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Ouï les avocats de la cause;

La cour délibérant a vu qu'il est admis comme constant en fait que, par contrat de mariage fait le 17 octobre 1848, entre Charles François de M., défendeur au procès, et Jeanne Louise Marguerite S., veuve J., ces époux se sont donné réciproquement l'usufruit de la totalité des biens de l'époux qui décéderait le premier; que, par l'art. 4 du contrat, l'épouse a donné à son futur époux, à titre de don de survie, le quart de ses biens; qu'il est réservé par l'art. 5 que les stipulations contenues aux art. 2, 3 et 4 devront déployer leurs effets sans préjudice aux avantages ultérieurs qui pourraient s'ouvrir en faveur de l'un ou l'autre des époux, en vertu de la succession testamentaire ou ab intestat de l'époux qui décéderait le pre- · mier;

Que la dame de M., née S., est décédée le 27 août 1850, sans laisser d'enfants et sans avoir fait de testament;

Que les demandeurs en cause ont ouvert action à Charles François de M. et ont conclu à ce qu'il soit tenu d'opter entre les avantages qui lui sont faits par le contrat de mariage susmentionné, et la part à laquelle il aurait droit conformément à l'art. 542 du code civil, ou qu'à ce défaut Ch. Franç. de M. doit se contenter des avantages qui lui sont assurés par le dit contrat;

Que le tribunal civil a refusé ces conclusions et que le représentant des demandeurs s'est pourvu contre le jugement.

Délibérant sur les moyens énoncés au recours et qui consistent à dire que le tribunal civil avait mal interprété l'intention des parties exprimée à l'art. 5 du contrat; mal interprété et faussement appliqué les art. 705 et 542 du code civil, et violé l'art. 708, ainsi que l'art. 4 du code, en admettant le cumul des avantages qui résultent de la succession ab intestat et de ceux qui résultent du contrat de mariage.

Considérant que, d'après les dispositions de nos lois (code civil art. 703* et suivants), les époux peuvent se faire réci

* Art. 703. Les époux pourront, par contrat de mariage, se faire réci proquement ou l'un des deux à l'autre telle donation qu'ils jugeront à propos, sous les conditions ci-après exprimées.

proquement par contrat de mariage donation de leurs biens en cas de survie et dans les limites déterminées par la loi ;

Que la limite aux donations entre époux, par contrat de mariage, est fixée par l'art. 705 au maximum du quart des biens, et de l'usufruit de la totalité, pour le cas où l'époux donateur ne laisserait pas d'enfants;

Considérant que si l'art. 708 prohibe toute donation directe ou indirecte au delà des limites contenues dans les dispositions spéciales au contrat de mariage (art. 703 et 708), il est évident que la prohibition ne s'étend qu'aux donations contractuelles, les seules auxquelles l'art. 708 se réfère;

Qu'en apportant cette limite aux libéralités que les époux auraient été disposés de faire lors du contrat de mariage, la loi a ainsi sagement empêché ces donations imprudentes de tous les biens de la part d'un époux en faveur de l'autre époux, qui auraient eu l'effet de le dépouiller dès ce moment de tous ses biens et de lui enlever toute disposition ultérieure.

Considérant que la loi, après avoir posé cette limite aux libéralités par contrat, n'a point statué qu'en cas de telle donation entre époux ces libéralités seraient exclusives du droit en faveur de l'époux survivant, de prendre une part quelconque dans la succession de l'époux prédécédé;

Qu'il n'existe non plus aucune disposition générale de laquelle on puisse inférer que la faculté soit refuséc à l'époux survivant de réunir aux avantages contractuels ceux qui résultent pour lui des dispositions sur les successions;

Que les art. 541 et suivants du code susmentionné qui règlent les droits de l'époux survivant sur la succession ab intestat de son conjoint, n'apportent aucune restriction résultant de donations contractuelles qui auraient été faites entre époux au droit absolu du survivant à prendre une part dans cette succession, alors que l'époux décédé ne laisse pas d'enfants;

Que, de même, aucune obligation de faire opter entre les avantages contractuels et ceux de la succession ab intestat n'est imposée à l'époux survivant.

Considérant que les demandeurs reconnaissent eux-mêmes

dans leur demande écrite que si l'épouse de M. décédée avait donné tous ses biens à son époux, par disposition testamentaire, ce dernier aurait eu droit à retirer à la fois les avantages contractuels et ceux que lui aurait faits le testament.

