Page images
PDF
EPUB

« que, dans le pays soumis à notre très-cher fils l'empereur d'Au«triche, roi apostolique de Hongrie et illustre roi de Bohême, on a en«trepris une détestable (nefaria) conspiration contre la souveraineté « de ce sérénissime prince, conspiration clandestinement tramée par << les machinations de ces hommes qui, dans ces tristes temps, n'écou«tent que leurs passions, et, toujours agités comme les flots de la mer, « méprisent toute domination et blasphèment la majesté du trône, de «< ces artisans insidieux de mensonge, qui abusent d'une manière im<< pie du prétexte du bien public et de la religion, et s'efforcent de trom<< per les esprits inexpérimentés de la multitude, de l'induire en erreur, « et d'exciter des séditions, afin de renverser, s'il était possible, les « droits et l'ordre établi de toute puissance.

« Cette grave et triste nouvelle nous a, Vénérable Frère, extrême«ment affligé, car il nous est connu et prouvé combien est grande la « piété du sérénissime prince qui a bien mérité du Saint-Siége aposto«lique, qui soutient la religion catholique dans ses Etats, qui défend « avec soin ceux qui la professent et qui pourvoit de tout son pouvoir « au bonheur des populations. Nous en sommes d'autant plus affligé « que nous avons entendu dire que plusieurs ecclésiastiques ont été << misérablement trompés par de mauvais conseils et par des intrigues, « et que même plusieurs curés n'ont pas rougi, dans une affaire de si « haute importance, de manquer à leur devoir.

« Nous sommes persuadé, Vénérable Frère, que par votre vigilance « pastorale vous aurez cherché à préserver vos fidèles des embûches « et des séductions, et à les faire persévérer dans l'observance des pré«ceptes de la religion catholique et dans la foi envers leur souverain, << en lui restant soumis, non-seulement par crainte, mais aussi par << conscience, et en lui prêtant l'obéissance qui lui est due. Nous vous << adressons cependant cette lettre afin que vous enseigniez à vos << ouailles, avec un zèle encore plus grand, la sainte doctrine de l'o«béissance que tous les sujets doivent absolument aux suprêmes au<< torités, selon la maxime de saint Paul, apôtre, et selon le précepte «< même du divin Prince des pasteurs. N'oubliez pas surtout de rap«peler à leur devoir ces ecclésiastiques qui, oubliant leurs obliga<< tions et leur dignité, osent se mêler à ces mouvements séditieux; << ne cessez jamais d'exhorter votre clergé, afin qu'en se rappelant sa « vocation, et qu'en songeant sérieusement au ministère qu'il a reçu du «Seigneur, il fasse tous ses efforts pour éloigner les chrétiens, tant << avec les paroles qu'avec l'exemple, des conspirations perfides d'hom« mes séditieux, et pour leur apprendre que toute puissance vient de « Dieu [que, par conséquent, ceux qui résistent aux puissances résis<<< tent à l'ordre de Dieu et encourent la condamnation]; le précepte d'o

«<béissance ne peut donc être violé sans péché, sauf le cas où l'on com<< manderait quelque chose de contraire aux lois de Dieu et de l'Eglise.

« Nous ne doutons pas, Vénérable Frère, du zèle avec lequel vous « seconderez nos désirs et nos conseils, et ferez en sorte que les fidèles « confiés à vos soins aient en horreur et évitent les délires des esprits « égarés, les mouvements impies des hommes turbulents, et qu'ils « prêtent, selon la doctrine catholique, tout l'honneur et toute l'obéis«<sance à leur sérénissime prince.

« En attendant, nous vous attestons et confirmons par cette lettre [familière] (hac familiari epistola) la bienveillance particulière que « nous avons pour vous, et nous vous donnons la bénédiction apostolique « avec toute l'effusion de notre cœur et avec le désir que vous et vos a fidèles jouissiez de la véritable félicité.

« Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 27 février 1846, la sei«zième année de notre pontificat.

« GRÉGOIRE XVI 1. »

Après avoir rapporté la lettre du Pape, le Journal des Débats « s'estimait heureux de pouvoir reproduire, en même temps a que ce document, l'extrait suivant de la lettre pastorale que « M. l'archevêque de Paris venait d'adresser aux curés de son • diocèse. »

