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M. Berryer Quelles expressions le témoin entendit-il proférer aux soldats ?

R. Ils criaient vive l'empereur! mais la masse marchait en ordre et avec silence. J'ajoute que, quand je vis M. le maréchal, je lui parlai de sa position; que je la trouvais plus difficile que dans les autres campagnes. Il me répondit: «D'ordinaire, quand j'avais toutes mes dispo«sitions faites, je dormais; aujourd'hui je n'ai pas un moment de repos.

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« Sur les inquiétudes que je lui témoignais, il me répondit: « Les troupes se battront; je tirerai, s'il le faut, le premier coup de fu«sil ou de carabine, et, si un soldat bronche, je lui passerai mon épée au travers du corps, et la poignée lui servira d'emplâtre. Ce n'est pas avec des fusils qu'on fait mar«< cher le soldat; il faut du canon, et mon aide-de-camp sait l'appliquer. »

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M. le président : Monsieur le maréchal, vous reconnaissez cet ordre ?

Le maréchal : Oui, monseigneur.

M. le président : il est du 13 au soir. Comment, Monsieur le maréchal, après avoir pris ces longues et sages dispositions, avez-vous pu être conduit le 14 à un résultat si différent ?

Le maréchal :.Votre observation est juste ; mais les événemens ont été si rapides, une tempête si furieuse s'est formée sur ma tête que, chacun m'abandonnant, chacun cherchant à se sauver à mes dépens, et en me sacrifiant, j'ai été entraîné à l'action que vous connaissez. D'ailleurs, mon avocat entrera dans des développemens à cet égard.

M. Berryer a demandé que M. le président fit donner aux défenseurs copie de cette pièce. M. Bellart ne s'est pas opposé à ce que la

minute fût au service des défenseurs lors de la plaidoirie.

M. Berryer a insisté pour avoir une expédition de la pièce : elle lui a été accordée.

M. Frondeville, pair de France : Je demande à l'accusé ce qu'il entend par la tempête qui a fondu sur lui.

Le maréchal: C'est la fureur révolutionnaire qui éclata dans les troupes le 13 au soir. Il était impossible d'en disposer, de les faire marcher où on aurait voulu les conduire.

M. de Saint-Romans (un des pairs) a demandé au maréchal pourquoi il n'avait pas fait arrêter ces émissaires venus le 13; car ce sont eux qui ont ainsi changé l'esprit du soldat.

Le maréchal J'ai déjà répondu à cette question. Je n'avais personne pour faire arrêter; il m'était impossible de le faire.

Vingt-huitième témoin, M. Renaut-de-SaintAmour. Il a dit : Depuis vingt-deux ans que je sers, j'ai vu deux fois M. le maréchal. Les journaux ont publié des déclarations qui ne sont pas les miennes.

« Le 7, je remis mes dépêches à Dijon : on m'apprit le débarquement de Bonaparte. Je crus que mes ordres avaient pour objet de rassembler les troupes. Je me dirigeai sur Bourg, de là à Lyon et à Vienne. Je voulais me rendre à Grenoble. Un officier déguisé me dit de changer de route. Je revins à Lyon. MONSIEUR me dit qu'il partait. »

« A Poligny, je rencontrai le marquis de Saurans, et je l'ai accompagné jusqu'à Quingey. Beaucoup de soldats que nous rencontrions sur notre route criaient vive l'empereur! et nous faisions entre nous cette réflexion, qu'on ne pouvait plus compter sur eux.

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J'allai le 11 au soir à Quingey, chez M. le maréchal Ney, qui me dit qu'il ne pouvait pas concevoir qu'on n'eût pas défendu le passage du Rhône, et coupé les ponts à Lyon. Il me donna l'ordre, pour M. le directeur d'artillerie de Besançon, d'envoyer des cartouches à Lonsle-Saulnier. »

M. Berryer: Quel était l'esprit des campagnes? R. Dans le département de l'Ain, à Bourg, les paysans criaient vive l'empereur! Dans les villages et dans les cabarets, la même agitation existait aux alentours de Lons-le-Saulnier.

