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n'ayant aucune liaison avec les nouveaux intérêts des citoyens, ne tend point à perpétuer parmi eux cette espèce de religion des souvenirs, qui donne tant de force aux sentimens nationaux. Dans ces contrées, tout est exclusif, tout est isolé. Cet isolement est encore plus complet quand la langue et la religion ne sont point celles de l'Etat.

Michel Ney s'éleva donc hors du cercle des idées françaises; l'honneur même, tel qu'il dut le concevoir, ne lui disait rien au-delà des devoirs de la vie privée. Jeune encore, il sentit les appels de la gloire; mais cette gloire n'était autre chose qu'un instinct belliqueux, qui ne se rapportait qu'à lui seul et ne se liait point aux intérêts de la patrie.

Dans ces pays, qui ont conservé presque tous les usages de l'Allemagne, avec laquelle ils entretiennent des communications fréquentes, les peuples ont encore cette rudesse germanique, dont l'extrême politesse de nos mœurs n'a point adouci l'empreinte; leur vie est active, leur joie est bruyante, leur musique a quelque chose de guerrier, et la force du corps prend chez eux d'autant plus de développemens, que leur éducation morale dépasse rarement, dans les petites villes,

les bornes d'une instruction primaire. Aussi cette contrée a-t-elle été connue de tous tems pour fournir d'excellens soldats.

Le jeune Ney se trouva donc naturellement porté dans la carrière des armes. A peine sorti de l'enfance il s'engagea dans le régiment de Colonel-Général, hussards.

Il n'est point hors de propos de faire observer ici quel était l'esprit de cette arme où il puisa, ses premières idées militaires.

Instituée à l'instar des hussards hongrois, elle était, avant la révolution, presqu'entièrement composée de soldats des provinces conquises: la discipline, l'uniforme, les mœurs, la manière de combattre, tout était allemand dans ce corps; les commandemens s'y faisaient en allemand. Le hussard était audacieux, téméraire même dans l'attaque, infatigable dans la marche, assez peu docile en tems de paix, insoumis jusqu'à la licence en tems de guerre le pillage signalait trop souvent ses pas et déshonorait sa victoire.

Si dans un tel corps Ney n'apprit pas à aimer la France, il apprit du moins à faire la guerre. Doué d'une prodigieuse activité, habile dans tous les exercices militaires, son ardeur trouva des occasions fréquentes de se

signaler. Il passa rapidement par tous les grades subalternes. Brigadier, maréchal-deslogis, adjudant-sous-officier en 1792, il fut nommé lieutenant en 1793 et capitaine en 1794. En cette année il fut connu du général Kléber, qui ne tarda pas à démêler le genre de mérite qui lui était particulier. Ce général l'attacha à son état-major, et lui fit conférer le grade d'adjudant-général chef d'escadron. A cette époque on faisait beaucoup d'usage, à la guerre, des des corps de partisans. Ces corps étaient composés de soldats de toutes les armes, qui poussaient au plus haut degré ce courage sans retenue, cette témérité sans réflexion, résultat d'une espèce de délire continuel, qui, en dérobant aux regards de l'homme la connaissance de tous les dangers, éteint trop Souvent dans son cœur le sentiment de tous les devoirs. Ces guerriers, assez peu. estimés dans l'armée, quoiqu'ils opérassent des prodiges, ne recevaient point de solde, s'équipaient, se montaient et s'entretenaient à leurs frais; c'est-à-dire que le gouvernement autorisait tacitement leurs excès et leurs brigandages. C'est à la tête d'un de ces corps que Ney fut employé par le général Kléber au service actif de l'armée, et

qu'on lui confia les missions les plus périlleuses. Fallait-il porter des ordres importans, traverser les lignes de l'armée ennemie, enlever des convois sur ses derrières, pousser des reconnaissanees jusque dans ses cantonnemens, c'était Ney qui était chargé de ces expéditions; il les concevait avee intelligence, les exécutait avec audace, et y déployait une adresse qui descendait quelquefois jusqu'à la ruse, mais qui n'était point au-dessous du genre de service qu'il avait embrassé.

Dans les intervalles que lui laissaient ses occupations militaires, il travaillait avec ardeur à réparer l'insuffisance de sa première éducation. Il réussit presque seul à se famihariser avec les règles de la langue française, si difficiles pour un étranger, et il parvint à écrire cette langue avec une correction remarquable.

En 1796 il passa à l'armée de Sambre-etMeuse, dans la division du général Colaud; là, il donna des preuves multipliées de sa valeur. Les journées d'Altenkirchen, de Dierdorf, de Montabaur et de Bendorf accrurent sa réputation d'intrépidité. Le 24 juillet, n'ayant avec lui que cent hommesde cavalerie, il trouva le moyen d'en im

poser à deux mille soldats ennemis, qu'il décida à se rendre prisonniers de guerre et à lui abandonner Wurtzbourg, où était une quantité immense de munitions.

Deux jours après, dans un combat de cavalerie qui eut lieu auprès de Zell, avec un escadron de 400 hommes, il mit en déroute le détachement ennemi, plus fort du double.

Le 8 août, ayant passé la Rednitz sous le feu de 14 pièces de canon, et culbuté l'ennemi jusque dans Forsheim, il livra sous les murs de cette ville un combat mémorable qui la mit en son pouvoir, ainsi que les approvisionnemens qu'elle renfermait, et 70 pièces d'artillerie.

Ce fut à la suite de cette affaire qu'il fut promu au grade de général de brigade sur le champ de bataille. *

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Au commencement d'avril 1797, commandant la cavalerie française à la bataille de Neuwied, il enfonça les Autrichiens, et contribua puissamment au succès de

* Dans le cours de ces guerres, il fit prisonniers nombre d'émigrés, et parvint fort adroitement à éluder l'ordre de les faire fusiller. Ce mélange de bravoure et de générosité étonna le représentant du peuple en mission, qui dit au général Kléber: « Votre ami Ney s'est conduit en homme d'honneur pendant le combat et après la victoire; il sait répandre et épar «gner à propos le sang français. »

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