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publiques se sont portées ailleurs dans les années qui ont suivi, beaucoup de cette haine voltairienne était restée dans les esprits; on a pu s'en convaincre dans ces dernier temps, et le succès du Juif errant n'est pas autre chose. Or, on ne discute pas ce qu'on hait. Avant tout, il faut donc persuader que le Catholicisme n'est point odieux; il faut prouver, par les témoignages qui font autorité comme par les faits, que, dans le présent et dans le passé, le Catholicisme est une doctrine bienfaisante, sociale, aimable, amie tout à la fois de l'intelligence, d'une activité saine, de la vraie liberté, du vrai progrès. Mais n'est-ce pas là une nouveauté?

Non. Cela peut-être neuf pour plusieurs, mais cela n'est point nouveau, et d'ailleurs si la doctrine catholique est immuable, les méthodes d'exposition ne le sont pas.

Avançons: le Catholicisme n'était point odieux seulement au dernier siècle; il était devenu ridicule.

Sur ce point l'ennemi a perdu plus de terrain que sur aucun autre; grâces en soient rendues à M. de Chateaubriand d'abord, puis à tant d'autres, anx adversaires comme aux apologistes, M. Guizot comme à M. de Maistre, à M. Michelet comme à M. de Lamartine. Et pourtant on n'a pas assez montré encore que rien n'est plus beau que le Catholicisme, que rien n'est plus grand, plus digne de l'admiration des hommes. A part quelques travaux vraiment sérieux, on n'a fait qu'effleurer le dogme, la morale, le culte catholique. Et, par exemple, nous assistons à peine à la renaissance du sens liturgique.

Bien plus, quelques esprits vifs ont dépassé le but, sacrifiant la démonstration à la préparation évangélique. D'autres ont chancelé sur l'immutabilité dů dogme, oubliant ce mot de saint Gélase qu'on doit bien se baisser pour tendre la main à ceux qui sont tombés, mais non pourtant jusqu'à se jeter soi-même dans le précipice 1. Plusieurs, au contraire, effrayés à bon droit en voyant les étoiles tomber du ciel, ont reculé, par un autre excès, bien en deçà du légitime élan du Catholicisme, et là se sont accroupis de peur d'être emportés hors des bornes.

Aux uns et aux autres, aux amis comme aux ennemis, on ne saurait trop rappeler l'immortel langage de Vincent de Lérins :

S. Gelas. ep. I.

« N'y aura-t-il donc aucun progrès dans l'Eglise? Il y en aura un, certes! et un très-grand. Qui en effet serait assez l'ennemi des hommes, assez maudit de Dieu, pour s'efforcer d'y mettre obstacle? Mais ce progrès sera un progrès dans la foi, et non une altération. Aussi bien, ce qui constitue le progrès, c'est que chaque chose se développe selon sa nature propre; ce qui au contraire constitue l'altération, c'est qu'une chose se transvertisse en une autre. Croissons donc, il le faut, avançons beaucoup, marchons avec ardeur, nous élevant comme par autant de degrés sur l'aile des âges et des siècles. Croissons, je ne dis pas seulement un à un, mais tous ensemble; je ne dis pas un seul homme, mais TOUTE L'EGLISE; croissons en intelligence, en science, en sagesse. Progressons, mais de l'unique progrès qui convienne à l'Eglise, c'est-à-dire dans l'unité de dogme, de sentiment, de pensée. Que la religion, qui est le lien des âmes, imite le développement des corps. L'effloraison de l'enfance ne ressemble pas à la maturité de l'âge; et pourtant le corps n'a point perdu son identité par l'évolution qui s'est faite en lui selon le cours des années. Le vieillard n'est pas un autre homme que l'adolescent; l'extérieur s'est modifié, mais c'est toujours la même nature, la même personne; tout ce que la virilité a fait paraître dans ce vieillard était caché, était en germe en cet enfant; l'enfant qui devient homme se développe, il ne change pas, il n'y a rien de nouveau en lui. »

Voilà ce qu'écrivait un moine, au Ve siècle, au fond d'un couvent de la Gaule narbonnaise, en présence de ces avalanches de Barbares qui semblaient balayer ou ensevelir toute civilisation sur la terre; il y a là (l'époque étant donnée) une sérénité de foi qui est tout simplement sublime. Et tout cela reste vrai au XIXe siècle.

