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des pouvoirs confiés à l'autorité dont ils émanent et qu'ils se rattachent à l'exécution d'une loi préexistante; qu'il convient donc de rechercher si l'arrêté du 16 février a été pris dans le cercle des pouvoirs attribués aux préfets par la loi du 5 avril 1884; que c'est là non seulement un droit, mais un devoir pour le juge à qui il est demandé d'assurer, par une sanction pénale, l'exécution d'un arrêté municipal ou préfectoral;

Attendu que l'art. 99 de la loi municipale précitée dispose: Les pouvoirs qui appartiennent aux maires, en vertu de l'art. 91, ne font pas obstacle au droit du préfet de prendre, pour toutes les communes du département ou pour plusieurs d'entre elles et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques; ›

Attendu qu'il est constant que l'arrêté du 16 février n'a pas pour objet le maintien de la salubrité et de la tranquillité publiques;

Attendu que, s'il est vrai que d'une façon générale la divagation des chiens peut intéresser la sûreté publique, il est non moins certain qu'en prenant l'arrêté dont il s'agit M. le préfet n'a pas eu en vue l'intérêt de la sécurité publique, et que sa seule intention a été de prescrire une mesure destinée à protéger les récoltes contre les dommages des chiens; que cela résulte très clairement aussi bien des considérants dont ce magistrat a cru devoir faire précéder le dispositif de son arrêté, et dans lesquels il ne vise que l'intérêt de l'agriculture et la protection des récoltes, que du texte même de l'art. 1o dudit arrêté aux termes duquel M. le préfet défend de laisser circuler les chiens en liberté non pas dans toute l'étendue du département et en toute saison, mais seulement dans les champs et dans les bois, pendant sept mois de l'année, du 1er mars au 1er octobre;

Attendu que cette double circonstance que l'interdiction de laisser circuler les chiens en liberté est limitée aux champs et aux bois pendant le temps où croissent et se récoltent les produits du sol, témoigne bien que l'arrêté du 16 février n'a pas été pris en vue d'assurer la sûreté publique;

Attendu que, si profitable qu'elle puisse être à l'agriculture, la mesure édictée par l'arrêté du 16 février n'aurait été compétemment prise qu'autant que les préfets tiendraient de la loi municipale précitée un pouvoir de police rurale que le législateur de 1884 s'est, au contraire, formellement refusé à leur attribuer ;

Attendu, en effet, qu'il appert des travaux préparatoires et de la discussion qui s'est élevée au Sénat sur l'art. 99 de la loi municipale que les mots de bonne police municipale et rurale », qui se trouvaient dans le projet de loi voté à la Chambre des députés, ont été retranchés entre deux lectures afin de bien préciser, dit Toulier (Commentaire de la loi municipale, p. 152), « que les pouvoirs du préfet sont limités aux cas de salubrité, sécurité et tran<< quillité publiques> ;

Attendu que, s'il fallait une nouvelle preuve que la loi municipale de 1884 n'a donné aux préfets aucun pouvoir de police « rurale », on la trouverait dans l'existence même de la loi du 24 décembre 1888 qui leur a particulièrement attribué ce pouvoir de police rurale » en leur conférant le droit de prescrire les mesures nécessaires à la destruction des insectes et des végétaux nuisibles à l'agriculture;

Attendu qu'il ressort de tout ce qui précède que l'arrêté du 16 février 1890 en dehors des attributions que M. le préfet tient de la loi du 5 avril 1884, ne saurait être considéré comme obligatoire; d'où la conséquence que l'infraction audit arrêté ne tombe pas sous le coup d'une disposition pénale et qu'il y a lieu de relaxer purement et simplement le sieur Picard des fins de la poursuite par application de l'art. 159 C. inst. crim. ainsi conçu : « Si le fait « Le présente ni délit, ni contravention de police, le Tribunal annulera la citation et tout ce qui aura suivi; »

Par ces motifs,

Statuant par jugement contradictoire et en dernier ressort ;

Annule l'avertissement et renvoic le sieur Picard des fins de la poursuite sans amende ni dépens.

(Gazette du Palais, 4 juin 1891.)

No 44. COUR D'APPEL DE PARIS (1re Ch.).

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1° Aux termes de l'art. 4 de la loi du 15 avril 1829, la juridiction civile est compétente pour connaître, en matière de pêche fluviale, des contestations entre l'Administration et les adjudicataires, relatives à l'interprétation et à l'exécution des conditions des baux et adjudications;

2o Les tribunaux de droit commun sont compétents pour statuer sur la demande en dommages-intérêts formée par un adjudicataire du droit de pêche dans la Seine contre l'État et la ville de Paris, à raison du trouble que lui aurait causé l'autorisation donnée par arrêté préfectoral de déverser les immondices et matières fécales dans le lit de la Seine.