« Nous avons déjà invité les âmes pieuses à prier pour la Pologne ; « des prêtres pleins de foi nous engagent, N. T.-C. F., à recommander << encore à vos prières leur infortunée patrie. Une nouvelle catastro«phe, qui a profondément ému la France entière, est venue aggraver « des souffrances déjà bien grandes. Soulageons-les, si nous le pouvons, par des dons généreux, mais prions surtout celui qui tient « dans sa main les destinées des Etats et le cœur des rois de rendre << la paix à une contrée si digne d'intérêt par ses malheurs et par les « dangers auxquels sa foi est exposée. Si nous nous souvenons avec re« connaissance que la Pologne fut notre alliée, notre auxiliaire et notre « émule dans les combats, oublions encore moins une confraternité « plus précieuse. Enfants de la même Eglise, demandons pour ces « frères si cruellement éprouvés le secours qui seul peut les sauver « aujourd'hui. Seigneur, ils élèvent vers vous leurs voix du fond de « l'abîme où ils sont descendus! Soyez attentif à leur cri de détresse ! « Seigneur, vous êtes miséricordieux, c'est votre miséricorde infinie « qu'ils invoquent, et que nous invoquons avec eux. »

1 Nous avons vérifié, corrigé et complété cette traduction d'après le texte latin d'une lettre semblable adressée à l'archevêque de Lemberg, et imprimée dans cette dernière ville : les membres de phrase et mots que les journaux avaient onais sont indiqués par des crochets.

On fit remarquer au Journal des Débats qu'il s'était peut-être un peu pressé de mettre en contraste la rigueur du souverain Pontife pour les insurgés polonais et la commisération de M. l'archevêque de Paris. La différence de date et de destination de ces deux pièces suffisait pour expliquer cette contradiction apparente. A l'époque où la lettre du Pape fut écrite (le 27 février), la première nouvelle du soulèvement de Cracovie n'avait pu parvenir à Rome; il ne s'agissait encore que de conspiration, de projets qu'on pouvait espérer de prévenir par des conseils de sagesse et de modération, et ce n'était pas le cas de recommander la clémence au plus fort quand la lutte n'était pas même commencée.

Ces réflexions paraissent avoir inspiré quelques remords au Journal des Débats sur la sévérité de son jugement à l'égard des intentions du souverain Pontife. Le 4 avril, il consignait en ces termes l'expression de son repentir :

« On a fait observer, à l'occasion du bref adressé par le Pape à l'évêque de Tarnow, que les événements des provinces polonaises ne pouvaient être connus à Rome au moment où il a été rendu. Nous serons certainement très-heureux que la lettre du souverain Pontife puisse perdre le caractère qu'on aurait pu d'abord lui attribuer. Nous avions nous-mêmes, en la publiant, exprimé la conviction que, si le Saint-Père avait eu une connaissance exacte des tristes événements de la Pologne, il aurait senti la nécessité de prêcher la clémence au vainqueur. Le bref ayant été écrit avant que l'insurrection n'eût éclaté ou avant qu'on pût la connaître à Rome, on ne saurait qu'approuver les conseils pacifiques qu'il contient, et nous aimons à croire que le souverain Pontife a depuis intercédé pour les malheureux qu'il avait cherché à retenir. »

Nous n'avons pas à nous enquérir des vrais motifs de la palinodie du Journal des Débats. Quand M. l'archevêque de Paris avait parlé, quand M. le cardinal de Bonald avait publiquement souscrit en faveur des Polonais, la lettre du Pape n'était pas encore connue. Après qu'elle eut été publiée en France, les manifestations catholiques n'en continuèrent pas moins; on ne se crut pas obligé, devant la désapprobation apparente du souverain Pontife, de renier une cause qui, chez nous, a toutes les sympathies. M. l'évêque de Chartres se prononçait avec cette énergique franchise qui donne tant d'autorité à ses paroles;

M. l'abbé Combalot appelait la justice du ciel sur les oppresseurs couronnés qui dévorent les peuples comme un morceau de pain. (Ps. XIII, 6.) Le Journal des Débats se figurait donc avoir plus que jamais devant les yeux le consolant spectacle de la discorde des catholiques; n'avait-il pas quelque chance de l'accroître encore en applaudissant aux conseils pacifiques du Saint-Père? ce qui n'empêchait pas que l'effet n'eût été produit, et qu'on n'eût colporté avec fruit à la Chambre et dans les salons cette pièce inestimable qui prouvait l'incompatibilité du Catholicisme avec les doctrines et les sympathies libérales.

Nous n'abandonnons point la lettre du souverain Pontife à cette odieuse interprétation. La question de date est capitale, et le Journal des Débats l'a lui-même reconnu. La pièce d'ailleurs est écrite dans une intention particulière, le Pape a soin de lui assigner le titre de lettre familière; celui d'encyclique qu'on lui a donné est le résultat d'une erreur; elle ne contient et ne pouvait contenir qu'une des faces de l'immense question qu'elle touche, celle du devoir de soumission des chrétiens aux gouvernements temporels. Quand il s'agit de prévenir des désordres et des massacres dans l'intérêt de l'humanité, la recommandation d'obéissance ne saurait être trop expresse, et les paroles absolues de l'Apôtre semblent devoir être présentées dans toute leur rigueur.

