Page images
PDF
EPUB

Un M. Dard, avocat, publia un écrit ayant pour titre De la restitution des biens des émigrés sous le triple rapport du droit public, du droit civil et de la politique. Un autre avocat, M. Falconet imprimait une Lettre à S. M. Louis XVIII sur la vente des biens nationaux, où il s'efforçait de démontrer que cette vente était nulle. Ce dernier fut arrêté et acquitté. En même temps, des émigrés faisaient des démarches pour rentrer dans leurs biens: des hommes timides consentaient à des transactions. Le maréchal Berthier fut de ce nombre ; il remit les titres de sa propriété au roi, qui les lui rendit après les avoir gardés une heure. Les journaux enregistraient ces faits et les commentaient. Ces choses suffirent pour alarmer quelques millions d'intéressés dans la question des biens nationaux. Les plus hardis formèrent des associations pour se défendre réciproquement dans le cas où ils seraient attaqués. On adressa également des nombreuses pétitions aux chambres.

Pendant qu'on alarmait les intérêts des masses, qu'on insultait à leurs croyances révolutionnaires, on blessait leurs habitudes, et en quelque sorte on offensait leurs yeux. Les émigrés se montraient avec les mœurs de l'ancien régime, avec des costumes et des manières étranges qui les faisaient de suite reconnaître, et des prétentions plus étranges encore. On les surnomma les Voltigeurs de Louis XIV. On se souvenait alors que ces hommes avaient été nos premiers ennemis; qu'ils avaient sollicité la première coalition, combattu et conspiré partout contre nous; on reprenait, à leur aspect, les passions de 1792. Quelques caricaturistes cherchèrent à faire rire à leurs dépens; une de ces caricatures, intitulée M. de la Jobardière, eut un grand succès dans les salons; mais le peuple resta sérieux et mécontent. Enfin, le roi s'était refait une maison militaire sur le modèle de celle de 1788. Il avait repris ses mousquetaires rouges, gris et noirs, ses cent-suisses, ses gardes de la porte, etc. Les officiers à demisolde leur cherchaient des querelles; delà des duels où le peuple prenait toujours parti pour le vieux soldat.

L'opposition n'était pas complétement silencieuse. Comte et

Dunoyer publiaient leur Censeur européen, qui ayant plus de vingt feuilles échappait à la censure. Quoique bien modéré, leur journal cependant attaquait les royalistes, et défendait la souve raineté nationale. Le Nain jaune, journal bonapartiste, imaginait l'ordre de l'Éteignoir, et s'attirait des persécutions qui assuraient une publicité complète à ses attaques. Un mémoire de Carnot au roi, imprimé secrètement, sans son autorisation, assurait-on alors, eat un grand succès. Il disait que le retour des Bourbons avait produit en France un enthousiasme universel; que toutes les classes avaient tellement souffert, qu'il ne se trouvait personne qui ne fût réellement dans l'ivresse et qui ne se livrât aux espérances les plus consolantes. Le général républicain exagérait un peu; mais il est à croire que si les Bourbons eussent franchement accepté les conséquences révolutionnaires et se fussent appliqués à remplacer le despotisme de l'empire par la libéralité des institutions, ces sentimens fussent devenus ceux de la nation. L'attachement du peuple à Napoléon, l'espèce de culte dont il a été long-temps l'objet doit être attribué à deux causes; l'une est l'imprudence des Bourbons qui firent en sorte qu'il restât en apparence le représentant de la révolution; l'autre est que les Français humiliés par leurs dérnières défaites, ne purent s'en venger en quelque sorte qu'en se réfugiant dans le passé, auquel ils avaient pris part, c'est-à-dire dans les souvenirs de l'empire. Mais revenons au mémoire de Carnot. Après avoir montré quelles étaient les dispositions nationales au retour des Bourbons, il citait des faits, et en concluait que l'on nous préparait à l'avilissement de tout ce qui avait pris part à la révolution, à l'abolition de tout ce qui tenaît encore un peu aux idées libérales, à la remise des domaines nationaux ; en un mot, à la résurrection complète du passé. Puis il défendait la révolution et la Convention. Ce mémoire eut lui-même peu de publicité; mais le Censeur européen en donna une analyse qui en eut beaucoup.

Dans le même volume le Censeur révélait au public une protestation contre la charte constitutionnelle, signée par les princes du sang, les membres de l'ancien parlement et le ministre Fer

[ocr errors]

rand, insérée dans le Morning-Chronicle du 29 octobre. Nous sommes persuadés, disait le journal anglais, que le roi de France veut sincèrement le maintien d'une constitution à laquelle il a juré de se conformer; mais toutes les personnes qui arrivent de Paris s'accordent à dire que l'imprudence et l'emportement de ceux qui se disent ses amis, peut mettre en danger son trône, qui, quoi qu'en disent les journalistes et les faiseurs d'adresse, est loin d'être fondé sur l'amour de la nation. On s'accordait au reste à dire dans le public que le comte d'Artois et ses fils, ainsi que la duchesse d'Angoulême, faisaient une opposition très-vive au roi, et qu'ils étaient partisans des exagérations des royalistes les plus outrés. Or, le roi était vieux; après lui, la couronne devait échoir à ces princes; en même temps donc qu'on cessait de compter sur le présent, il fallait désespérer de l'avenir.

