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Question de preuve au civil.

AUDIENCE DE LA COUR DE CASSATION CIVILE

du 15 juin 1852.

Présents MM. les juges Henry, Jan, Dumartheray, Borgognon, Bippert, Bornand, et le greffier.

Henri C., de Corcelles, s'est pourvu contre le jugement incidentel rendu par le tribunal civil du district d'Oron, en date du 4 mai 1852, dans la cause entre le recourant et Jean-Abram P., du dit Corcelles.

L'audience est publique.

Jean-Abram P. est présent à la barre.

Il est fait lecture du jugement attaqué et de l'acte de recours; les pièces et mémoires ont été lus en particulier par chaque juge.

le

La cour délibérant a vu que, dans le procès qui s'est élevé entre parties ensuite de l'opposition que Henri C. a apportée à la saisie-arrêt faite en ses mains par Jean-Abram P., comme créancier perdant de Jean-Baptiste C. failli, l'opposant a prétendu ne rien devoir à la masse en discussion, tandis que créancier saisissant estime que le dit Henri C. aurait induement été admis à intervenir au nom de la créancière, en vertu d'un billet de 2000 fr. souscrit, le 17 février 1838, par lui et par le failli en faveur de la femme Gilliéron, et aurait induement touché pour son compte particulier la somme de 278 fr. sur laquelle porte la saisie, puisque en 1844 Jean-Baptiste C. payant la moitié du billet de 2000 fr. avait obtenu quittance au pied du titre pour sa part de la dette;

Qu'aux débats, P. a allégué que la bissure qui se voit dans une partie de cette quittance au bas du titre, et de laquelle partie résultait la preuve de la libération du failli C., n'existait pas lorsque la veuve Gilliéron a remis le titre du 17 février 1838 à Jean-Henri C., et que cette rature partielle s'y trouvait lorsque celui-ci lui a rendu le titre ;

Que P. a demandé de prouver ce fait, ainsi que d'établir quels étaient les mots qui sont actuellement biffés, et qu'il a désigné la veuve Gilliéron pour faire cette preuve par son témoignage, et de plus, Jean-Michel C.;

Que Henri C. s'est opposé à cette preuve par divers moyens, et que le tribunal l'a admise par un jugement contre lequel recourt le dit C.

Statuant d'abord sur le premier moyen du recours ainsi conçu la preuve demandée tend à établir l'altération d'un titre ; cette altération constituerait un faux, et un faux ne saurait être l'objet d'une preuve civile.

Considérant que Jean-Abram P. demande de pouvoir faire constater quels sont les mots qui, dans la quittance du 18 avril 1844, ont été biffés, et que la biffure qui en a été faite l'a été depuis une époque désignée ;

Qu'il n'attribue pas cette biffure à un fait dolosif; qu'il nʼinvoque nullement la loi pénale et n'argue pas de faux l'acte en question ;

Que son but cst purement civil, savoir : la restitution ou le rétablissement des termes complets de la quittance qu'il estime avoir subi une radiation partielle, et cela afin de démontrer aux juges que le failli C. n'était plus débiteur du titre de 1838.

Considérant, dès lors, que l'existence d'un délit n'est point alléguée; que la preuve demeure dans les limites d'un fait civil duquel on ne tire aucune inférence coupable; ensorte que les dispositions des art. 117 et suivants du code de procédure pénale, 111 et suivants du code de procédure civile*, cités dans le recours , ne sont pas applicables au cas actuel.

* Art. 111 du code de proc. civ. Lorsque dans le cours du procès, l'une des parties allégue, ou lorsque l'office constate l'existence d'un délit, le tribunal, sur la demande de l'une des parties ou du ministère public, examine d'abord si le fait est de nature à exercer une influence sur la contestation. · 1o En cas de réponse négative la question pénale est traitée séparément dans la forme ordinaire et le procès civil n'est pas interrompu. - 2o En cas de réponse affirmative il est procédé conformément aux articles suivants; ces articles concernent le mode de suspension du procès civil.

Sur le deuxième moyen motivé sur ce que l'on ne voit pas que le fait à prouver ait un intérêt pour la cause.

