doute aux mêmes circonstances locales, et dont la position s'accorde parfaitement avez l'expression in finibus Carmetum qu'emploie César (5), pour désigner le lieu où les druides s'assembloient annuellement, et d'où leur puissance et leur doctrine s'étendaient dans toutes les Gaules. C'étoit

(1) PLINE, ubi suprà.

(2) SAINT-FOIX.

(3) CALEPIN, Diction.

(4) Cette ville eut long-temps pour armes, ou plutôt pour devise, car ceci remonte à des temps plus réculés que les croisades, époque de l'invention des armoiries proprement dites, un chêne chargé de gui, avec ces mots : Au gui l'an neuf. En adoptant depuis les armes d'Agnès de Braine, femme de Robert Ier., comte de Dreux, fils du roi Louis-le-Gros, on les entoura de branches de chêne pour conserver le souvenir de ce premier symbole. Un village voisin porte encore le nom de Rouvres, à Roberibus. · (5) De Bell. Gall., liv. VI, chap. 13.

donc probablement dans quelque forêt voisine de cette ville, peut-être dans celle qui en porte encore le nom, que ces mages célèbres tenoient leurs assises; c'étoit sans doute aussi là qu'ils brûloient, en l'honneur de leurs terribles divinités, de malheureuses victimes dans des cages formées de branches d'arbres (1).

» Le bourg de Druyes, situé dans l'arrondissement d'Auxerre, département de l'Yonne, et sur les lisières de la forêt de Futoy, tire son origine du mot Druya ou Droya; l'on prétend que les druides tenoient aussi des assemblées dans ce pays, qui étoit anciennement couvert d'épaisses forêts,

» César dit que les druides tenoient leurs assemblées in loco consecrato, dans un lieu consacré. Sébastien Rouillard, que j'ai déjà cité, et qui me paroît, quoique sujet à rêver, avoir entièrement raison en ce cas, pense qu'on devoit lire in luco consecrato, dans un bois consacré. La vénération des Celtes pour les forêts appuie cette conjecture. Lucain (2) dit,

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Long-temps les assemblées générales de la nation française ne se tinrent, comme celles des druides, que sous la voûte du ciel ou celle des arbres. On les appeloit Champ de Mars ou de Mai.

» Dans les temps de simplicité, nos rois et les grands seigneurs jugeoient souvent euxmêmes les différens de leurs vassaux, et tenoient ordinairement leurs audiences sous les arbres qui décoroient la porte de leurs châteaux : c'est ce qu'on appeloit les plaids de la porte (3). Rendre ainsi la justice à tout venant, sous les chênes du bois de Vincennes, étoit le plus doux passe-temps de saint Louis. « Maintes fois ay veu, dit le sire de Joinville, que » le bon Saint, après qu'il avoit ouy la messe en esté, il se alloit esbattre au bois de Vin» cennes, et se séoit au pié d'un chesne et nous faisoit seoir tous emprès lui: et tous ceulx qui avoient à faire à lui, venoient à lui parler, sans ce que aucun huissier ne autre » leur donast empeschement et demandoit hautement de sa bouche, s'il y avoit nul qui eust partie (4). »

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Nous devions rappeler les hommages que les hommes ont rendus aux arbres et leur respect religieux pour les forêts, non comme des faits de pure curiosité et qui attesteroient seulement l'ignorance et la superstition des premiers peuples, mais comme des témoignages du prix qu'ils attachoient à ces présens de la nature, qui n'exigent aucun travail, et dont les ressources si utiles se renouvellent sans cesse.

Présentons maintenant quelques exemples de la destruction progressive des forêts, et

(1) CÉSAR, de Bell. Gall., liv. VI, chap. 13. On a trouvé dans la forêt de Dreux des débris d'anciens autels où les druides faisoient leurs sacrifices.

(2) Pharsale, liv. I,

(3) PASQUIER, Rech. de la Fr., L. n. c. 2 et 3.

(4) JOINVILLE, Histoire de saint Louis, pag. 12.

les résultats de cette destruction dans plusieurs parties du monde, et notamment en France.

Nous voyons les sociétés naissantes s'occuper d'abord du défrichement des bois; elles trouvent des ressources accumulées par les siècles, une terre propre à développer le germe de toutes les productions, des eaux abondantes, en un mot tous les élémens d'une prospérité prochaine. L'agriculture, la navigation, le commerce et les arts s'établissent successivement, et deviennent les instrumens de la grandeur des peuples. Cet état de choses s'accroît et se soutient tant que subsiste la corrélation qui doit exister entre les diverses productions du sol et l'ordre le plus utile à la constitution physique du pays. Mais si ces nations abusent des avantages que la nature leur a départis ; si elles dérangent l'harmonie qui s'est établie dans les élémens de leur prospérité ; si elles détruisent chez elles les principes de la fertilité par des défrichemens outrés, par la destruction des abris et des puissances qui maîtrisoient l'action des météores, dès-lors elles sont menacées d'une prompte stérilité, et par suite d'une décadence inévitable. La misère et l'abrutissement succèdent bientôt à l'éclat passager de ces nations. La Grèce et les autres pays que nous avons déjà cités en offrent de mémorables exemples.

Nous ne rechercherons pas toutes les forêts de l'antiquité que la cupidité ou la fureur des peuples a fait disparoître de la terre, ce travail seroit immense : il nous suffira d'en rappeler quelques-unes.

M. Rougier de la Bergerie, dans un ouvrage qu'il a publié en 1817, assigne comme cause principale de la destruction des forêts dans l'Asie mineure, la Phénicie, la Perso et la Grèce, les guerres qui, à différentes époques, ont ravagé ces pays.

Cléomène, roi de Lacédémone, du parti de Darius, pour mieux faire manœuvrer sa cavalerie, fit abattre tous les arbres et détruire tous les vergers qui entouroient Athènes. Xercès, Darius, Alexandre, dans leurs trop longues et fameuses luttes, exercées sur plusieurs millions de lieues carrées, et dans les pays les plus beaux et les plus riches du Monde, de l'aveu de tous leurs historiens, ont à l'envi fait abattre ou incendier, depuis le PontEuxin, les Pyles de Syrie et la Chaldée jusqu'à la mer Caspienne, la Gédrosie et la Bactriane, tous les arbres et massifs qui pouvoient, ou faire craindre des embûches, ou ralentir la marche du vainqueur.

Alexandre, voulant rentrer dans la Grèce avec une flotte triomphale, ordonna de couper, à des distances immenses, tous les plus beaux arbres qui couronnoient les monts et qui bordoient les fleuves.

- La Syrie, continue M. de la Bergerie, étoit déjà presqu'un désert au temps d'Alexandre; ear le règne des exterminations l'avoit précédé, et le héros n'a que la gloire d'en avoir consommé la ruine: ainsi, le mont Liban, l'orgueil de l'Orient, au pied duquel on pourroit dire que fut le berceau du genre humain, et où s'élevèrent Moïse, Jésus et Mahomet; le mont Liban devant lequel sont venus se mesurer les plus grands rois du Monde, Ninus, Alexandre, César et Titus; devant lequel sont apparues aussi et nos fatales croisades et nos phalanges républicaines; le mont Liban, qui donnoit la vie et la fécondité à l'Euphrate, à l'Oronte et au Jourdain, n'est plus que le roi des ruines et des déserts. Ses cèdres fameux

TOME I.

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