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Ce n'est également que dans les deux circonstances qui viennent d'être indiquées, que le juge doit ou peut tenir compte des usages nouvellement introduits. Du reste, ces usages ne sauraient déroger à la loi ; ils n'ont même, pour son interprétation, que la valeur d'une autorité morale.

Un usage ne doit être considéré comme existant et obligatoire qu'autant que la pratique ou la façon d'agir qui le constitue est, d'après l'opinion commune, le résultat d'une nécessité juridique (opinio juris vel necessitatis). Il faut de plus que les faits invoqués pour en établir l'existence soient multiples et uniformes, et qu'ils se soient produits, pendant un certain laps de temps, d'une manière non clandestine, et sans désapprobation expresse ou tacite du législateur.

Au surplus, la question de savoir s'il existe un usage sur tel ou tel point de droit et quelle est la règle admise par l'usage, est abandonnée à l'appréciation des tribunaux, dont les décisions en pareille matière ne sont pas soumises à la censure de la cour de cassation 10.

$24.

2. Droit civil théorique. -Droit civil pratique.

Le Droit civil théorique est l'ensemble des dispositions relatives aux matières civiies ayant pour objet de régler l'état et la capacité des personnes et de déterminer les droits de chaque personne dans ses rapports avec les autres. Le Droit civil pratique traite de la poursuite de ces droits : il indique tout à la fois les moyens de les faire valoir, et la manière de procéder dans l'emploi de ces moyens, c'est-à-dire la procédure 1.

Notre ouvrage a pour objet principal l'exposition du Droit civil

* Rouen, 19 juin 1847, Sir., 48, 2, 341. Civ. cass, 20 juin 1848, Sir., 48, 4, 433. Paris, 20 avril 1848, Sir., 49, 2, 298. Crim. cass., 14 mai 1852, Sir., 52, 1, 855. Cpr. sur la question de savoir si la loi peut être abrogée par le nonusage ou, en d'autres termes, si elle peut tomber en désuétude, § 29.

Cpr. sur ces diverses propositions: Toullier, I, 158; Merlin, Rép, vo Usage, $1, no 3; Savigny, System des heutigen ræmischen Rechts, I, § 28 et seq.; Civ. cass., 29 décembre 1829, Sir., 30, 1, 305; Colmar, 26 novembre 1836, Sir., 37, 2, 230. Cpr. sur la preuve de l'usage § 749, texte et note 3.

-

10 Req. rej., 23 février 1814, Sir., 16, 1, 395.

'Le Droit civil théorique et le Droit civil pratique forment, par leur réunion, la théorie du Droit civil. La pratique du Droit civil consiste dans l'application à des cas spéciaux des principes abstraits du Droit civil.

théorique; nous n'y traiterons du Droit civil pratique que pour suivre le Code Napoléon dans les dispositions qu'il contient à cet égard.

D'après le système des jurisconsultes romains, toutes les règles de Droit civil peuvent être ramenées à trois objets principaux : les personnes, les choses et les actions. C'est sur ce système que repose l'ordre des matières suivi par Justinien dans ses Institutes, et qu'est aussi en partie fondé celui qu'ont adopté les rédacteurs du Code.

Pour suivre une méthode plus scientifique, nous traiterons d'abord de l'état et de la capacité juridique en ce qui concerne les droits civils, des conditions auxquelles cette capacité est subordonnée, et des circonstances qui peuvent la modifier, la suspendre ou l'enlever. Nous traiterons ensuite des droits civils eux-mêmes, que nous distinguerons d'après les objets auxquels ils s'appliquent. Cette dernière partie sera subdivisée en deux autres : dans la première, nous expliquerons les droits civils sur des objets considérés d'une manière individuelle; dans la seconde, nous parlerons des droits civils sur des objets considérés comme faisant partie intégrante d'un patrimoine.

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Le Droit civil est général ou spécial.

Le Droit civil spécial se compose de dispositions particulières fondées sur des considérations politiques ou des raisons économiques. On peut ranger dans cette catégorie1 :

1o Le Droit de famille de la maison régnante. Cpr. statut de la famille impériale du 30 mars 1806; sénatus-consulte du 7 novembre 1852, art. 6; sénatus-consulte du 25 décembre 1852, art. 6 à 8; statut du 21 juin 1853, réglant la condition et les obligations des membres de la famille impériale.

2o Le Droit concernant la liste civile, la dotation de la couronne et le domaine privé du chef de l'État. Cpr. sénatus-consulte du 4er février 1810 sur la dotation de la couronne; lois du 8 février 1814

2 Omne jus quo utimur vel ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones. § 12, Inst. de jur. nat. gent. et civ. (1, 2).