Considérant que P. estime que les mots de la quittance qui se trouvent biffés établiraient la libération du failli C. vis-à-vis de l'intervention pour le titre de 1838, ensorte que la valeur de 278 fr. aurait été mal à propos payée, et qu'il a pu la saisir ;

Que, dès lors, la preuve a un intérêt réel pour le procès. Sur le troisième moyen portant que cette preuve serait une dérogation aux art. 974 et 995 du code civil";

Considérant que la preuve entreprise ne tend point à combattre la teneur de l'acte, ni à établir une obligation à la charge de C., puisqu'il s'agit, d'après les termes même de l'entreprise à preuve, de rétablir le sens d'un acte qui aurait éprouvé une rature;

Qu'en outre l'art. 1000** du code susmentionné autorisc l'emploi de la preuve testimoniale lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit ; que la quittance en question, dans son état actuel, doit être envisagée comme un commencement de preuve par écrit.

* Art. 974. Lorsque la preuve littérale résulte d'un acte valable il n'est point permis d'employer la preuve testimoniale ou celle par le serment d'une des parties contre la teneur de l'acte.

Art. 975. Cette règle n'est pas applicable lorsqu'il s'agit uniquement de prouver qu'il a été dérogé à l'acte ou d'expliquer l'acte sans en détruire la lettre, ou de prouver que l'acte est simulé. Néanmoins la preuve de la simulation n'est pas admise en faveur des parties contractantes, ni de leurs héritiers.

Art. 976. La preuve du faux de l'acte pourra être entreprise, conformément aux règles de la procédure civile ou de la procédure criminelle, selon le cas.

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** Art. 1000. Les règles ci-dessus reçoivent une exception lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit. On appelle ainsi tout acte par écrit, qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué.

La cour de cassation civile rejette le recours, maintient le jugement du tribunal civil et condamne Henri C. aux dépens résultant de son recours.

-

La question de savoir quand des preuves sont permises ou défendues a toujours de l'importance dans les procès; il est en conséquence utile de constater les jugements rendus sur cette matière. Il est bon de remarquer ici que les art. 974, 975 et 976 du code vaudois ne se trouvent pas dans le code français. On a voulu, sans doute, dans notre code civil, respecter l'ancien usage de la procédure d'alors qui défendait de faire preuve contre preuve, ainsi que d'employer à la fois plusieurs genres de preuves. Maintenant ces articles du code forment presque un contre sens en beaucoup de cas, du moins avec les principes contraires introduits dans le nouveau code de procédure civile. En effet, d'après nos nouvelles idées sur la procédure, la conviction morale du juge est la loi suprême. On peut en général faire preuve contre preuve et essayer toutes les preuves à la fois, ce qui est presque la même chose que preuve contre preuve.

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Cour de Cassation.

Séance du 6 octobre 1853.

Présidence de M. Jan.

Jean Samuel D., de Combremont-le-Grand, recourt contre le jugement rendu le 10 août 1852 par M. le procureur de la section de Combremont, dans sa cause contre le procureur M. au nom de la banque cantonale.

L'audience est publique.

Il est fait lecture du jugement attaqué et de l'acte de recours. Délibérant sur l'unique moyen de recours présenté, consistant à dire que les art. 974, 980, 985, 1207 du code civil ont été violés; qu'il y a cu fausse application des titres en la cause

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et spécialement de la sous location légalisée le 9 septembre 1847, la cour a vu que Louis D. père a loué de la commune de Combremont-le-Grand diverses parcelles de terrain;

Que le procureur M., au nom de la banque cantonale, a saisi les récoles des terrains amodiés par le père D.;

Que le fils D. a opposé la saisie, fondé sur ce que, par acte du 9 septembre 1847, légalisé le même jour, il a sous-loué de son père les dites parcelles;

Que le président de la section de Combremont a mis de côté l'opposition de D. fils et accordé au procureur M. ses conclusions libératoires.

Considérant qu'un contrat est intervenu entre D. père et fils; que ce contrat les lie réciproquement.

Considérant que si la preuve de la simulation leur est interdite, elle est cependant permise au tiers; considérant que des preuves entreprises et des éléments de la cause le juge a déduit des faits qui établissent la simulation et a ainsi acquis la conviction que le père D. ne cherchait qu'à frustrer ses créanciers.

La cour de cassation rejette le recours de D. fils, maintient le jugement susmentionné, le condamne aux dépens résultant de son recours et à l'amende de dix francs, en vertu de l'art. 421 du code de procédure civile.

Les locations et les sous-locations sont des moyens faciles de mettre les biens d'un débiteur à l'abri de l'action de ses créanciers. Le jugement qui précède a consacré une doctrine fondée en droit et en équité, en prononçant que la simulation pouvait être prouvée par des tiers. - La banque avait un grand intérêt à faire décider la question.

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