Considérant, dès lors, que l'on ne saurait se prévaloir d'aucun principe de droit pour contester à l'époux survivant la faculté de réunir aux donations faites par contrat les avantages de la succession ab intestat, puisque l'ordre des successions fixé par la loi a l'effet de remplacer les dispositions testamentaires que le défunt n'a pas prises et n'est nullement exclusif des dispositions convenues par contrat;

Que le contrat de mariage n'a pas pour but de régler des droits de succession; qu'il a pour objet des dons, en cas de survie entre époux, ou des dons en leur faveur, sans qu'on puisse assimiler cet acte à un testament;

Considérant, enfin, que la clause 5 du contrat de mariage des époux de M. qui réserve les avantages auxquels la succession testamentaire ou ab intestat pourrait donner ouverture, ne renferme aucune stipulation de don, qu'elle ne change en rien l'ordre des successions et qu'elle a laissé aux époux liberté entière de disposer ultérieurement de leurs biens, soit en faisant un testament, soit en laissant à la loi la distribution de ces biens par succession ab intestat; que l'intention qu'elle manifeste est ainsi légale ;

Qu'en exprimant la réserve susmentionnée, les époux de M. n'ont fait que d'énoncer leur opinion, savoir qu'ils entendaient que les dons réciproques de survie qu'ils se faisaient n'excluaient pas la faculté qu'ils avaient de se faire de nouveaux avantages par testament ou de venir concourir à la succession de celui qui prédécéderait et mourrait ab intestat;

Que si même ils se fussent dispensés d'exprimer leur intention à cet égard, les effets de la mort de l'un d'eux n'en eussent pas moins été les mêmes à l'égard du survivant.

Considérant que le tribunal civil n'a pas mal appliqué la loi aux faits reconnus constants; qu'il a bien interprété le contrat et qu'il n'a pas violé la loi sur la matière;

La cour de cassation civile rejette le recours, maintient le jugement du tribunal civil et condamne les demandeurs veuve S. et consorts aux dépens résultant de leur recours.

Le président, Ruffy.

Le greffier, Vautier.

Voici quelques notes sur cette question difficile :

1. La cour de cassation a émis l'opinion que si même les époux se fussent dispensé d'exprimer leur intention de se réserver réciproquement les avantages ab intestat, ils n'en auraient pas moins été au bénéfice de pouvoir cumuler ces avantages. Il semble que l'expression de cette opinion n'était pas nécessaire, le contrat étant là. - Il peut y avoir des inconvénients à fixer des théories juridiques au de-là de ce qui est nécessaire pour conduire au dispositif.

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2. Un arrêt de février 1836, rendu par le tribunal d'appel, a décidé que la clause des moitiés-acquets ne constituait point un avantage mais seulement un mode de vivre entre époux, et qu'ainsi cette clause ne renfermait ni une portion du quart disponible, ni un avantage qu'on pût ou ne pût pas cumuler avec la part héréditaire ab intestat.

3. L'augment est-il un don ou un gain de survie ? Plusieurs pensent que ce n'est ni l'un ni l'autre, mais seulement une compensation pour l'époux de ce que le régime dotal peut avoir de défavorable pour elle. La solution de cette question pourrait dépendre de la quotité de la dot et de celle de l'augment.

4. Loi 1, folio 313 du coutumier. « La femme mariée décédant de ce monde, sans enfant, avant son mari, icelui héritera la moitié des biens d'icelle, tant meubles qu'immeubles, et l'autre moitié parviendra aux plus proches parents de la défunte, sinon qu'ils aient autrement convenu par contrat de mariage et au réciproque, avenant que le mari décédât avant sa femme, aussi sans laisser d'enfants, elle héritera la moitié des biens d'icelui, tant meubles qu'immeubles, sinon aussi qu'ils aient autrement contracté par leur mariage. >>

Boive, dans son commentaire, s'exprime comme suit : « La réserve contenue dans la loi, sinon qu'ils aient autrement contracté, a été différemment expliquée. On a prétendu que la réserve ne signifiait autre chose sinon qu'ils eussent arrêté quelque condition dans leur traité, comme celle de l'augment, de l'usufruit ou de quelque donation, mais sa véritable interprétation est celle-ci : sinon que par traité de mariage ils aient stipulé une renonciation à cette succession future. C'est ainsi qu'il a été décidé par la cour baillivale de Morges, le 7 juin 1735, confirmé par la suprême chambre, le 16 juillet suivant, et ensuite par arrêt souverain, du mois de mars 1736. »

5. Quelques anciens praticiens voyaient quelquefois dans les clauses diverses des contrats de mariage, des pactes successoires souvent à peine déguisés; partant de là, ils pensaient que lorsqu'il y avait donation actuelle rien ne s'opposait à l'accumulation des avantages par contrat et par succession ab intestat, mais qu'il en était autrement lorsqu'il s'agissait des gains de survie, ceux-ci ne pouvant pas être envisagés autrement que comme part héréditaire. Art. 702. « Toutes donations faites aux époux par leur contrat de mariage seront, lors de l'ouverture de la succession du donateur, réductibles à la portion dont la loi lui permettait de disposer. Ils en concluaient qu'il ne pouvait pas y avoir accumulation des gains de survie et de la part héréditaire ab intestat.

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