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au service du Roi. Il m'apprit les mauvaises nouvelles de la journée; que le général Gauthier avait été menacé par ses troupes. Il m'invita à retourner sur mes pas, en me disant que tout était perdu. Je jugeai cependant à propos de continuer ma route, et j'arrivai à Mâcon. J'étais à souper à l'auberge lorsque deux gendarmes et un commissaire de police vinrent me demander mon passe-port; je le leur montrai et ils s'en allèrent. Un instant après un des gendarmes rentra et me dit: Monsieur, allez-vousen, si vous ne voulez pas être arrêté. Pour le remercier, je donnai au gendarme deux pièces de 20 francs.

Je sortis de l'auberge et marchai quelques heures à pied. Je pris ensuite un cheval de poste et me dirigeai sur Lons-le-Saulnier. Je rencontrai, le long de ma route, des troupes qui passaient à Bonaparte en criant vive l'empereur! J'arrivai le soir à Lons-le-Saulnier, et j'appris ce qui s'était passé dans la journée, et la proclamation de M. le maréchal.

M. le président au maréchal Quelle était votre intention en envoyant ainsi le témoin examiner les forces de Bonaparte? Vous espériez donc vous défendre ?

Le maréchal : Oui, monseigneur. Le 13 j'envoyai épier la marche de Bonaparte.

M. le président : Avez-vous quelques observations à faire au témoin ?

Le maréchal: Non, monseigneur.

Le cinquième témoin, Charles-Louis-Catherine-Emmanuel, comte de Villars-Faverney, âgé de quarante-cinq ans, inspecteur des gardes nationales, colonel de la garde à cheval du département du Jura, chevalier de Saint-Louis, domicilié à Monnet-le-Château, département

du Jura, après les interpellations préalables, a déposé :

Les 11 et 12 mars, je m'assurai des bonnes dispositions des gardes que je commandais. Je me rendis le 13 chez M. de Bourmont pour prendre ses ordres. Il refusa de m'en donner et me renvoya au maréchal. J'y allai, et je lui dis que mes troupes étaient prêtes à marcher. Il me répondit de ne pas les diriger sur Lonsle-Saulnier, qui n'était pas une position où il voulut se battre. Je demandai à M. le maréchal ce qu'il voulait que je fisse. Il m'engagea à laisser les gardes nationales dans les villes pour le maintien de la tranquillité publique.

« Le 15 j'étais à Poligny; les généraux Lecourbe et de Bourmont y passèrent; ils ne purent avoir de chevaux. Je les engageai à venir, en attendant, chez M. Legagneur, dont le dévouement au Roi était connu. Le général Lecourbe nous dit que c'était fini; que tout était arrangé depuis trois mois; que cela avait été pour Bonaparte un jeu d'enfant. Ce sont les propres expressions du général Lecourbe. »

Le maréchal : le témoin avait sans doute les meilleures dispositions; mais je ne crois pas qu'il eût pu rassembler trois hommes. Ce que j'ai dit au général Lecourbe m'avait été suggéré par Bertrand; mais je n'en avais pas moins pris toutes les mesures nécessaires. J'ai invité les gardes d'honneur à marcher, et personne n'est venu; j'ai dit, il est vrai, que je ne voulais que des hommes francs et qui iraient en avant. Le président au témoin Pouviez-vous réunir un certain nombre de gardes d'honneur ? Le témoin: Oui, j'aurais eu des hommes trèsdévoués, notamment 109 hommes à cheval, des gardes d'honneur, et autres de bonne volonté. M. Berryer Je prie monseigneur de deman

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der au témoin ce qu'il a entendu dire au général Lecourbe sur l'état des choses, sur les dispositions des troupes.

M. le président a adressé la question au té

moin.

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Le témoin Le général Lecourbe dit que le maréchal Ney parlerait à l'empereur pour les généraux; mais que s'il voulait continuer à les tourmenter, et à régner en tyran, on trouverait bien le moyen de s'en défaire. Le général Lecourbe ajouta que nous ressemblions à l'empire romain dans sa décadence; et que, si l'empereur venait à être tué, il se présenterait cinq à six généraux qui éleveraient des prétentions au trône.

:

M. Bellart Le général Lecourbe a-t-il parlé au témoin des dispositions faites par le maréchal pour arrêter Bonaparte ?

Le témoin Le général m'a dit : Que voulezvous faire quand les troupes ne veulent pas se battre? Mais si j'avais commandé il en aurait été autrement. On fait du soldat tout ce qu'on

vent.