Vingt-neuvième témoin, M. Boulouse, négociant; il a déposé :

« J'ai quitté Lyon samedi 11, à neuf heures du soir. Craignant d'être arrêté, j'ai pris la route de Bourg et de Genève. A Lons-le-Saulnier, on me demanda mon passeport; un officier vint ensuite me trouver pour savoir de moi ce qui se passait; il me dit: «Je suis bon Français. Le prince est dans les plus vives inquiétudes. »

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Il vit que j'étais dans les mêmes dispositions il me demanda si je voulais qu'il me conduisît au maréchal; j'acceptai cet honneur avec reconnaissance. M. le maréchal me fit beaucoup de questions. « D'où venez-vous? De Lyon. Que s'y passe-t-il ? L'empereur y est entré sans troupes, et seulement avec son état-major. - Quelle conduite a-t-il tenue? - Il s'est montré à la fenêtre pour haranguer la populace, qui se pressait pour le voir. Il a passé ensuite ses troupes en revue sur la place Bellecour; il pouvait avoir sept à huit mille hommes. » Je donnai au maréchal les numéros de tous les régimens et les détails que j'avais recueillis sur leur composition. J'ajoutai au maréchal qu'il avait fait des proclamations. Je lui

en montrai une que je m'étais procurée: il me la prit, en me disant qu'il s'en faisait le cadeau. Il prit les noms de ceux qui avaient signé cette proclamation, en me disant : « Cela n'est pas dangereux; il n'y a rien à craindre; « quarante-cinq mille hommes garantiront Paris. « Le premier coup en décidera.» Comme je paraissais inquiet sur ce qu'on m'avait parlé d'une alliance avec l'Autriche, il ajouta : « C'est là sa jactance ordinaire. Pourquoi MONSIEUR ne l'at-il pas combattu ?

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M. le président au maréchal : C'est le 12 que vous avez tenu cette conversation. Vous connaissiez cependant les progrès de Bonaparte : aviezvous donc l'opinion qu'il n'était pas dangereux? M. le maréchal : Oui, Monseigneur.

M. Berryer: Le témoin n'a-t-il pas fait au maréchal le compliment d'avoir sauvé la France à Fontainebleau?

R. Oui, je me rappelle avoir dit cela: j'étais transporté des sentimens dont M. le maréchal était animé; je saisis même et pressai le bras de M. le maréchal.

M. Bellart: Pourquoi le maréchal retenait-il la proclamation?

:

Le maréchal Pour la communiquer aux autres généraux ; c'était une curiosité toute simple.

Le témoin: Le maréchal me dit: Mais ne craigniez-vous pas de vous compromettre, en gardant sur vous ce papier? Je lui répondis : Non il était caché dans un secret de ma voiture. M. le maréchal m'observa qu'il était dangereux de propager cette proclamation.

Trentième témoin, madame Maury.

« Les 16 et 17 mars, dit-elle, j'étais à Dijon. M. le comte de Bagnano, Italien, me dit que M. le maréchal lui avait dit, en causant avec lui Vous êtes bien heureux de n'avoir

:

pas

de place; vous n'êtes pas obligé de transiger avec vos devoirs je me félicitais d'avoir forcé l'empereur à abdiquer, aujourd'hui il faut le

servir.

Le maréchal Je ne connais pas le comte italien Bagnano; je ne l'ai jamais vu. Il est possible que j'aie tenu quelques discours semblables à ce que le témoin déclare, mais je ne m'en souviens pas.

Trente-unième témoin, M. Passinges de Préchamp. Il a dit : « Le maréchal Ney est arrivé à Besançon le 10 au soir. Je ne l'ai vu que quand il montait en voiture avec M. de Bourmont; je le suivis. J'arrivai à Lons-le-Saulnier. Tous les ordres donnés par le maréchal, tous ceux transmis aux troupes l'ont été dans l'intérêt de la cause du Roi; mais les difficultés sont bientôt devenues des obstacles. Les troupes qui, casernées, pouvaient encore être contenues dans le devoir, n'ont plus connu de frein lorsqu'elles ont été mises en contact avec la populace. Le 76, en passant à l'ennemi, a donné le signal d'une défection générale. Lors de la revue sur la place de Lons-le-Saulnier, la tristesse était peinte sur tous les visages; rien que cette posture, qui n'est pas ordinaire aux Français, présageait une grande catastrophe. Je m'attendais que mes officiers seraient victimes de leurs soldats, ou qu'il y aurait quelque révolution comme en 1793.

« Je reçus un ordre pour me rendre auprès du général Bertrand. Mes instructions n'avaient pour but que d'assurer le service des troupes, et faire respecter par-tout les serviteurs du Roi. »

M. Berryer Le témoin n'a-t-il pas eu connaissance que des gentilshommes aient été incorporés par les ordres du maréchal?

R. Oui, j'en ai parlé au colonel Dubalen;

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