[ocr errors]

L'armée était plus mécontente encore que la population; elle était humiliée; en perdant son chef, elle sentait qu'elle avait perdu la haute position qu'elle était habituée à tenir; elle ne régnait plus; elle n'était plus en quelque sorte le premier corps de l'état, L'effectif en fut diminué; le pied de paix avait été fixé à deux cent quarante mille hommes': le gouvernement maintint à peine sous les drapeaux la moitié de ce nombre. On vit dans cette mesure une marque de défiance. Le gouvernement diminua le nombre des régimens ; il en changea les numéros. On assura qu'en prenant ce parti la restauration avait eu pour but d'effacer le souvenir des actions glorieuses qui avaient immortalisé certains régimens. Un grand nombre d'officiers furent mis à demi-solde; on se dit que c'était pour faire place aux gentilshommes de l'armée de Condé, de la chouannerie et de la Vendée dont on plaça en effet quelques-uns. Comme ces officiers ne dissimulaient pas leur malveillance, le ministère leur montra de la défiance, et leur imposa des conditions de séjour. Cette mesure maladroite répanit des ennemis du gouvernement royal dans toutes les localités de la France. Pendant ce temps, les soldats cachaient leurs cocardes tricolores dans leurs sacs, fêtaient en secret la Saint-Napoléon, et gardaient le silence lorsque les princes les passaient en revue.

Cependant on disait partout que cela ne pouvait pas durer. Plus de cinquante foyers de conspiration s'étaient formés ; les plus redoutables étaient dans l'armée. Nous ne connaissons point les détails de ces affaires. Il est certain seulement que Fouché était instruit des mouvemens des bonapartistes; il refusa d'agir avec eux, quoiqu'il exprimât le désir de voir les Bourbons renversés. Dans quelques réunions, on parla de mettre le duc d'Orléans sur le trône; mais partout les bonapartistes formaient la majorité; ils disposaient des forces actives et tenaient invariablement à leur empereur. Barras, qui était revenu à Paris, eut une entrevue avec M. de Blacas qui jouait à la cour le rôle de favori et de premier ministre ; il lui donna des avis que celui-ci ne comprit pas. Chose singulière! Tallien était très-lié avec M. de Blacas; il était un de ses conseillers.

Pendant ce temps, le congrès de Vienne était réuni. Il avait dû s'ouvrir le 30 juillet 1814; mais il fut retardé par un voyage des souverains à Londres et de l'empereur Alexandre à SaintPétersbourg. Il avait en conséquence été ajourné au mois de septembre. Le roi de Prusse et l'empereur de Russie firent, le 25, leur entrée solennelle à Vienne; les rois de Bavière, de Wurtemberg, de Danemarck, etc. le suivirent de près. Talleyrand fut chargé d'y représenter la France. On lui avait adjoint plusieurs personnages et entre autres M. Alexis de Noailles, qui représentait ce que l'on appelait alors le pavillon Marsan, c'est-àdire le comte d'Artois et les ultra-royalistes. Les puissances se partagèrent en deux parties; la France, l'Angleterre et l'Autriche agissaient de concert. On mit en question la royauté de Murat. L'Angleterre déclara qu'elle ne se croyait point liée par le traité de 1814. Le plénipotentiaire de Murat ne fut point admis dans les délibérations du congrès. Ce prince dut alors prévoir quel sort lui était réservé; en conséquence il se prépara à défendre sa couronne par les armes. On s'occupa aussi de Napoléon; on trouva qu'il était trop voisin de l'Italie et de la France. On lui fit écrire, le 25 avril, par Fouché, pour l'engager à sé retirer en Italie. Il fut enfin, dit-on, secrètement convenu de le

[ocr errors]

transférer à l'île Sainte-Hélène. Le général Dessolles en fit en quelque sorte l'aveu dans un ordre du jour, du 7 mars 1815, à la garde nationale de Paris, dans lequel, après lui avoir appris. son départ de l'île d'Elbe et son débarquement, il disait : « Soit que les mesures adoptées au congrès de Vienne pour assurer le repos de l'Europe en éloignant davantage le seul homme qui ait intérêt à le troubler, aient jeté ce même homme dans une entreprise désespérée, soit que des intelligences criminelles l'aient flatté de l'appui de quelques traîtres, etc.

[ocr errors]

Toutes ces choses au reste semblaient disposées pour favoriser une pareille entreprise. L'armée française n'avait pas encore désappris à obéir à Napoléon. Murat était menacé et son intérêt même lui faisait un devoir de se ranger du côté d'une insurrection contre les coalisés. L'Italie tout entière était mécontente; à Rome, le pape avait annulé les ventes de biens nationaux et rétabli tout l'ancien régime. Il en était de même en Piémont. L'ancien royaume d'Italie, tombé entre les mains de l'Autriche, avait perdu l'espérance d'avoir une constitution. En Espagne, Ferdinand VII avait rétabli le gouvernement absolu; il persécutait les membres des cortès et les généraux même qui s'étaient le plus distingués dans la guerre de l'indépendance. En Hanovre, on annulait les ventes de biens nationaux; on ne reconnaissait point les grades acquis dans l'armée depuis 1806; on pouvait croire enfin que les provinces du Rhin et la Belgique désiraient redevenir françaises ; que la Saxe, le Danemarck et la Bavière devaient détester un état de choses qui leur ravissait des provinces. On pouvait enfin espérer qu'une partie dé l'Europe était disposée à s'insurger; mais, pour provoquer un pareil mouvement, il eût fallu un chef qui se fût montré moins personnel et plus ami des intérêts populaires que Napoléon,

« PreviousContinue »