'Les dispositions dont se composent les différentes espèces de Droit spécial ne sont parfois que des applications du Droit général; d'autres fois, au contraire, elles constituent des modifications à ses préceptes. Voy. § 20.

et du 2 mars 1832 sur la liste civile et la dotation de la couronne2; sénatus-consulte du 14 janvier 1852, art. 9; sénatus-consulte du 12 décembre 1852 sur la liste civile et la dotation de la couronne. 3o Le Droit des majorats. Cpr. § 695.

4o Le Droit civil spécial concernant les militaires et autres personnes qui leur sont assimilées 3. Les militaires sont en général soumis, pour ce qui concerne le Droit civil, aux mêmes règles que les autres Français. Toutefois, ce principe souffre plusieurs exceptions introduites soit par le Code Napoléon lui-même, soit par d'autres lois'. Cpr. instruction du ministre de la guerre sur l'exécution des dispositions du Code civil applicables aux militaires de toute arme, en date du 24 brumaire an XII, Sir., 4, 2, 743.

5o Le Droit spécial relatif aux juifs. Les juifs, quoique jouissant des droits civils communs à tous les Français, ont été pendant quelque temps soumis, en vertu du décret du 17 mars 18085, à certaines dispositions exceptionnelles, principalement relatives au prêt à intérêt, et à la force probante des actes souscrits à leur profit par des personnes non commerçantes. Cpr. Commentaire sur le décret impérial du 17 mars 1808, par Desquiron, Paris 1809; Annales de Lassaulx, III, 1; Chauffour le jeune, Betrachtungen über die Anwendung des kais. Dekrets vom 17. Marz 1808, mit einer Nachschrift, von Buchholz, Berlin 1809, in-8°; Commentaire sur le décret impérial du 17 mars 1808, par Birnbaum, Coblence 1808, in-8°; Merlin, Rép., vo Juifs.

6o Le Droit commercial. Voyez ce qui a été dit à cet égard au § 20.

*Voy. la fameuse affaire Desgraviers contre la liste civile: Paris, 1re instance, 18 janv. 1820, Sir., 20, 2, 41; Paris, appel, 19 janvier 1821, Sir., 21, 2, 38; Civ. cass., 30 janvier 1822, Sir., 22, 1, 113. Merlin, Rép., vo Domaine public.

Cpr. ordonnance de 1735 sur les testaments, art. 31; Code militaire des 30 septembre-19 octobre 1791, tit. I, art. 16; loi du 13 janvier 1817, art. 12; décret du 23 mars 1852, art. 37 et 38.

Code Napoléon, art. 88 à 98, 981 à 984. Lois des 11 ventôse et 16 fructidor an II. Ord. du 3 juillet 1816. Loi du 13 janvier 1817. Voy §§ 66, 161, 468 et

672.

* L'art. 18 du décret du 17 mars 1808 portant, qu'à moins de renouvellement, ce décret ne conservera sa force obligatoire que pendant dix ans, il en résulte que, depuis le 18 mars 1818, il a cessé d'avoir force de loi. Il régit cependant encore aujourd'hui les conventions passées et les actes souscrits soit antérieurement à son émission, soit pendant les dix ans fixés pour son exécution. Arg. art. 18, cbn. art. 4. Tribunal de Colmar, 15 mars 1819, et cour de Colmar, 18 décembre 1820. (Journal de jurisprudence de Colmar, t. XVI, p. 207 et 283.)

7o Le Droit civil spécial aux Sociétés de crédit foncier. Cpr. décret du 28 février 1852; décret du 28 mars 1852; décret du 18 octobre 1852; décret du 31 décembre 1852; loi du 10 juin 1853; décret du 21 décembre 1853; décrets du 26 juin et du 6 juillet 1854; Commentaire du décret du 28 février 1852, par Lehir, Paris 1852, 1 vol. in-8°; Traité du crédit foncier, par Josseau, Paris 1853, 1

vol. in-8°.

8o Le Droit rural dans ses rapports avec le Droit civil. Le Droit rural est encore aujourd'hui régi, sauf quelques modifications, par la loi des 28 septembre-6 octobre 1791. Un projet de Code rural, rédigé sous l'empire, avait été soumis à l'examen de commissions établies dans le ressort de chaque cour impériale, et composées de juges, d'administrateurs et de cultivateurs. Mais ce projet n'a jamais été soumis au pouvoir législatif. Cpr. Code rural ou Recueil des lois, ordonnances, décrets, arrêts, etc., relatifs à l'agriculture, Paris 1825, nouv. édit. in-18°; le Droit rural français, par Vaudoré, Paris 1825, 1 vol. in-8°; Cours de Droit rural, par Guichard, Paris 1826, 4 vol. in-8°; Commentaire sur les lois rurales françaises, par Neveu de Rotrie, Paris 1845, 4 vol. in-8°; Manuel de Droit rural et d'économie agricole, par Jacques de Valserres, Paris 1847, 1 vol. in-8°.

