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Ire ANNÉE.

N° 2.

15 MAI 1855.

JOURNAL DES TRIBUNAUX

ET DE JURISPRUDENCE,

PARAISSANT LE 1er et le 15 de CHAQUE MOIS.

Prix de l'abonnement: dix franes par an. On s'abonne à Lausanne, chez J. S. Blanchard aîné, rue Petit S' Jean, 3. Lettres et argent

franco.

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AVIS.

Une série d'articles sur le droit fédéral étaient préparés, de manière à faire un ensemble, lorsque le rédacteur apprit qu'un 4e volume du recueil fédéral allait paraître dans un mois et que les nouveaux codes qu'il contient apporteraient d'assez notables changements aux dispositions des précédents volumes et aux lois vaudoises; dans cette position des choses, il a paru prudent de retarder le commencement de cette série d'articles, afin de n'avoir pas à y revenir. En attendant on publiera successivement quelques jugements concernant la législation fédérale.

Jugement et arrêt

sur une question de contrat de mariage et de succession ab intestat.

Art. 542 du code civil. Lorsque l'un des époux est mort sans enfants, mais laissant père ou mère, frère ou sœur, même uté, rins ou consanguins, ou descendant d'eux, l'époux survivant hérite du quart de ses biens.

Art. 705. L'époux ne pourra, par contrat de mariage, pour le cas où il ne laisserait point d'enfants ni descendants, disposer en faveur de l'autre époux en propriété que du quart des biens et en outre de l'usufruit de la totalité.

QUESTION: L'époux survivant peut-il cumuler les avantages du contrat et ceux de la succession ab intestat?

TRIBUNAL CIVIL DU DISTRICT DE LAUSANNE.

Séance du 3 février 1855.

Présidence de M. Guisan.

Présents: MM. les juges De la Harpe, Milliquet, Dériaz et Bardet. Le greffier.

Huissiers.

Le tribunal est assemblé à dix heures du matin pour le jugement de la cause veuve S. et consorts contre Mr de M.

Ensuite d'assignation à ce jour comparaissent :

D'une part, Victor Jossevel, procureur-juré à Lausanne, mandataire de Mme veuve S., de dame L., née S., et de Mr Victor S., demandeurs. Il est assisté de l'avocat Rogivue. D'autre part, M. Charles François de M., domicilié à Lausanne, défendeur. Il est assisté de l'avocat Guisan.

La séance est publique.

L'onglet des pièces est déposé sur le bureau.

L'officier du ministère public avisé n'intervient pas.

Mr Jossevel produit:

1° Procuration de Mme Julie L., née S.; cette procuration est munie de l'autorisation de Mr Fréd. L., mari de la mandante, et d'une autorisation de Louis S., oncle paternel de Mme L., laquelle est d'ailleurs autorisée par son cousin-germain, le citoyen Rogivue, ici déclarant.

2o Procuration de vcuve S., née D., laquelle est autorisée par son conseil judiciaire, le citoyen Rogivue-Troxler, ici déclarant.

3o Extraits des registres de la justice de paix du cercle de Lausanne, constatant la nomination du susdit conseil judiciaire de Mme la veuve S.

Les avocats des parties ont été entendus sur les faits et sur le droit; puis le programme des faits de la cause a été arrêté dans la tencur suivante :

Faits reconnus constants.

1° Par contrat de mariage du 17 octobre 1848, auquel soit rapport, entre Ch. François de M. et Jeanne Louise Marguerite S., veuve J., les époux se donnent réciproquement l'usufruit de la totalité des biens de l'époux prédécédé.

2o Par l'art. 4 du contrat, l'épouse donne à l'époux à titre de don de survie le quart de ses biens.

3° Par l'art, 5, il est réservé que les stipulations contenues aux art. 2, 3 et 4 devront déployer leur effet sans préjudice aux avantages ultérieurs qui pourraient s'ouvrir en faveur de l'un ou de l'autre des époux en vertu de la succession testamentaire ou ab intestat de l'époux prédécédé.

4° La dame de M. est décédée le 27 août 1850, sans laisser d'enfants et sans avoir fait de testament.

5o Lors de la passation du contrat de mariage, les héritiers ab intestat de Mme veuve J., née S., étaient, outre les demandeurs actuels, Elise S., atteinte d'infirmité mentale et dès lors décédée.

Il n'y a pas de questions de faits à résoudre.

Les parties conviennent de prendre connaissance du jugement au greffe dans la journée de demain et de déposer leur état de frais dans la huitaine.