Ecoutez, écoutez encore:

«O prêtre, continue ce moine, ô prêtre, ô écrivain, ô homme qui enseignes d'autres hommes, si tu as reçu de Dieu le don du génie, de l'élocution, de la science, que chaque dogme du symbole divin te soit un diamant sans prix, un diamant que tu as mission de polir, dont tu dois mettre en relief la splendeur, la grâce, la beauté. Ce qui, avant toi, était accepté comme certain, mais comme obscur, que tes explications le fassent resplendir aux yeux de l'intelligence de plus de développement et de plus d'éclat. Que par toi la postérité se félicite de mieux concevoir ce qu'avait cru de tout temps l'antiquité, mais sans bien le comprendre. Enseigne toutefois avec scrupule les mêmes choses qui te

furent enseignées, de peur qu'en ne voulant qu'être neuf tu ne te fasses novateur 1. »

Avançons encore.

Le Catholicisme, au dernier siècle, ne passait point seulement pour odieux et ridicule; il passait pour absurde. Là se présente un troisième ordre de préparation évangélique.

Il est des esprits sur lesquels glissent les paroles les plus émouvantes, les peintures les plus poétiques, les considérations les plus élevées. Qu'importe tout cela, par exemple, aux intelligences atrophiées dans les pures études mathématiques? Il faut commencer par leur établir que le Catholicisme est possible (oui, possible, c'est le mot propre); par leur montrer que, la vraie religion étant la science de l'infini et de ses rapports avec le fini, la notion même de religion implique celle de mystère; que le déisme, le panthéisme, l'athéisme même a les siens, et que tout se réduit à distinguer avec Leibniz entre les mystères qui ne sont que supérieurs à l'intelligence et ceux qui sont contraires à la raison. Tout géomètre digne de ce nom ne sait-il pas que les mathématiques ont aussi leurs mystères?

Jusqu'ici, toutefois, l'apologiste n'a fait que déblayer la route. Ici commence proprement la démonstration évangélique.

Le panthéisme aussi a ses côtés poétiques; il fascine par un semblant de grandeur. C'est un diamant faux qui, par mille facettes, ressemble à un diamant vrai. Il faut qu'il y ait quelque part un moyen de démêler le vrai d'avec le faux. C'est ici que le raisonnement reprend ses droits. Il ne suffit donc pas de parler à l'imagination, à la sensibilité, à l'intelligence même; il faut encore subjuguer la raison.

Après avoir montré que le Catholicisme n'est ni odieux, ni ridicule, ni absurde, on obtiendrait des plus exigeants de vouloir bien l'examiner au moins comme hypothèse, et ils vérifieraient sans trop de peine qu'il n'est point d'hypothèse plus raisonnable, puisqu'elle seule explique tout dans l'ordre moral, comme celle de Newton dans l'ordre physique. C'était là le grand argument de Pascal.

Mais ce n'est point assez encore de faire voir que le Catholi1 Vincent. Lerin., Commonitorium.

cisme est raisonnable; il faut démontrer qu'il est vrai. C'est le point culminant de toute apologie, le dernier terme de toute controverse.

« A ceux qui ont de la répugnance pour la religion, dit Pascal, il faut commencer par leur montrer qu'elle n'est point contraire à la raison; ensuite, qu'elle est vénérable, et en donner respect; après, la rendre aimable, et faire souhaiter qu'elle fût vraie; et puis, montrer par des preuves incontestables qu'elle est vraie; faire voir son antiquité et sa sainteté, par sa grandeur et son élévation; et enfin, de nouveau, qu'elle est aimable parce qu'elle promet le vrai bien 1. »

Tel est en effet l'ordre logique des idées, et, du temps de Pascal, dans un siècle logicien, il était naturel de suivre cet ordre. Nous l'avons un peu interverti, eu égard aux préoccupations de notre temps.

