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mença de les saisir, d'en remplir les cachots; au premier moment d'alarme, ils ne pouvaient manquer d'être égorgés, comme cela arriva le deux septembre. La déportation était donc leur seule ressource. La France était devenue un champ de bataille, et des prêtres n'ont rien à faire là. Si cette épouvantable mesure de l'émigration n'avait pas eu lieu, en transportant sur le sol dont ils ne disposaient pas ceux qui devaient défendre la France sur le sol français, si par l'absence de ceux qui furent inconsidérément demander aux étrangers de rouvrir un pays dont ils avaient eu l'imprudence de remettre les clefs à leurs ennemis, le combat ne s'était pas engagé hors de la terre de France, la question changeait de face; les camps seraient devenus l'asile des prêtres, comme ceux de la Vendée le furent pour un grand nombre d'entr'eux; alors il y aurait eu quelques moyens de salut: mais lorsque le théàtre de l'action fut transporté au-delà des frontières, les prêtres restés dans l'intérieur, abandonnés à leurs ennemis, se trouvèrent sans asiles et sans ressources. Il fallut rentrer en terre; l'ordre d'un district suffisait pour enlever tous les prêtres d'un canton, pour les vouer

à la réclusion ou à la mort. Dès-lors la fuite. volontaire ou l'expulsion étaient les seuls moyens de salut. Hélas! sans elles le nombre des victimes aurait encore été grossi.

C'est une cruelle mais inévitable liaison que celle qu'ont entr'elles certaines actions: les unes commandent les autres: elles ont la désastreuse propriété d'envelopper dans les mêmes malheurs des hommes qui n'ayant pas des principes communs d'actions, ne devraient pas en ressentir les effets. Tel fut cependant le sort du clergé par la faute de l'émigration: il n'avait rien de commun avec une mesure dont le but était une prise d'armes, et il fallut qu'il s'y associât et qu'il en subît toutes les conséquences. L'émigration n'a servi qu'à ses ennemis : elle leur a donné une influence immense en France, elle leur a attribué des dépouilles opimes qui ont servi à fournir tous les moyens d'en tenir les portes fermées aux émigrés: c'est une des plus hautes fautes qui aient jamais été commises en politique. A quoi a-t-il tenu qu'il ne rentrât pas un émigré, et c'est-il donc à leur force propre qu'ils ont dù de pouvoir le faire? Si l'on veut bien juger de la nature de cette mesure, il n'y

a qu'à voir avec quel empressement les ennemis des émigrés cherchaient à l'étendre, indice certain de sa juste valeur, car souvent nos ennemis apprécient mieux que nous la nature de nos démarches.

Le clergé déporté trouva des contrées hospitalières, et des ames sensibles aux infortunes causées par l'accomplissement du devoir. En Espagne, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, partout enfin des secours, des témoignages d'estime, des consolations lui furent prodiguées. On vit le roi de la Grande Bretagne, chef de l'église anglicane, oubliant l'accueil qu'avaient reçu en France les prêtres catholiques ennemis de sa dynastie, abaisser en faveur de ces victimes de leur dévouement, les barrières que la différence du culte élevait entr'eux et lui, et consacrer un de ses palais à leur servir d'asile; admirable alliance de la générosité avec le discernement, qui dans les malheureux sépare l'homme souffrant de l'homme attaché à une autre croyance!

Il faut dire aussi que si l'Europe accorda de la bienveillance au clergé déporté, celuici à son tour se montra à l'Europe sous des

rapports dignes d'estime. Il justifia les bienfaits dont il était l'objet. C'était un beau spectacle que celui que présentaient trente mille ecclésiastiques jetés sur des terres étrangères, sans autre frein que celui de leurs devoirs, et ne manquant à aucun. Le clergé français n'a point à regretter le temps passé hors de la France, parce qu'il a servi à le faire connaître; même en éprouvant toutes les rigueurs de sa patrie, il n'a point cessé de la servir, car il faisait des conquêtes à sa littérature et à son langage dont il a propagé la connaissance et le goût.

Un décret de l'assemblée frappée par le 18 fructidor, donna au clergé la faculté de rentrer en France. Le Directoire retarda l'accomplissement de quelques formalités nécessaires pour sa mise à exécution, et cette fatale journée le rendit illusoire.

Cependant, à cette époque, un grand nombre d'ecclésiastiques rentrèrent en France. Ceux qui y étaient restés se trouvaient divisés, comme je l'ai déjà dit.

Peu de jours après le 10 août, l'assemblée qui avait fait cette journée décréta un serment sur lequel on se divisa de nouveau. La

Sorbonne ou plutôt ce qui restait de Sorbonnistes présens à Paris, le déclarèrent admissible. Pendant quelque temps le clergé dit constitutionnel exerça son ministère sous la protection des loix du moment: mais bientôt les fureurs sanguinaires et le délire anti-religieux n'ayant plus de bornes, il eut à souffrir à-peu-près autant que ses adversaires; divisés d'opinions, ils se trouvèrent réunis par les mêmes malheurs.

Pendant la durée de cette tourmente, les voies ordinaires de l'administration ecclésiastique avaient été détournées. Les communications avec Rome ne pouvaient plus avoir lieu comme par le passé. Il n'y avait plus de sûreté dans les rapports avec les supérieurs habitans d'autres contrées. L'administration se faisait pour ainsi dire de la seconde main, par des délégués, mode qui a préparé les voies à ce que depuis on a appelé la petite église. Des hommes sensibles à l'exercice du pouvoir, aux charmes de l'indépendance, trouvaient doux de cesser de dépendre, et de devenir à leur tour des centres d'autorité. L'amour propre de l'homme s'attache à tout, et il ne lui coûte que de décheoir.

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