Le maréchal Le général Lecourbe n'a pu tenir un discours aussi peu véridique. Les troupes étaient en marche d'après les ordres du ministre de la guerre, et sous la conduite de M. de Bourmont. Ce n'était donc pas un jeu d'enfant de les diviser pour les faire marcher en échelons. J'ai demandé qu'on fit venir cent mille cartouches en poste. Après cela, depuis huit mois, on peut avoir arrangé les dépositions pour dire que j'avais manigancé des ordres à l'effet d'éparpiller les troupes et les désor ganiser.

M. Bellart: M. le Gagneur était-il présent à la conversation que vous avez eue avec les généraux Lecourbe et Bourmont ?

Le témoin: En partie. Il est sorti pour faire apporter à manger au général Lecourbe, qui avait dit qu'il mourait de faim.

Sixième témoin. M. le comte de Bourmont, lieutenant-général des armées du Roi, a déposé, après les interpellations d'usage, ainsi qu'il suit :

« J'ai déjà fait à Lille une déclaration; mais la commisération qui s'attache toujours aux grandes infortunes m'a porté à répondre simplement aux questions de la commission rogatoire. J'ai su depuis que le maréchal avait affirmé que j'avais approuvé la proclamation qu'il a lue aux troupes. Cette assertion m'oblige à des explications. Si elles ajoutent à la gravité du crime dont il est accusé, ce sera sa faute.

Jusqu'au 14 mars les ordres donnés par le maréchal Ney, et transmis par moi, ont été ou m'ont paru conformes aux intérêts du Roi. Le 13 au matin le baron Capelle, préfet du département de l'Ain, arriva à Lons-le-Saulnier de bonne heure, et vint m'apprendre que la ville de Bourg était insurgée; que le 72o régiment avait arboré la cocarde tricolore malgré le général, malgré les officiers supérieurs. Je pensai que cette nouvelle devait être communiquée à M. le maréchal, et j'allai chez lui pour la lui annoncer. Le maréchal en parut assez fâché, ne me dit que peu de choses; qu'il pensait qu'on pouvait préserver les autres troupes de la contagion.

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14 au matin le maréchal m'ordonna de faire mettre le 8e régiment de chasseurs à cheval en bataille, et de faire prendre les armes aux autres troupes, pour leur parler. Ensuite le maréchal me dit : Vous avez lu les procla mations de l'empereur; elles sont bien faites, ces mots la victoire marche au pas de charge

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feront un grand effet, sans doute, sur le soldat: il faut bien se garder de les laisser lire aux troupes.Sans doute, lui dis-je. Mais ça va mal, ajoutat-il. N'avez-vous pas été surpris de vous voir ôter la moitié du commandement de votre division, et de recevoir l'ordre de faire marcher vos troupes par deux bataillons et trois escadrons ? C'est de même dans toute la France; toute l'armée marche comme cela. C'est une chose finie absolument.

« Je ne l'avais pas compris. Le général Lecourbé entra. Je lui disais que tout était fini, dit-il au général Lecourbe. Celui-ci parut étonné. Oui, ajouta le maréchal, c'est une affaire arrangée; il y a trois mois que nous sommes tous d'accord. Si vous aviez été à Paris, vous l'auriez su comme moi. Les troupes sont divisées par deux bataillons et trois escadrons; les troupes de l'Alsace de même; les troupes de la Lorraine de même. Le Roi doit avoir quitté Paris, ou il sera enlevé; mais on ne lui fera pas de mal; malheur à qui ferait du mal au Roi! On n'avait l'intention que de le détrôner, de l'embarquer sur un vaisseau et de le faire conduire en Angleterre. Nous n'avons plus maintenant, continua le maréchal, qu'à rejoindre l'empereur. Je dis au maréchal qu'il était très extraordinaire qu'il proposât d'aller rejoindre celui contre lequel il devait combattre. Il me répondit qu'il m'engageait à le faire, mais que j'étais libre. Le général Lecourbe lui répondit: Je suis ici pour servir le Roi et non pas pour servir Bonaparte; jamais il ne m'a fait que du mal, et le Roi ne m'a fait que du bien. Je veux servir le Roi ; j'ai de l'honneur. Et moi aussi, répondit le maréchal, j'ai de l'honneur; mais je ne veux plus être humilié; je ne veux plus que ma femme revienne chez moi les larmes aux yeux, des humi

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