Au reste, un tel travail, on le sent, épuiserait plusieurs vies d'hommes, et ce n'est point à un seul qu'il est réservé.

Les uns donc montreront combien la religion est aimable; Les autres, combien elle est grande et belle;

D'autres, qu'elle n'est ni désavouée par la raison ni démentie par la science;

Ceux-ci, qu'elle est raisonnable;

Çeux-là, enfin, qu'elle est vraie.

Laquelle de ces tâches se sont choisie les auteurs du recueil FOI ET LUMIÈRES?

Et d'abord ces auteurs, qui sont-ils ?

En 1833, quand les passions antichrétiennes étaient loin d'avoir perdu toute leur force, des hommes de foi et de cœur jetaient à Nancy les fondements de la chose du monde la plus simple, et pourtant (aujourd'hui même encore) la plus rare en France, les fondements d'un cabinet de lecture chrétien. Ils voulaient combler un vide au milieu de tant de foyers d'instruction conçus en dehors de toute pensée religieuse; ils voulaient répandre le savoir chrétien, le rendre populaire, répondre ainsi à un besoin sérieux, le seul qui, dans ce genre, n'eût point encore été satisfait. » Cette association si naturelle, j'ai presque

D

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1 Pensées, éd. de Frantin, p. 52.

dit si nécessaire, c'est la société catholique de Nancy pour l'alliance de la foi et des lumières.

Jusqu'ici le lecteur n'entrevoit encore qu'une bonne pensée et un bon exemple; mais la société FOI ET LUMIÈRES de Nancy ne tarda pas à faire acte de vie. En 1838, elle publia ses Considérations sur les rapports actuels de la Science et de la Foi, qu'il n'est pas téméraire, je crois, d'attribuer à son président, M. Guerrier de Dumast, et qui ne sont pas le moindre service rendu par l'auteur à la grande et sainte cause de la vérité catholique.

C'est une seconde édition de ce travail que nous annonçons aujourd'hui ; mais la brochure de 1838 est devenue un livre.

Tout le monde commence à voir l'accord de la science et de la foi. Toutefois, pour avoir été aperçue et même traitée, cette question n'avait peut-être pas encore donné ce qu'on avait raisonnablement droit d'en attendre. Souvent (et je n'excepte pas de ce tort des écrivains d'un mérite supérieur, M. de Maistre, M. de Bonald) on n'a pas été assez sévère sur le choix des preuves, prêtant ainsi le flanc aux incrédules vraiment instruits. Ce reproche est particulièrement mérité par le troisième et le quatrième volume de l'Essai sur l'Indifference. Souvent aussi (et c'était peut-être un inconvénient inévitable) on a beaucoup délayé la chose; on l'a tour à tour enluminée d'une rhétorique prétentieuse ou affadie, et noyée dans des détails de mince ou de nulle importance.

Ne blamons personne. Chacun a eu son temps, sa tâche, sa part de mérite. Mais il faut en venir à la précision, à la netteté, à la vigueur, à l'utilité pratique, moins commune et plus précieuse que je ne puis le dire. Après les tâtonnements du début, quand on arrive à découvrir l'ensemble, à l'embrasser d'une seule vue, c'est le moment d'être court, de se résumer, de conclure, de produire quelque chose d'usuel, de fort, de bref, et pourtant de provisoirement complet. Tel est, à quelques imperfections près, le caractère des Considérations de M. de Dumast.

Ajoutez-y la création d'une œuvre vivante, d'une association publique, durable, fondée avec l'assentiment de tous, même du gouvernement; d'une association qui donne un corps, une forme visible, palpable, à cette idée féconde qu'il doit s'opérer une réconciliation entre la science religieuse et toutes les autres, à cette idée que les hommes de savoir et les hom

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