DESCOINGS ET CONSORTS C. L'ETAT ET VILLE DE PARIS

Le 22 février 1889, le Tribunal civil de la Seine avait rendu le jugement suivant

Attendu que Descoings et Cie ont été locataires, en vertu de procès-verbaux d'adjudication datant du mois de janvier 1878, de la pêche des 3o, 6o et 7e cantons de la Seine en aval de Paris, pendant une durée de neuf années,

qui ont pris fin en 1886; qu'ils prétendent avoir éprouvé une privation de jouissance et un préjudice considérable par suite de l'empoisonnement des eaux de la Seine provenant du déversement dans les égouts de la ville de Paris des vidanges de fosses d'aisances, système qui aurait été mis progressivement en pratique depuis le commencement de leur bail; qu'ils réclament en conséquence des dommages-intérêts tant à l'Etat, leur bailleur, tenu en cette qualité de leur assurer la jouissance de la chose louée, que contre la ville de Paris, comme auteur direct du préjudice; que l'État a lui-même appelé en garantie la ville de Paris;

Attendu qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 15 avril 1829, relative à la pêche fluviale, la juridiction civile est seule compétente pour connaître des contestations entre l'Administration et les adjudicataires, relatives à l'interprétation et à l'exécution des conditions des baux et adjudications; que l'Etat, défendeur à l'action principale, ne conteste point la compétence du Tribunal, mais que la Ville de Paris, qui n'a point été partie au bail, oppose au contraire l'exception d'incompétence tant à la demande directe de Descoings et Cie qu'au recours de l'État; qu'elle se prévaut des termes de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII, qui attribue au conseil de préfecture la connaissance des réclamations particulières pour les torts et dommages provenant des travaux publics ;

Attendu que, pour qu'un travail soit considéré comme travail public, il ne suffit pas qu'il ait été exécuté d'après les instructions des agents d'une administration publique et dans un but d'utilité générale; qu'il faut, en outre, que ce travail ait été autorisé par celui des pouvoirs publics dans les attributions duquel il rentre;

Attendu que la construction des égouts de a ville de Paris, leur entretien et leur fonctionnement constituent des travaux publics qui ont été régulièrement autorisés, mais que les égouts n'ont point été établis avec la destination de recevoir les immondices et encore moins la matière provenant des fosses d'aisances; qu'un arrêt du Conseil du roi du 22 janvier 1785 défendait à tout propriétaire de maisons en cette ville de pratiquer aucune ouverture ou coinmunication avec les égouts pour l'écoulement des latrines;

Attendu que cette défense a été expressément renouvelée en ce qui concerne les eaux des fosses d'aisances par l'art. 1er de l'ordonnance du 14 septembre 1814; que le décret du 26 mars 1852 a prescrit exclusivement l'envoi direct à l'égout des eaux pluviales et ménagères; qu'enfin l'ordonnance du 28 décembre 1850, en autorisant l'écoulement sur la voie publique des matières liquides des fosses d'aisances, a prescrit leur désinfection préalable; qu'en cet état de la législation, l'utilisation des égouts pour l'écoulement direct des vidanges et les dispositions à prendre pour les approprier à cet usage constituent un travail nouveau qui ne saurait être considéré comme travail public que s'il a été régulièrement autorisé;

Attendu qu'aux termes de l'art. 19 de la loi du 18 juillet 1837, qui régit encore la ville de Paris, les projets de construction, et en général tous les travaux à entreprendre dans l'intérêt de la commune doivent être tout d'abord l'objet d'une délibération du conseil municipal;

Attendu qu'il n'est pas allégué au nom de la Ville de Paris que son conseil municipal ait été appelé à délibérer antérieurement au mois de février 1887

sur l'adoption du nouveau système de vidange par les égouts et sur l'ensemble des mesures que comporte ce système ;

Attendu que, sans rechercher quant à présent si cette délibération suffirait pour légitimer la mise en pratique de ce genre de vidange, il est constant qu'avant cette délibération il ne pouvait à aucun titre être considéré comme régulièrement autorisé; que, si des expériences avaient déjà été faites et si, pour les faciliter, des aménagements nouveaux avaient dû être créés, ces diverses opérations, dues à l'initiative du préfet de la Seine ou de ses agents, ne remplissaient point les conditions nécessaires pour être qualifiées de travaux publics;

Attendu que le bail de Descoings et Cie a cessé en 1886, c'est-à-dire avant la délibération du conseil municipal; que dans le cas où il serait établi que le dommage dont ils se plaignent a été causé ou aggravé par les essais plus ou moins importants faits pour le compte et dans l'intérêt de la ville de Paris, ce dommage ne saurait être considéré comme provenant d'un travail public; qu'il n'y aurait donc pas lieu, en ce qui le concerne, à l'application de l'art. 4 de la loi de pluviôse an VIII;

