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n'a plus obéi à l'impulsion du moment, n'a plus donné au vague et au hasard. Il a perdu plus de temps qu'il n'en a employé. Les causeries dévoraient une partie de ses journées. Presque toujours, courtisan de la fortune, il ́attendait les chances de sa libéralité éprouvée; observateur de la marche de son ennemi, il se réglait uniquement sur ses fautes, espèces de mines qu'il exploitait avec un art admirable. Alors son coup-d'oeil et sa rapidité lui donnaient l'air de l'invention des choses mêmes dont il ne faisait que profiter. Souvent plus le sommeil s'était prolongé, plus le réveil avait de rapidité; il pressait la marche du temps, pour en réparer la perte. Comme il a prodigieusement agi, on a cru qu'il n'était jamais sans action. Combien de fois l'ai-je trouvé au repos! Je le répete, quiconque n'a pas beaucoup approché Napo-. léon, surtout quiconque cherche son modèle dans les autres hommes, est incapable d'en parler avec exactitude; et pour ne pas tromper les autres apres s'être trompé lui-même, il n'a rien de mieux à faire qu'à s'en taire. Comment et pourquoi parler lorsque l'on ignore?

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CHAPITRE XXXVI.

Affaire des Cardinaux.

La querelle de Napoléon avec le pape amena des sévices de plusieurs espèces sur les membres de la congrégation la plus auguste de l'univers, le sacré collége.

1o. Les cardinaux sujets des royaumes d'Italie et de Naples reçurent l'ordre de rentrer dans leur patrie, et de prêter serment de fidélité aux gouvernemens de ces pays.

2o. Sur leur refus, ils furent contraints de quitter Rome.

3o. Ils furent appelés en France.

4°. Quatorze d'entr'eux furent exilés et relégués dans diverses villes de France, dé pouillés des marques de leur dignité et privés de leurs biens, quant à la jouissance. Il faut distinguer ces divers degrés de sévices; ils. donnent lieu à des questions entièrement différentes.

Quant aux traitemens personnels, aux procédés dont les cardinaux ont été l'objet, il ne peut y avoir deux manières de les considérer

Tout se réunit pour faire regretter que des personnages éminens, consacrés pour ainsi dire par le respect de l'Europe, aient pu se trouver sujets à des traitemens dont leur dignité, l'âge et la vertu du plus grand nombre auraient dû les préserver à jamais. Quelqu'eût été l'aveuglement, l'entêtement, et même la mauvaise volonté de plusieurs, cependant ils n'étaient point déchus par là du haut rang qu'ils occupaient; ils n'étaient pas criminels, ni jugés; ils pouvaient voir autrement que Napoléon, et même voir mal, ce qui n'est défendu par aucune loi; ils défendaient d'autres intérêts que les siens, ainsi ils ne pouvaient être responsables que de leurs actes privés et personnels, et sûrement ceux-là ne prêtaient à aucun reproche. Au milieu de leurs fautes comme hommes publics, ils ne restaient pas moins des objets de vénération en raison de leur rang dans l'église et dans le monde, comme de leurs vertus personnelles.

La question est donc de savoir: 1o. si le pape, comme il n'a cessé de le faire, avait raison de se plaindre de l'éloignement des cardinaux, et de le représenter comme la violation d'un droit reconnu par toute l'Europe.

2o. Si Napoléon avait droit d'exiger que le quart du sacré collége fût composé de sujets Français.

3o. Si les cardinaux ont pu refuser d'assister au mariage religieux de Napoléon, ce qui alluma sa colère contr'eux.

Les priviléges et l'état du sacré collége ont suivi les dégrés de l'élévation de la cour de Rome, comme il était indispensable que cela fût. Au temps de la grande puissance de Rome, un cardinal marchait presqu'à l'égal des rois, et au-dessus des princes d'un rang inférieur (1). Avec la diminution du pouvoir de Rome, le cardinalat baissa, mais cependant en restant toujours très-considéré et et trèsconsidérable. Il était loin le temps auquel un roi tel que Henri IV prenait la peine d'aller à cheval jusqu'à Chartres pour voir l'entrée du cardinal de Médicis, Legat à latere, qui lui apportait une absolution moins flatteuse. pour son amour propre que favorable à l'affermissement de son trône; aujourd'hui on ne recourrait pas à cet appui ponr régner,

(1) Voyez le récit de l'entrevue de Léon X et de François Ier, tom. 3.

les temps sont changés. Jadis on faisait des entrées publiques aux cardinaux dans les villes qu'ils traversaient, comme cela se pratiquait pour les souverains. On a vu des cardinaux avoir recherché cette dignité pendant leur ministère pour se ménager un abri contre la défaveur de leurs maîtres. Les cardinaux de la Valette, de Retz, de Bouillon, dans leurs démêlés avec leurs souverains, s'étaient appuyés de la cour de Rome. Le cardinal Albéroni avait fait de même; l'on a été jasqu'à dire que le cardinal Dubois avait désiré le chapeau, au cas prévu et prochain de la fin de la régence. Dans la trop fameuse affaire du collier, le pape trouva très-mauvais que Mr. le cardinal de Rohan eut consenti à reconnaître la jurisdiction du parlement de Paris; il le menaça de lui ôter la pourpre. (1) Louis XVI dans

(1) Extrait des Mémoires de M. l'abbé Georgel.

Dans ces entrefaites, le pape instruit par le roi de la captivité du cardinal, des motifs qui avaient nécessité ce coup d'autorité, et du parti qu'il avait pris d'en référer au parlement, en marqua en termes très-énergiques son mécontentement. Il reprochait au cardinal d'avoir compromis la dignité et les droits du sacré collége, d'avoir avili la pourpre romaine en recourant à un tribunal sécu

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