L'Autriche a d'ailleurs trompé le Saint-Père par les apparences, comme nous tous. Des trois gouvernements qui ont profité du partage de la Pologne, celui de l'Autriche est le seul qui professe le Catholicisme, et la Prusse a maintenu dans le duché de Posen un système de tolérance dont les catholiques ont profité. Quelle différence, sous le rapport de la foi, entre le sort de ces Polonais et celui de leurs frères qu'opprime la Russie! Le Saint-Père, qui s'adressait à des prêtres, devait leur faire sentir la nature toute spéciale de leur devoir envers des puissances qui les protégent. L'Eglise n'est point habituée aux faveurs des princes: aussi sa reconnaissance, dans tous les temps et dans tous les lieux, a-t-elle dù paraître excessive,

Nous avons été douloureusement émus de la lettre du souTerain Pontife: pourquoi chercherions-nous à le dissimuler? Mais peut-être mettons-nous dans cette impression la promptitude de nos éme tions françaises. Les conseils d'une pru

dence toute paternelle nous paraissent intempestifs et presque rigoureux, parce que nous ne nous reportons pas au moment où le document fut écrit. Rappelons-nous pourtant ce que nous éprouvions alors, ce que nous disions nous-mêmes. L'insurrection n'était pas un crime à nos yeux; c'était du moins une faute et une folie. Mais aujourd'hui, après les supplices ignominieux de Varsovie, après les massacres de la Gallicie et la proclamation de l'empereur qui en assume la responsabilité 1, après l'ex

1 Les journaux de Vienne publient la proclamation suivante, adressée, le 12 mars, par l'empereur d'Autriche, aux habitants de la Gallicie:

« A mes fidèles Galliciens.

Nous avons eu à supporter de rudes épreuves dans ces dernières semaines. Une conspiration ourdie à l'étranger et préparée depuis longtemps par les ennemis de l'ordre et de la civilisation a pénétré dans mon royaume de Gallicie. Les conspirateurs ont réussi à gagner des partisans qui nourrissaient le fol espoir de vous entraîner tous dans leurs projets criminels. Pour atteindre ce but, ils ont eu recours à tous les artifices de la séduction, à tous-les genres de promesses. Ils n'ont pas craint d'égarer les sentiments les plus honorables pour en abuser honteusement. Votre bon sens et votre fidélité sont restés inaccessibles à ces perfides tentatives. Lorsque les conspirateurs, se livrant à leurs illusions insensées et à leur aveugle audace, ont arboré le drapeau de la révolte, cette coupable entreprise a échoué contre la ferme résistance qui leur a partout été opposée. Mon cœur éprouve le besoin de faire savoir solennellement à nos fidèles Galliciens toute la reconnaissance dont il est pénétré pour leur loyauté et leur inébranlable fidélité envers leur souverain. Maintenant que vous vous êtes levés pour le maintien de l'ordre et des lois, et que les projets de leurs ennemis sont anéantis, vous allez retourner dans vos foyers et reprendre le cours de vos paisibles travaux. Vous montrerez de nouveau, par l'accomplissement de vos devoirs de loyaux sujets, que vous avez non-seulement combattu pour les lois, mais encore voulu les consolider par l'obéissance et la soumission.

Signé FERDINAND. »

Les mêmes journaux publient deux lettres de félicitation de l'empereur, adressées, J'une à l'archiduc Ferdinand d'Est, gouverneur de la Gallicie, l'autre aux fonctionnaires de la province.

En commentaire à ces actes, nous insérons ici plusieurs extraits de lettres particulières émanées de personnes respectables et dont nous garantissons l'authenticité.

« C'est vers le 18 février qu'ont commencé ces scènes d'horreur et de carnage qui durent encore. Les manoirs de la noblesse ont été brûlés, les seigneurs massacrés avec leurs femmes et leurs enfants. En mutilant le corps des victimes, on conservait leurs têtes intactes, afin d'en constater l'identité. Des femmes nobles ont subi des tortures plus affreuses que la mort. Les régisseurs des terres et les gens de service partagèrent le sort de leurs maîtres; on n'épargna pas les ministres des autels, et des mains sacriJéges répandirent le sang du clergé. Les bourgeois de plusieurs villes furent passés au fil de l'épée. Tout ce qui portait habit n'existe plus, c'est-à-dire que des hordes devenues sauvages ont immolé toutes les classes éclairées de la nation.

«Mais ce qu'il y a d'étonnant dans une révolution aussi terrible, c'est que pas un scul employé du gouvernement n'a été lésé; les courriers et les diligences munies

« PreviousContinue »