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rêt naturel et permanent est de fermer leurs ports aux marchandises fabriquées dans cette île, sous peine de voir leurs propres manu factures ruinées par une concurrence qu'elles ne peuvent soutenir. Il est tout aussi évident que l'Angleterre ne peut souffrir franchement le commerce maritime des autres puissances, parce que le peu d'éten due de son territoire n'étant point en rap port avec l'immensité de ses possessions coloniales, il faut qu'elle trouve chez ses voisins des débouchés pour l'écoulement des denrées qu'elle ne peut consommer chez elle. D'après ces motifs, une ligue des nations continentales contre la Graude-Bre tagne est donc la conséquence naturelle de l'existence de cette puissance; et Bonaparte, lors du traité de Tilsitt, a eu besoin de peu d'efforts pour en convaincre les souverains. de l'Europe. Mais pour que cette ligue eût pu s'exécuter de bonne foi, il eût fallu que la France, renfermée dans les limites que la nature semblait lui avoir données, eût formé avec les autres nations du continent une balance de pouvoir qui n'eût inspiré aucune crainte à ses voisins; il eût fallu que le caractère de celui qui la gouvernait eût offert une garantie suffisante à ses alliés; et alors une simple ligne de douaniers,

dont

établie sur les côtes de toutes les mers, eût
suffi
faire tomber la Grande-Bretagne
pour
au niveau des autres puissances de l'Europe:
Mais auprès de l'état de gêne que cette
nation est forcée d'entretenir parmi les
peuples du continent, veillait pour son
salut un sentiment bien plus pressant en-
core; c'était la crainte qu'inspirait Bona-
parte et son insatiable ambition. L'immense
étendue de sa domination lui donnait en
Europe une prépondérance qui mettait à
sa merci tous les trônes; déjà la Hollande
était réunie à son empire; il avait posé son
sceptre sur les provinces anséatiques, et
Dantzick allait devenir, pour son empire,
un boulevart qui menaçait la Prusse et l'Al-
lemagne. A l'aspect d'un tel accroissement,
l'Europe inquiète et tremblante jeta les yeux-
sur l'Angleterre. Elle seule pouvait contre-
balancer la puissance française; les ports
de la Baltique s'ouvrirent à ses vaisseaux,
et cette nation, qui mourait d'épuisement
au milieu de toutes ses richesses, recouvra
la vie et l'abondance..

Bonaparte conçut dès-lors que la Russie, dans son ambition approchait déjà les limites, était forcément engagée à favoriser l'Angleterre. Il résolut d'obtenir par la force la garde des côtes moscovites, et de déci

der, dans les plaines de Moskou, les destinées de la Grande-Bretagne.

C'est dans cette vue qu'il rassembla une nombreuse armée.

Une partie des troupes qui étaient en Espagne, l'armée d'Italie, le produit de plusieurs conscriptions levées et organisées à la hâte en France, toute l'élite de la confédération du Rhin, des Suisses, des Wurtembergeois, des Polonais, des Saxons, des Italiens, des Bavarois, des Westphaliens, des Prussiens, furent dirigés vers l'Oder. Ces forces, passées en revue près de Koenigsberg, s'élevaient à environ 400 mille hommes d'infanterie et à 60 mille hommes de cavalerie; l'artillerie se composait de 1200 pièces de canon. L'Autriche avait en outre fourni pour cette expédition un corps de 30 mille hommes, qui, sous les ordres du prince de Schwartzenberg, était destiné à agir séparément.

Toutes ces forces, sans compter les Autrichiens, étaient divisées en neuf grands corps le maréchal Ney commandait le

troisième.

Les derrières de l'armée étaient appuyés par des garnisons nombreuses dans les villes fortifiées de la Prusse, et par toute la population de la France, divisée en trois

bancs, dont le premier était organisé en cohortes.

Les forces de la Russie étaient divisées en deux armées; l'une commandée par le comte Bagration, l'autre par le général Barclay de Tolly. Le quartier-général de l'empereur Alexandre était depuis long-temps.

à Wilna.

Dans le conseil qui fut tenu par ce souverain pour arrêter le plan de défense de la Russie, des avis différens furent ouverts. L'empereur, qui avait le sentiment de sa puissance, était d'avis qu'on défendît vigoureusement les frontières, et qu'on disputât pied à pied le territoire de l'empire. Le comte Barclay de Tolly émit un avís contraire. Il connaissait le caractère fougueux des Français et l'active ambition de leur chef. Il ne doutait pas qu'il ne s'engageât inconsidérément dans les déserts de la Russie, où la disette et le climat causeraient la ruine de son armée, tandis que des troupes organisées dans la Wolhinie, par le général Marckoff, pourraient agir alors sur ses derrières , interrompre ses communications et lui couper toute retraite. Il opinait donc pour qu'on n'opposât aucune résistance à Bonaparte, et pour qu'on l'attirât, par une fuite simulée, le plus loin

qu'il serait possible. On assure même que ce général se jeta aux genoux de son maître pour le supplier d'adopter ce systême.

Il résulta de ces deux avis que l'empereur Alexandre prit entr'eux un terme moyen qui consistait à défendre les principales villes le plus long-tems qu'il serait possible, à y mettre le feu quand on serait forcé de les évacuer, et à ruiner tout le plat-pays à mesure qu'on l'abandonnerait. Ce plan était du reste celui qui conciliait le mieux les opinions opposées, parce que les grandes villes étaient en très-petit nombre sur la route que devait tenir l'ennemi, et que, le pays étant par lui-même extrêmement pauvre, on aurait peu de sacrifices à faire. Pour l'exécution de ce systême de défense, la noblesse, qui montra en cette occasion le plus grand patriotisme, donna ordre à tous ses vassaux, sur lesquels, comme on sait, elle exerce une puissance absolue, d'abandonner les villages à l'approche des Français, d'emmener avec eux tous leurs bestiaux, d'enterrer ou de détruire tout ce qu'ils ne pourraient emporter.

Bonaparte ayant fait jeter quatre pouts sur le Niémen, toutes les troupes passèrent ce fleuve du 20 au 30 juin. L'armée opposée, après avoir incendié tous ses ma

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