9o Le Droit forestier dans ses points de contact avec le Droit civil. Cpr. Code forestier du 21 mai 1827; ordonnance d'exécution du 1er août suivant; loi du 4 mai 1837, contenant des modifications au Code forestier; lois relatives au défrichement des 22 juillet 1847, 22 juillet 1850 et 7 juin 1853; le Code forestier conféré et mis en rapport avec la législation qui régit les différents propriétaires et usagers dans les bois, par Curasson, Paris 1828, 2 vol. in-8°; le Code forestier conféré avec la législation et la jurisprudence relative aux forêts, par L. Gagneraux, Paris 1828, 2 vol. in-8°; le Code forestier avec les motifs, la discussion des deux chambres, des observations sur les articles et l'ordonnance, publié de concert avec Favard de Langlade, par Brousse, 2e édit., Paris 1828, 1 vol. in-8°; Commentaire du Code forestier, par Meaume, Paris 1844, 5 vol. in-8. Nous ne nous occuperons de ces différentes branches de Droit civil spécial qu'autant que nous trouverons dans le Code Napoléon des dispositions qui y soient relatives.

Recueil des observations sur le projet de Code rural, de toutes les commissions consultatives, formées en vertu du décret impérial du 19 mai 1808. par Verneilh; Paris 1810-1814, 4 vol. in-4°.

Du reste, les lois spéciales sont toujours censées se référer aux lois générales. Il faut donc, autant que possible, les interpréter de manière à les mettre en harmonie avec ces dernières ; et s'il se présente une question que le Droit spécial n'ait décidée ni explicitement ni implicitement, on doit, pour la résoudre, recourir au Droit général.

III. DE LA FORCE OBLIGATOIRE DES LOIS CIVILES.

§ 26.

De la promulgation et de la publication des lois 3.

Les préceptes juridiques auxquels la puissance législative a imprimé le caractère de loi, ne sont point exécutoires par eux-mêmes; ils le deviennent en vertu de la promulgation, c'est-à-dire d'un ordre d'exécution émané du chef de l'État, en qui réside la puissance exécutive. Mais un ordre ne pouvant obliger aussi longtemps qu'il n'est pas connu, ou qu'il ne peut être réputé tel, les lois elles-mêmes ne sont obligatoires que lorsque la promulgation a été manifestée par quelque acte de publication, d'où résulte la preuve ou du moins la présomption de sa publicité. Lex non obligat nisi rite promulgata.

Les rédacteurs du Code Napoléon, sans méconnaître ces principes, n'en adoptèrent cependant pas toutes les conséquences. Ils établirent, à la vérité, que la loi ne deviendrait obligatoire dans

Merlin, Rép., vo Loi, § 11, no 4. Crim. cass., 7 décembre 1822, Sir., 23, 1, 5. Crim. cass., 17 janv. 1823, Sir., 23, 1, 93. Crim. cass., 3 octobre 1817, Sir., 18, 1, 164.

Le mot lois est pris ici dans son acception la plus étendue. Les principes que nous allons exposer sur la force obligatoire des lois civiles sont donc applicables à tous les éléments du Droit civil écrit. Toutefois, en expliquant, dans les §§ 26 et 27, les règles relatives à la promulgation et à la publication, nous distinguerons les lois proprement dites des décrets ou ordonnances, et nous emploierons le mot loi dans le sens restreint que lui ont attribué les constitutions françaises. * Les principes qui vont être développés sont en grande partie applicables aux lois pénales, constitutionnelles et autres; mais, à raison de la spécialité de cet ouvrage, nous ne devons les expliquer que dans leurs rapports avec le Droit rivil

Cpr. sur les divers systèmes de promulgation et de publication: Recherches sur les différents modes de publication des lois, depuis les Romains jusqu'à nos jours, par Berriat Saint-Prix, Paris 1809, 1 vol. in-8°; Des principes relatifs à la publication des lois, par le baron Favard de Langlade, dans son Traité des priviléges et hypothèques ; Jurisprudence du Code civil, I, 81; Toullier, 1, 39 et suiv.

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