Mais attendu que la plupart des expériences d'écoulement des vidanges par les égouts ont été faites par voie d'établissement, dans les maisons particulières, de fosses d'aisances d'après un modèle prescrit par l'Administration; que le préfet de la Seine, comme représentant de la Ville de Paris, a qualité, aux termes de l'art. 12 de la loi de brumaire an VII, et de l'art. 4 du décret de 1852, pour délivrer les autorisations de construire et faire à ce sujet toutes prescriptions dans l'intérêt de la sécurité et de la salubrité;

Attendu que la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ont fait défense expresse aux tribunaux de connaître des actes d'administration de quelque espèce qu'ils soient; que le Tribunal a pu, sans violer cette défense, et en faisant application des lois et ordonnances qui régissent la matière des égouts, reconnaître qu'un certain mode d'utilisation de ces égouts ne présentait pas le caractère d'un travail public régulièrement autorisé;

Mais attendu que, si les actes du préfet n'ont pu suppléer à l'autorisation du conseil municipal pour attribuer à ces travaux le susdit caractère, les permissions qu'il a données et les prescriptions qu'il a faites dans l'exercice de ses fonctions constituent des actes administratifs réguliers en la forme;

Attendu que les lois et ordonnances précitées, ayant pour objet de protéger l'intérêt et la salubrité publics, n'ont point créé au profit des particuliers des droits privatifs de la nature de ceux dont la sauvegarde appartient exclusivement à la juridiction ordinaire ;

< Attendu que cette juridiction, saisie de la demande de dommages-intérêts formée par Descoings, et fondée sur l'art. 1382 C. civ., ne pourrait faire droit à cette demande, non plus qu'au recours de l'Etat, qu'après avoir constaté que le préjudice provient d'un fait abusif et excédant les droits du défendeur; qu'il lui faudrait donc apprécier si le préfet, comme représentant de la ville de Paris, a excédé ses pouvoirs en prescrivant l'établissement de tel ou tel système de fosses d'aisances; que cette appréciation porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ; qu'il y a donc lieu de surseoir jusqu'à ce qu'il ait été statué sur point ce par l'autorité à laquelle il appartient d'en connaître ;

«Par ces motifs,

«Se déclare compétent,

« Dit toutefois qu'il y a lieu de surseoir à statuer au fond en ce qui concerne la Ville de Paris jusqu'à ce que l'autorité compétente ait décidé si le préfet de la Seine, agissant comme représentant de la Ville de Paris, a excédé ses pouvoirs en prescrivant des mesures ayant pour conséquence de faire écouler les vidanges des fosses d'aisances dans les égouts et des égouts dans la Seine,

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Considérant que s'il est allégué, en cause d'appel, que le 31 juillet 1890 le Conseil municipal de Paris a pris une délibération, et que le 10 novembre suivant le préfet de la Seine a pris un arrêté autorisant l'écoulement direct des fosses d'aisances dans certains égouts, cette autorisation n'a, dans tous les cas, précédé que de deux mois seulement l'expiration du bail de Descoings et consorts, lequel a commencé à courir de l'adjudication du 12 janvier 1878; qu'ainsi, même en admettant la légalité de l'autorisation dont s'agit, elle ne pourrait produire effet à l'encontre des concessionnaires de la pêche, pour le préjudice causé antérieurement;

Adoptant, au surplus, sur ce point, les motifs du jugement, lesquels répondent suffisamment aux conclusions des parties;

En ce qui touche le sursis :

Considérant que les premiers juges, se fondant sur le principe de la séparation des pouvoirs, ont sursis à statuer au fond jusqu'à ce qu'il ait été prononcé par l'autorité compétente sur la validité des actes administratifs invoqués au nom de la ville de Paris;

Considérant qu'il n'importe de rechercher ni si les autorisations accordées constituent de simples essais, ni si, dans les arrêtés préfectoraux dont excipent les appelants, le préfet a agi comme délégué du pouvoir central, ainsi qu'il le prétend, ou comme représentant de la Ville, chargé de la police municipale et de la salubrité, dans les termes du décret du 10 octobre 1859;

Considérant que la cause originelle du préjudice souffert par les concessionnaires n'est point le déversement des fosses d'aisances dans les égouts de la Ville de Paris, mais dans le lit même de la Seine; qu'il est incontesté que les rivières navigables font partie du domaine de l'Etat, qu'un arrêté du Conseil du 24 juin 1777, encore en vigueur, interdit la projection des immondices, et, par suite, des matières fécales, dans les cours d'eaux dépendant du domaine public;

Considérant que des condamnations ont été prononcées à diverses reprises, pour infractions de cette nature, contre des départements et des communes, au cours même du bail de Descoings, notamment par le Conseil de préfecture de la Seine, le 16 décembre 1880; que si ces infractions, réputées contraventions de grande voirie, sont déférées aux conseils de préfecture, cette attribution de juridiction en matière pénale ne modifie point les règles de la compétence en matière civile; qu'il n'y a donc lieu, dans l'espèce, à interpréta

TOME XVII

A OUT 1891.

V.- 9

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