Il est entendu que le délai pour recourir en cassation ne commencera à courir que dès demain.

Le procès-verbal de la séance est lu et approuvé en public. Le président, Guisan. Le greffier, S. Delisle.

Du 3 février 1853.

Le tribunal, qui a toujours été au complet, entre immédiatement en délibération à huis clos.

Il est fait lecture des conclusions des parties.

« Celles des demandeurs tendent à ce qu'il soit prononcé >> par sentence avec dépens, que Mr Ch. Fr. de M. doit opter » entre les avantages qui lui sont faits par le contrat de mariage » du 17 octobre 1848, et la part qu'il aurait droit conformé

» ment à l'art. 542 du code civil, ou qu'à ce défaut il soit D prononcé que M' de M. doit se contenter des avantages qui » lui sont assurés par le dit contrat de mariage. »

Celles du défendeur tendent à libération des conclusions de là demande et ce avec dépens.

Passant ensuite au jugement et considérant en fait que, par leur contrat de mariage reçu le 17 octobre 1848, Charles François de M. et Jeanne Louise Marguerite J., née S., se sont donné réciproquement l'usufruit de la totalité des biens de l'époux prédécédé ;

Que par l'art. 4 du dit contrat l'épouse fait donation à son époux du quart des biens qu'elle laisserait et cela à titre de don de survie;

Que, dans le même acte, il est expressément dit à l'art. 5 que les stipulations contenues aux art. 2, 3 et 4 devront déployer leur effet sans préjudice aux avantages ultérieurs qui pourraient s'ouvrir en faveur de l'un ou de l'autre des époux, en vertu de la succession testamentaire ou ab intestat de l'époux qui décéderait le premier.

Considérant en droit que les art. 541* et 542 du code civil, qui donnent à l'époux survivant une part dans la succession de son conjoint décédé sans enfants, ne distinguent nullement le cas où il y a contrat de mariage de celui où il n'y en a point, et que ces articles ne renferment aucune restriction quelconque au droit conféré à l'époux survivant;

Qu'il suit de là que dans tous les cas, soit qu'il y ait des avantages contractuels, soit qu'il n'y en ait pas, l'époux survivant venant à la succession de son conjoint en vertu de la loi, a droit d'y prendre la part qui lui est attribuée;

Que la limite posée à l'art. 705 et la prohibition de l'art. 708** ne se rapportent uniquement qu'aux dispositions entre époux par contrat de mariage.

Art. 541. Lorsque l'un des époux est mort sans enfants, père, mère, frères ou sœurs ou descendants d'eux, l'époux survivant hérite de la moitié de ses biens.

** Art. 708. Les époux ne pourront se donner indirectement au delà de ce qui leur est permis par les dispositions ci-dessus.

Considérant qu'aucune disposition législative n'interdisant à l'époux survivant la faculté de cumuler les avantages qui lui sont faits par contrat de mariage avec ceux qui résultent de la loi, ce droit ne peut être contesté.

Considérant, en outre, que l'art. 5 du contrat de mariage ne laisse aucun doute sur la volonté des parties contractantes, qui était de laisser l'époux survivant au bénéfice de tous les avantages qui pouvaient s'ouvrir plus tard en sa faveur, et que la convention qui y est renfermée n'est point contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs;

Par ces motifs, le tribunal unanime accorde au défendeur ses conclusions libératoires.

Les demandeurs sont condamnés aux dépens.

Le présent jugement a été lu et approuvé à huis clos par le tribunal, puis rapporté en séance publique le dit jour 3 février 1853, à deux heures et demie de l'après midi.

L'état général des frais des demandeurs a été réglé à ..... Celui du défendeur à 231 fr. 05 c.

Le président, Guisan.

Le greffier, Delisle.

ARRET DU TRIBUNAL DE CASSATION.

Du 31 mars 1855.

Le procureur-juré Jossevel, mandataire de la veuve S., D., de Victor S.-M. et de Julie L., née S., s'est pourvue contre le jugement du tribunal civil du district de Lausanne du 3 février 1853, rendu dans sa cause contre Charles François de M.

Comparaissent, d'une part, le procureur-juré Jossevel, assisté de l'avocat Rogivue; d'autre part, Charles François de M., assisté de l'avocat Guisan.

Le procureur-général n'intervient pas.

L'audience est publique.

Il est fait lecture du jugement du tribunal civil et de l'acte de recours. La procédure a été lue en particulier par chaque juge.

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