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s'était expliqué sur sa vraie nature: il l'avait bornée à celle d'un simple conseil pour luimême et pour lui seul, sans condition d'accepter ni publier rien qui vînt d'elle. Il n'avait voulu que s'éclairer, et point du tout se lier.

La position ecclésiastique de Napoléon se trouva changée du moment qu'il eut formé un conseil. Jusque-là il n'avait écouté que sa fougue ou son imagination: il avait marché au hasard, en obéissant tantôt à l'une, tantôt à l'autre, ou bien encore à toutes les deux à la fois. Du moment qu'il eut un conseil, il fallut s'arrêter, et marcher de conserve avec ceux qu'il avait appelés; autrement autant valait s'en passer: les conseils, même les plus limités, sont toujours une autorité et un point d'arrêt. Il était encore sans exemple que Napoléon se fût donné un frein à lui-même : une fois accepté, il fallait lui obéir. Dès lors il commença à se livrer à l'étude des matières ecclésiastiques, qu'auparavant il décidait tout seul et pour lui seul; ce que dans l'école on appelle à priori. Il se mit à lire Bossuet et d'autres auteurs. « Je deviens théologien, dis sait-il en riant, j'ai déjà lu Bossuet ». Il se

plaignait de n'y rien rencontrer de relatif aux affaires actuelles du clergé. « Il n'y a rien dans vos quatre propositions dont vous faites tant de bruit », disait-il souvent. Le discours que Bossuet prononça à l'ouverture de l'assemblée de 1682, qui fit les quatre propositions, n'avait pas porté plus de satisfaction dans son esprit, par la double balance dans laquelle cet orateur pèse le pape; balance dont un bassin le porte trop haut, l'autre le fait trop descendre, et laisse le lecteur incertain sur la place qui lui convient. Napoléon avait raison de se dire propre à l'étude de la théologie sophiste et subtil, très-enclin à parler le premier et le dernier, il avait tout ce qu'il faut pour faire un théologien fort em-barrassant dans la dispute. Il aurait occupé une place distinguée dans ce temps où, comme dit Montesquieu, les esprits subtils sont les beaux esprits. C'était un plaisir de le voir retourner une question sous mille faces, y découvrir des rapports inattendus et inaperçus par tout le monde, et puis s'élançant tout-à-coup hors du cercle de la question, parcourir à vol d'aigle une carrière nouvelle pour aller se reposer dans des régions de sa

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création. C'étaient ces créations et ces déplacemens subits des objets qui donnaient à sa conversation un mouvement plein d'attraits et de souvenirs. Il possédait moins l'art de remplir le cadre de la causerie, toujours un peu étroit pour un génie de cette espèce, que la puissance d'en faire un champ immense d'idées, de réflexions et d'occupations variées pour l'esprit. Avec lui il s'agissait moins des satisfactions ordinaires de l'esprit que de sa forte occupation. Sûrement Napoléon est de tous les hommes celui qui ayant le plus agi pour son compte, a le plus remué les autres: eh bien! il a encore plus agité son esprit que son corps, et remué leur esprit que leurs bras. C'était un magasin inépuisable d'idées.

Pour bien apprécier la conduite de la commission, il faut savoir évaluer sa position. Elle était difficile. Rien n'est plus commode, plus commun, mais aussi plus fautif que la méthode de juger en bloc une action fort compliquée. Celle de la commission était de cette nature. On peut en juger par l'exposé suivant.

Les plus grands sévices avaient eu lieu entre Napoléon et le pape. Celui-ci était captif: son détenteur aimait à rendre à-peu-près au

tant que l'enfer avare. La commission n'était point un parlement investi du droit de remontrance. C'était un simple conseil répondant sur un sujet donné, et rien de plus. S'ingérer à toucher des points délicats, était s'exposer à perdre le bien que l'on pourrait faire. Il fallait fonder la confiance sur la discrétion. On ne disposait pas plus de l'esprit de Napoléon que de celui du pape. Celui-ci lança dans ce temps, et ne lui demanda pas conseil pour cela, les brefs de Florence et de Paris, qui firent beaucoup de mal, d'abord à lui, ensuite à la chose elle-mème, et puis à MM. D'Astroz, Fontana et Portalis, qu'ils firent emprisonner ou exiler. Car voilà tout ce que l'on y gagna, La commission avait à agir sur l'esprit de Napoléon, terrain bien neuf pour cette semence, et pour les mains qui devaient l'y répandre. Elle avait à réparer le mal que faisaient à chaque instant les opiniâtretés zélées de M. le cardinal Fesch, et les démarches inconsidérées d'un grand nombre de prêtres qui ne se contenaient plus. Pour surcroît de maux, la commission se trouvait entre Napoléon et les philosophes de son conseil-d'État, ainsi qu'il s'amusait à le dire, entre les prêtres

anti-concordatistes et les prêtres plus catholiques que le pape: car le clergé offrait toutes ces nuances, et la voie au milieu d'elles se trouvait fort embarrassée. Mais ce qui était le pire de tout, c'est que chaque membre de la commission avait à veiller au maintien de sa considération personnelle dans son clergé propre, clergé déjà obsédé des terreurs et des préventions qui depuis ont formé l'esprit du clergé. On ne peut se dissimuler que le petit esprit ne s'en fût déjà emparé, et que les petits prêtres et la gent dévote n'y eussent obtenu beaucoup trop d'empire.

Une pareille position est une des plus délicates dans laquelle des hommes qui connaissent leurs devoirs puissent se trouver placés: c'était celle de la commission. Aussi, souvent nous est-il arrivé de dire, en songeant de combien d'envies nous étions l'objet :

Ailleurs on nous envie, ici nous gémissons.

Le bon esprit de la commission la conduisit à travailler sur l'esprit même de Napoléon; tout dépendait de là; à bannir tout préjugé défavorable à l'ordre religieux, à ramener sur lui des idées vraies, et à faire naître la

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