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phalange immortelle que l'empereur Napoléon conduit à Paris, et qui y sera sous peu de jours; et là notre espérance et notre bonheur seront à jamais réalisés. Vive l'empereur!

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Lons-le-Saulnier, le 13 mars 1815.

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« Le maréchal d'empire,

Signé prince DE LA MOSKOWA. »

On peut juger de l'effet que dûrent produire sur la masse des soldats cette conduite et ces ordres d'un chef révéré.

La surprise d'ailleurs eût pu opérer les mauvais effets qu'il est hors de doute qu'on avait déjà préparés par d'autres moyens. Ces moyens, toutefois, avaient si peu obtenu un plein succès, et les troupes auraient été si faciles à maintenir dans un devoir, qu'en effet le cœur des Français n'est pas fait pour trahir quand la perfidie ne cherche pas à les égarer; qu'au dire d'un témoin entendu dans la procédure d'un conseil de guerre (le chef d'escadron Beauregard), tandis que les soldats qui étaient plus près de leur général, entraînés par les séduetions de l'obéissance, répétaient le cri de rébellion qu'il avait jeté, vive l'empereur! les soldats plus éloignés, fidèles au mouvement de leur cœur et à l'honneur français, et qui étaient loin de supposer l'exécrable action du maréchal Ney, criaient vive le roi !

L'égarément même, dans ces premiers momens, fut si loin d'être universel, que, selon

le même témoin, beaucoup d'officiers et de sol dats sortirent des rangs.

Pendant que la consternation, selon que l'ont attesté aussi trois autres témoins, les comtes de Bourmont, de la Genetière et de Grigel, était dans l'ame des généraux et d'un grand nombre 'd'officiers et soldats, on s'empressa, pour achever l'erreur des troupes, de leur offrir l'appât le plus séduisant pour les hommes privés d'éducation, celui de la licence, du pillage et de l'ivresse. Sous prétexte de détruire les signes de la royauté, dont le maréchal Ney venait de proclamer l'anéantissement, on leur permit de se répandre dans la ville, et de s'y livrer aux excès qui devaient achever de perdre leur raison et de les fixer dans leurs torts, par la mauvaise honte d'en revenir après s'y être trop enfoncés.

Cette mauvaise honte, malgré l'influence d'un tel chef, ne retint pas pourtant quelques ames élevées et quelques cœurs droits; tant il est permis de croire que, si le maréchal eût été fidèle lui-même, une armée, dans laquelle tout le pouvoir de son exemple trouvait pourtant de si grandes résistances, fût elle-même, sans ses perfides provocations, devenue, par son dévouement au Roi, l'honneur de la France; en sorte que toute la honte de sa conduite retombe véritablement sur le chef parjure qui fourvoyait la raison et la loyauté instinctive de ses soldats. Un grand nombre d'officiers, stupéfaits de

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n'avoir plus de chef, se retirèrent, comme le lieutenant-général Delort, le général Jarry, le colonel Dubalen, etc. MM. de Bourmont et de la Genetière se séparèrent avec une sorte de désespoir d'un général qui ne jouait plus, auprès de ses subordonnés, que le rôle d'un corrupteur; le comte de la Genetière lui écrivit même avec amertume la lettre suivante, qu'il faut recueillir comme une circonstance propre à di minuer l'espèce de flétrissure imprimée sur les troupes par une défection dont il est facile de juger que la surprise ne fut pas une des causes des moins agissantes.

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Ne sachant pas transiger avec l'honneur, « et ne me croyant pas dégagé des promesses solennelles que j'ai faites au Roi, entre les «mains de S. A. R. MONSIEUR, lorsqu'il me re* çut chevalier de Saint-Louis; ne pouvant, d'après mes principes, continuer plus longtems des fonctions préjudiciables à l'intérêt de mon prince, je quitte l'état-major et me rends à Besançon. J'ai eu long-tems l'honneur de servir sous vous ordres, monsieur le maréchal; aujourd'hui je n'ai qu'un regret, c'est celui de les avoir exécutés pendant vingt-quaa tre heures. Mon existence pût-elle être compromise, je la sacrifie à mon devoir. » Voilà le cri de l'honneur français !

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Voilà la conduite qui console, et des erreurs d'autres officiers, ou mème des erreurs commises par ceux-là mêmes qui savent les réparer si noblement et si vite!

Voilà aussi les sentimens qui révèlent les intentions qu'au milieu de nos aberrations politiques conservèrent les braves dont le courage ne vit que la patrie dans les guerres où ils furent engagés, et dont la gloire en effet, lorsqu'elle fut accompagnée d'une telle droiture, dut être adoptée par le monarque, quoiqu'elle ne fût pas toujours acquise en défendant

sa cause!

Sur-le-champ M. de la Genetière passa sous les ordres de M. Gaëtan de la Rochefoucauld, dont il suffit de prononcer le nom pour réveiller le souvenir de son dévouement.

D'autres officiers sortirent aussi sous les ordres du maréchal. MM. de Bourmont et Lecourbe revinrent à Paris.

Le baron Clouet, son propre aide-de-camp, lui demanda de le quitter, et le quitta en effet.

Leçons bien amères données au chef par ses inférieurs, et dont il eût dû profiter pour réparer ses fautes par un prompt retour aux conseils de l'honneur !

C'est ce que ne fit pas le maréchal Ney! Il s'enfonça de plus en plus dans la trahison.

Le jour même où il lut sa proclamation à ses troupes, il donna l'ordre écrit de faire marcher toutes celles qui se trouvèrent sous ses ordres, pour les réunir à celles de Bonaparte

La nuit qui suivit il envoya M. Passinges baron de Préchamp, à Bonaparte, pour lui ap prendre ce qu'il avait fait.

Le jour d'après, pour achever de séduire M. de la Genetière, il lui montra la lettre de Bertrand, qui lui disait contenir l'assurance que tout était convenu avec le cabinet de

Vienne.

Le même jour il fit imprimer et mettre à l'ordre de l'armée la proclamation qu'il avait lue la veille, pour que le poison pût s'en propager avec plus de facilité, et qu'il arrivât jusqu'à ceux qui avaient été assez heureux pour ne pas en entendre la lecture.

Dès le 14 le maréchal avait voulu séduire le marquis de Vaulchier, préfet du Jura, et l'engager à gouverner pour Bonaparte. Sur l'horreur que ce magistrat fidèle lui manisfesta, il lui dit même que cette horreur était une bêtise. Dans la nuit du 14 au 15 il lui en donna l'ordre écrit, que ce préfet montra même à M. de Grivel,

Les jours suivans il s'occupa d'insurger tous les pays où il passait, et d'y faire imprimer sa proclamation: il y en eut une édition à Dole.

Le 19 mars il décerna un ordre d'arrestation contre ceux des officiers généraux et magistrats dont la résistance avait été la plus marquante, et à qui il ne pardonnait pas, soit de l'avoir abandonné, soit d'avoir résisté à ses ordres; savoir :

MM. de Bourmont, Lecourbe, Delort, Jarry, la Genetière, Durand, Dubalen, son propre

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