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rette (1), à la même tribune d'où tant de fois il avait fait rouler sur un auditoire captivé les flots d'une éloquence souvent incorrecte, mais toujours entraînante? Quel scandale présentait une réunion occupée d'immenses. travaux, en s'en détournant pour sanctionner les systèmes de quelques hommes érudits et vertueux, il est vrai, mais imprégnés de cette âcreté de caractère, et de cette pertinacité qui produisent et maintiennent les sectes! 'Ah! ce n'est point ainsi que l'on conduit les hommes. Après les avoir poussés à l'extrême du malheur, il ne reste plus qu'un seul droit à exercer sur eux, celui de les protéger. Tel était le devoir de l'assemblée envers le clergé. Elle lui avait fait tant de mal, que désormais elle ne pouvait plus lui faire du bien: elle l'avait tellement discrédité par ses spolia

(1) J'ai lu ce discours, écrit de la main de l'abbé Lamourette. Mirabeau était une espèce de tronc où beaucoup de personnes déposaient leurs productions: il n'avait pas de temps pour tout. Ce discours parut si peu satisfaisant, que Mirabeau, malgré tous ses avantages de tribune, ne put en conduire la lecture que jusqu'à la moitié c'était un triste factum.

tions, qu'elle ne pouvait plus lui rendre la confiance. Après avoir soulevé mille ombra-ges contre lui, que pouvait-elle faire pour en dissiper un seul? Il fallut l'espace d'une année pour effacer l'impression produite contre son auteur, par un seul mot échappé en faveur du clergé, à M. l'abbé Syeyes. Ils veulent étre libres, et ils ne savent pas être justes. Après avoir amené les choses à ce point, il ne restait à l'assemblée qu'à consacrer tous ses soins, et à employer toutes ses forces à la protection du clergé. L'ennemi abattu n'est plus qu'un homme à secourir. Après l'avoir précipité du trône dans l'obscurité, de l'opulence dans la pauvreté, de la considération publique dans un état de suspicion générale, il ne restait plus qu'à couvrir d'une égide impénétrable sa personne et ses fonctions. La tâche de l'assemblée se divisait en deux parties: sauve-garde efficace et éternelle pour les individus, tolérance générale pour tous les cultes. A eux de se défendre, de se maintenir, de se pourvoir. Voilà le seul rôle qui convînt à une assemblée qui se piquait de procéder par des principes élevés; voilà la magnifique occasion que le sort lui avait mé

nagée pour s'assurer une gloire immortelle, en résolvant le grand problême qui depuis tant de siècles agite si péniblement le monde, celui du mélange du spirituel avec le temporel. Deux fois dans le cours de la révolution cette même occasion a été manquée par l'assemblée constituante et par Napoléon. Tous deux n'ont pas eu lieu de s'applaudir de l'avoir laissé passer. En suivant cette marche vraiment grande, à combien de malheurs n'aurait-on pas obvié ? on n'aurait pas eu la Vendée, et mille autres sujets de douleur: on n'aurait pas vu une guerre pitoyable de mandemens et de décrets se heurtant d'un bout de la France à l'autre, et nous transportant de Paris à Byzance: on n'aurait pas vu le vénérable cardinal de La Rochefoucauld, chargé de tous les honneurs de l'Eglise et de l'État, et de quatre-vingts ans des plus douces vertus (1), impliqué dans une procédure cri

(1) M. le cardinal de la Rochefoucauld avait écrit au vicaire du lieu nommé Triel, qu'il l'interdisait. Ce prêtre ordonné, institué par lui, l'ayant toujours reconnu pour supérieur, était évidemment soumis à sa jurisdiction spirituelle. M. le cardinal ne prétendait pas autre chose,

minelle pour une cause dont aucun tribunal régulier n'aurait voulu connaître ! Noble et généreux, sincère et fidèle, comme était le clergé, il aurait écouté des voix généreuses et sincères qui lui auraient fait apercevoir de la sécurité pour la seule chose sur laquelle il ne peut transiger, sa religion et son ministère. Au lieu de cela, l'assemblée constituante fit un code, et établit des principes d'après lesquels, au moyen de commodes sophismes, elle restait la maîtresse dans l'Église, et subjuguait ses ministres. En s'y 'refusant, le clergé fit à la fois un acte de religion et de lumières, de devoir et de raison; car, d'après l'ordre

tout se passait entr'eux dans l'ordre spirituel. La lettre, déférée au comité des recherches, valut un décret d'accusation à M. le cardinal. L'absurdité était palpable. Je voulus le défendre par les principes; j'allais le perdre. M. de Cazalès le défendit contre les principes, mais par des considérations personnelles, et le sauva. Cela m'apprit qu'en révolution les principes sont une chose excellente à alléguer quand on a la force. En révolution, il n'y a que des procès politiques; le plus fort fait des lois pour lui, il a des tribunaux à lui qui appellent cela de la justice... Il y aurait là une économie à faire... eelle des juges.

établi par l'assemblée, toute indépendance était ôtée au ministère : le clergé devait suivre le gouvernement, changer avec lui et autant que lui, et ne s'arrêter que lorsque celui-ci aurait jugé convenable de s'arrêter, et trouvé le prêtre le plus complaisant. Si jamais les inconvéniens de la liaison du spirituel avec le temporel ne se firent mieux sentir, jamais aussi la prétention n'en fut portée plus loin. Ce fut une grande erreur, et que j'ai souvent entendu déplorer par des membres distingués de cette assemblée. Dans cette occasion, contre la nature des choses, des considérations d'un ordre secondaire l'emportérent sur des considérations d'un ordre supérieur, qui seules devaient arrêter l'attention d'un corps délibérant, tel qu'était l'assemblée constituante; tomber plus bas était déroger. Le clergé publia une déclaration de ses principes. Cette démarche se trouvait dans la plus juste mesure; car il ne pouvait se permettre une protestation directe contre l'œuvre de l'assemblée, sans compromettre le malheureux Louis XVI, que celle-ci n'eût pas manqué d'armer aussitôt contre lui, non plus que sans courir le risque d'ajouter aux animosités,

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