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déclaré, au nom de la Légion-d'Honneur: qu'il avait cessé d'en être membre.

« Le présent arrêt sera imprimé et affiché, à la diligence de MM. les commissaires du Roi.

<< Fait et prononcé en chambre des pairs, à Paris, le 6 décembre 1815, en séance publique. »> *

L'arrêt et l'expédition qui en fut faite furent signés immédiatement par chacun des pairs.

La délibération qui fut publiée par les journaux a donné le résultat suivant : sur 161 pairs présens à la discussion, 128 ont voté pour l'application de la peine capitale,

* On aime communément à faire des rapprochemens entre des événemens de même nature, séparés par une longue suite d'années. Les réflexions que ces comparaisons font naître aident à calculer la marche de l'esprit humain et à apprécier les progrès des institutions sociales. Sous ce point de vue, nous avons pensé que le lecteur, après avoir parcouru les diverses périodes d'un procès fait dans le 19e siècle à un maréchal de France devant une cour des pairs, verrait avec intérêt un procès semblable jugé dans le 16e siècle. Cette considération nous a déterminés à placer à la fin de cet ouvrage une relation du procès fait au maréchal de Biron, prise dans une chronique du tems, écrite le lendemain de l'événement et par des témoins oculaires. On verra par ce précis quels avantages l'accroissement des lumières et le régime constitutionnel ont assurés à la France.

Nous avons cru devoir respecter jusqu'à l'orthographe de notre auteur, dont le style, un peu gothique, est loin d'ê tre dénué de charmes.

pour

17 pour la déportation; I voix avaient été déduites avis semblables entre parens; les 5 autres membres ont opiné pour que le coupable fût remis à la clémence du Roi.

Ce fut M. le chevalier Cauchy, secrétairearchiviste de la chambre, qui reçut la triste mission de lire au condamné l'arrêt qui venait d'être prononcé. * On fut obligé de réveiller le maréchal, qui s'était profondément endormi. Lorsqu'on en vint à la lecture de ses titres, il interrompit : « Dites « Michel Ney, et bientôt un peu de pous« sière. » Il continua d'entendre la suite de l'arrêt sans donner la plus légère marque d'émotion.

Quelques heures avant il avait dîné paisiblement. Ayant cru s'apercevoir que les gardes dont il était environné remarquaient avec une sorte d'inquiétude un petit couteau qu'il tenait à la main : « Avez-vous « peur, dit-il, que je me détruise? je ne « suis point capable de cette lâcheté. Je sau<< rai attendre et recevoir la mort. »

⭑ La pièce dans laquelle le maréchal Ney a été détenu au palais du Luxembourg, est à l'étage supérieur d'un des pavillous; elle reçoit le jour du haut. Cette disposiiton paraissait contrarier vivement le maréchal. D'ailleurs, cette cham

bre était bien meublée, et le prisonnier était traité et servi avec beaucoup de soins et d'égards.

Lorsque son arrêt lui eut été prononcé, M. Cauchy lui annonça qu'il était le maître de faire, s'il le désirait, ses adieux à sa femme et à ses enfans: « J'y consens, dit « le maréchal, et je vous prie de leur écrire qu'ils peuvent venir me voir entre six et « sept heures du matin; mais j'espère que << votre lettre n'annoncera point à la maré«< chale que son mari est condamné : c'est à moi à lui apprendre mon sort. »>

«

M. Cauchy s'étant retiré, le maréchal se jeta tout habillé sur son lit, et ne tarda pas à s'endormir de nouveau. A cinq heures Mme la maréchale arriva seule. Le premier moment de cette entrevue fut extrêmement touchant. Quoique Mme la maréchale ne sût pas encore que l'instant qui devait lui enlever à jamais son époux ne fût éloigné d'elle que de quelques heures, elle n'ignorait point que son sort était fixé, et le peu d'espérance qui lui restait ne pouvait la soutenir dans une telle infortune. A peine fut-elle entrée dans l'appartement que ses forces l'abandonnèrent et qu'elle tomba sur le parquet.

Le maréchal, qui conservait dans ce cruel moment une grande fermeté d'amé, aida à relever son épouse, et fit tous ses efforts pour lui inspirer lui inspirer un peu de tranquil

lité en lui donnant à entendre que l'exécution de son arrêt était différée; que ce n'étaient point des adieux qu'il avait voulu recevoir d'elle, et que le soir il espérait passer encore quelques instans au milieu de sa famille. Cet entretien se prolongea jusqu'à l'arrivée de ses enfans, qui entrèrent conduits par Mme Gamot, leur tante. *

Alors se renouvela avec plus d'éclat la scène attendrissante qui venait d'avoir lieu. Mme Gamot se jeta aux pieds du maréchal, et, donnant un libre cours à ses sentimens expansifs, elle déploya dans ses expressions tout le faste de la douleur.

Les enfans seuls ne pleuraient point : tristes et silencieux, ils écoutaient avec recueillement les dernières paroles et les derniers conseils de leur père. Le maréchal leur parla long-tems à voix basse : tout-àcoup il se leva, embrassa sa famille et lui ordonna de se retirer. Sans doute il craignait qu'en prolongeant cette pénible entrevue, sa fermeté ne pût pas tenir contre les sentimens déchirans qui assiégeaient son

ame.

Resté seul, il se promena long-tems dans

Le maréchal avait quatre enfans, tous garçons, dont l'aîné est âgé de douze ans.

sa chambre. Un de ses gardes, grenadier de la Roche-Jaquelin, lui dit : « M. le ma<< réchal, au point où vous en êtes, vous «< devriez penser à Dieu. Je ne me suis jamais a montré à un grand péril sans qu'auparavant je n'aie eu cette idée. »

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Le maréchal s'arrêta « Croyez-vous, lui dit-il, que j'aie besoin de quelqu'un pour apprendre à mourir? » et après un moment de silence il ajouta : « Vous avez rai« son, mon camarade, il faut mourir en << honnête homme et en chrétien; je de<< mande qu'on appelle M. le curé de Saint<< Sulpice.

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On alla avertir cet ecclésiastique qui vint sur-le-champ. Il resta enfermé fort longtems avec le maréchal; et lorsqu'il se retira, il lui promit de revenir le voir et de l'assister à ses derniers momens.

Il tint parole: à huit heures il était de

retour.

Nous revenons aux préparatifs qu'on avait faits pour l'exécution de l'arrêt rendu contre le maréchal.

Dès trois heures du matin sa garde avait été remise à M. le maréchal-de-camp comte de Rochechouart, commandant de la place de Paris, chargé par le lieutenant-général Despinois, d'après les ordres de MM. les

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