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moyens qu'on se dispose à faire valoir; mais nous avions cru, je l'avoue, que la réflexion y ferait renoncer. Nous attendions, pour y répondre, qu'on développât la défense de l'accusé; mais puisqu'on s'écarte si notoirement de la controverse, puisqu'on oublie même l'arrêt que la cour a rendu pour fermer la discussion sur la question préjudicielle, je déclare que les commissaires du Roi s'opposent formellement à ce que les défenseurs de l'accusé s'écartent plus long-tems du point de fait qu'ils sont appelés à discuter.

« M. Bellart a lu un réquisitoire conforme, qu'il a déposé sur le bureau.

« M. le président : En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m'est attribué, j'aurais pu m'opposer à ce que les défenseurs développassent les moyens étrangers qu'ils voudraient invoquer; cependant j'ai consulté la chambre sur ce point, et, à une grande majorité, elle s'est rangée de mon opinion. J'interdis aux défenseurs de raisonner d'un traité auquel le Roi n'a eu aucune participation; d'un traité qui est plus qu'étranger à S. M., puisque 21 jours plus tard, et en présence même des souverains alliés, elle a rendu son ordonnance du 24 juillet. Je défends donc aux défenseurs de faire

usage des moyens qui n'ont aucun rapport avec le fait de l'accusation.

« M. Dupin: Nous avons trop de respect pour les décisions de la cour, pour nous permettre aucune réflexion sur l'arrêt qu'elle vient de rendre. L'observation que je veux faire maintenant ne se rapporte qu'au dernier traité, celui du 20 novembre, qu'il est assurément permis d'invoquer. En vertu de ce traité, Sarre-Louis ne fait plus partie de la France, et nous avons vu que les individus nés dans un pays cédé à un autre avaient besoin de lettres de naturalisation pour conserver les droits attachés à leur état primitif. M. le maréchal Ney est né à Sarre-Louis; il n'est pas seulement sous la protection des lois françaises, il est sous la protection du droit général des gens. Il est toujours Français de cœur; mais enfin il est né dans un pays qui n'est plus soumis au Roi de France; il est dans les termes de l'article 16 du traité du 30 mai; j'ai cru devoir faire cette observation dans l'intérêt de M. le maréchal....

<< Le maréchal a vivement interrompu son défenseur, et dit avec attendrissement : <«<Oui, je suis Français ; je mourrai Français! « Jusqu'ici ma défense a paru libre ; je m'aperçois qu'on l'entrave à l'instant. Je

<< remercie mes défenseurs de ce qu'ils ont « fait et de ce qu'ils sont prêts à faire; mais je les prie de cesser plutôt de me « défendre tout-à-fait, que de me défendre imparfaitement. J'aime mieux n'être pas « du tout défendu, que de n'avoir qu'un « simulacre de défense.

« Je suis accusé contre la foi des traités; «<et on ne veut pas que je les invoque ! « Je fais comme Moreau : j'en appelle à << l'Europe et à la postérité!» *

« M. Bellart. Il est temps de mettre un terme à ce système de longanimité qu'on a constamment adopté. On a fait valoir des maximes bien peu françaises. On a poussé jusqu'à la licence la liberté de la défense. Doit-il être permis à un accusé d'intercaler dans sa défense des matières qui y sont absolument étrangères? Les défenseurs ont eu plus de tems même qu'ils n'en avaient demandé. A quoi bon les dérogations du fait capital auxquelles ils se livrent? Ce ne porter aucune atteinte à la défense, que de vouloir la faire circonscrire dans

* Cette protestation, lue par le maréchal, avait été concertée entre lui et ses avocats. Mais elle était son ouvrage; il l'avait conçue, rédigée, écrite de sa main, et n'avait pas voula permettre qu'on y fit aucun changement.

les faits de l'acte d'accusation. Les commissaires du Roi, quelles que soient les résolutions de M. le maréchal, persistent dans leur réquisitoire.

« Le président Défenseurs, continuez la défense en vous renfermant dans les faits. M. le maréchal: Je défends à mes avocats de parler, à moins qu'on ne leur permette de me défendre librement.

« M. Bellart Puisque M. le maréchal veut clorre les débats, nous ne ferons plus, de notre côté, de nouvelles observations. Nous ne répondrons même pas à ce qu'on s'est permis de dire contre quelques témoins et nous terminerons par notre réquisitoire. >>

Ici, M. le procureur-général donna lecture de son réquisitoire, dans lequel il demanda, au nom des commissaires du Roi, que la chambre appliquât au maréchal Ney les articles du Code pénal relatifs aux indívidus convaincus du crime de haute trahison et d'attentat à la sûreté de l'Etat. « Le président : Accusé, avez-vous quelobservations à faire sur l'application

ques

de la peine?

« Le maréchal Rien du tout, monseigneur.

« Le président : Faites retirer l'accusé les témoins et l'audience. » *

Sur cet ordre, tout le monde se retira, et la cour demeura dans la salle pour dé

libérer.

Il était alors cinq heures du soir. La chambre resta en délibération jusqu'à onze heures et demie. A l'ouverture de la séance, le chancelier ordonna d'appeler les avocats du maréchal; ils étaient absens : l'accusé n'avait point été amené. M. le chancelier prononça l'arrêt suivant :

« Vu par la chambre l'acte d'accusation dressé le 16 novembre dernier par MM. les commissaires du Roi, nommés par ordonnances de S. M. des 11 et 12 dudit mois, contre Michel Ney, maréchal de France, duc d'Elchingen, prince de la Moskowa, ex-pair de France, né à Sarre-Louis, département de la Moselle, âgé de quarantesix ans, taille d'un mètre soixante-treize centimètres, cheveux châtains-clairs, front

Lorsque le maréchal se retira, il fut suivi par ses deux avocats. Arrivé dans sa chambre, il les remercia très-affectueusement des soins qu'ils avaient pris : « Que voulez-vous, leur » dit-il? il n'y a rien de votre faute; j'ai fait ce que je de» vais faire. Nous nous reverrons là haut ». L'émotion de MM. Berryer et Dupin était extrême. Le maréchal les embrassa et leur offrit des consolations.

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