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CHAPITRE XXXV.

De l'auteur de la captivité du pape.

Du temps de Charles-Quint, on ne demanda pas qui avait mis le pape en prison, et qui l'y retenait la chose était claire. Dans le nôtre, on ne jouerait pas l'irréligieuse et outrageanté comédie que se permit ce prince, en faisant prier pour la délivrance de celui auquel il ne tenait qu'à lui d'ouvrir les portes. de son cachot. Cela serait pris pour une insulte au bon sens de l'Europe. On ne voit pas que la considération dont Charles-Quint jouit dans son temps et dans l'histoire, ait souffert de cet acte à-la-fois violent et dérisoire. Bénissons la civilisation qui a créé la douceur des mœurs modernes, par laquelle nous. sommes devenus si sensibles sur la violation du droit, comme sur celle des convenances. La garantie de chacun se trouve dans ce sentiment général qui attache à la justice, et qui fait détester ce qui la viole. Ce sentiment a été le plus puissant auxiliaire du pape dans ses débats avec Napoléon, et le plus redou

table adversaire de celui-ci. Tels sont les heu reux fruits de la communication des peuples entre eux par elle, la société entière est réunie dans un même faisceau pour défendre tous ses membres; elle le fait sous un même drapeau, qui est celui de la justice. On touche donc enfin à cette perfection qui fait ressembler le corps social au corps humain, dans lequel aucune partie ne peut souffrir, sans que les autres ne s'en ressentent. En tout temps, en tous lieux, il y a eu quelque chose de sacré dans le ministre de la religion, d'abord par ses fonctions, ensuite par sa faiblesse. Les unes entachent l'assaillant de profanation, l'autre de lâcheté. Les armes perdent leur honneur contre un ennemi désarmé. J'ai toujours pensé que sous ce double rapport, parmi les violences de Napoléon, celle-là avait le plus irrité l'Europe, et rompu le charme qu'il avait jeté sur elle. Il avait raison, lorsqu'à Fontainebleau il disait : Je ne puis me rétablir, j'ai choqué les peuples.

Il est assez singulier que les deux souverains qui ont emprisonné des papes, eussent commencé par leur avoir des obligations. Le captif de Charles-Quint avait été son précep

teur; celui de Napoléon, son consécrateur. Nogaret souffleta Boniface VIII, pour le compte de Philippe-le-Bel. Ce soufflet, donné par procureur, ne fit alors de mal qu'à celui qui le reçut. Philippe de Valois écrivait au pape Jean XXII, qu'il le ferait ardre. La correspondance de Boniface VIII et de Philippele-Bel n'offre pas non plus des monumens d'urbanité et de convenances. Heureusement ces procédés, aussi indignes de la tiare que du trône, avaient disparu pour faire place à ceux-là seuls qui conviennent à des rangs aussi élevés, faits pour servir de modèles et d'enseignement aux autres. Les Protestans eux-mêmes avaient renoncé, avec la cour de Rome, à l'emploi des figures empruntées de l'Ecriture-Sainte, par lesquelles ils désignaient Rome sous des noms odieux, et des couleurs souvent grotesques, à force d'être chargées. C'était le langage en honneur à l'époque de la réformation. Celui des peuples policés avait pris sa place; cela n'empechait pas que chacun ne restât sur son terrain, mais sans insulte mutuelle. Car enfin ce n'est pas tout que de tenir à tel culte, il faut encore être honnête.

Il importe peu, pour le fonds de la chose, quel ait été l'auteur de l'enlèvement du pape. De quelque main qu'il soit parti, il n'en est pas moins odieux. Ici tout l'intérêt est du côté de l'histoire.

Les apparences donnent cet acte à Napoléon; Crimen cui prodest: la conclusion est légitime. Il était en querelle avec le pape, ses troupes occupaient Rome, il l'avait envahie, le pape était renfermé dans son palais à sa pleine et entière connaissance, il n'a pas désavoué ni puni les exécuteurs, il n'a pas rendu le captif à son habitation ; le corps des preuves morales paraît complet, et qui en aurait autant contre lui devant un tribunal régulier, courrait de grands dangers. Eh bien! ces apparences, toutes plausibles, bien plus, toutes concluantes qu'elles paraissent, sont fautives. Ce coup fut l'oeuvre de Joachim, alors roi de Naples, exécuté en première in: tance par le général de la gendarmerie Radet, sous les ordres du général Miollis, alors gouverneur de Rome. Pour bien entendre ceci, il faut remonter plus haut. L'éloignement de Paris avec l'Italie, l'état de ce pays morcelé en plusieurs souverainetés, les unes réunies

fraîchement à la France, les autres enlevées récemment à leurs anciens maîtres, devenues l'objet des menées de l'Angleterre, du roi de Sicile et de l'Autriche; les querelles subsistantes avec Rome reconnue comme le foyer des inimitiés personnelles et étrangères contre Napoléon; toutes ces considérations l'avaient engagé à confier à Joachim de grands pouvoirs sur Rome et sur l'État romain. Joachim était ambitieux, tout homme l'est: il n'était pas homme à être fort arrêté par la considération de la cour de Rome; il convoitait la Marche d'Ancône, dont postérieurement il a fait le prix de sa défection, et de son alliance avec les ennemis de Napoléon. Celui-ci était alors occupé de la guerre contre l'Autriche, en 1809. Il était campé sous les murs de Vienne; cela donnait de la confiance, on croyait pouvoir tout oser. Joachim avait plusieurs fois insisté auprès de la consulte, pour faire éloigner le pape de Rome : elle s'y était refusée. Une lettre écrite dans ce sens par elle à Joachim, peut exister encore dans les mains de M. de Balbe, alors auditeur au conseil d'État, et membre de cette consulte. Joachim donna l'ordre : il fut exécuté, comme on sait.

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