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tion ou la restitution d'un paiement, lorsque ces actes juridiques sont le résultat d'une erreur de droit, tout aussi bien que s'ils étaient la suite d'une erreur de fait. Ainsi encore, on peut, pour établir sa bonne foi en matière de mariage putatif, de perception de fruits, ou d'usucapion, se prévaloir de l'erreur de droit, comme de l'erreur de fait".

Dans ces diverses hypothèses, la règle que nul n'est censé ignorer la loi, ne forme point obstacle à l'admission de la preuve de l'erreur de droit alléguée par l'une des parties. Mais, en raison même de la présomption légale de publicité attachée à la publication de la loi, celui qui se prévaut de l'erreur de droit, est tenu d'en établir clairement l'existence. Par le même motif, les tribunaux ne doivent qu'avec une grande réserve accueillir une pareille allégation. Et dans le cas même où elle leur paraîtrait plausible, ils auraient encore à examiner si la partie qui se fonde sur une erreur de droit pour attaquer une convention ou pour demander la restitution d'un paiement, ne doit pas être considérée comme ayant voulu accomplir une obligation naturelle 7.

$29.

De l'abrogation des lois.

La loi n'est susceptible d'être abrogée que par une loi nouvelle. On admettait autrefois que la loi pouvait être abrogée par un usage contraire, et que d'autre part elle pouvait tomber en désué

été victime d'une erreur ou d'accorder certains bénéfices à la bonne foi, n'atteindraient qu'imparfaitement leur but si elles distinguaient entre l'erreur de droit et l'erreur de fait. Aussi ne distinguent-elles pas. Cpr. art. 201, 549, 1109, 1110, 1376, 1377 et 2265. Les art. 1356 et 2052, qui, par des raisons toutes spéciales, écartent l'erreur de droit comme moyen de revenir contre un aveu ou contre une transaction, confirment pleinement cette manière de voir. Les dispositions de ces articles eussent évidemment été inutiles si le législateur n'était parti de l'idée que l'erreur de droit produit en général, quant aux actes juridiques qui en ont été le résultat, les mêmes effets que l'erreur de fait.

Cpr. § 343; § 442; § 460, texte et note 6; § 201; § 217. Dans toutes ces hypothèses, il ne s'agit plus d'écarter l'application de la loi même que l'on prétend avoir ignorée. Celui qui se prévaut de l'erreur de droit le fait bien moins pour se soustraire à la disposition de la loi qu'il allègue n'avoir pas connue, que pour se faire relever, en vertu d'une autre disposition légale directement applicable à la contestation, des conséquences de sa propre volonté qui n'a été déterminée que par cette erreur.

'Cpr. §§ 297 et 442.

tude par le non-usage1. Cette théorie, qui se comprend sous une monarchie absolue, où la loi n'est que l'expression de la volonté du chef de l'État, ainsi que dans un gouvernement démocratique, où elle est votée par la généralité des citoyens, est incompatible avec des constitutions qui établissent la division des pouvoirs, et qui, répartissant entre différentes branches l'exercice de la puissance législative, soumettent à des conditions et des formes spéciales la proposition et le vote de la loi. Elle ne peut donc plus être admise aujourd'hui.

D'un autre côté, la loi ne perd pas sa force obligatoire par cela seul que les circonstances au milieu ou en vue desquelles elle a été faite, ont cessé d'exister3.

L'abrogation est expresse ou tacite. Elle est expresse lorsque la loi nouvelle prononce littéralement l'abrogation de la loi ancienne. Elle est tacite lorsque la loi nouvelle contient des disposition contraires à celles de la loi ancienne'. Tel est le sens de la règle lex posterior derogat priori.

Lorsque cette contrariété porte sur le principe même qui servait de base à la loi ancienne, l'abrogation s'étend à toutes ses dispositions indistinctement.

'Merlin, Rép., vo Désuétude et vo Appel, sect. 1, § 5, no 4. Req. rej., 9 novembre 1814, Sir., 15, 1, 5. Req. rej., 15 janvier 1818, Sir., 19, 1, 139.

Toullier, VIII, nos 74 à 78, et addition à ces numéros insérée au t. XIII, p. 542 et suiv. Demolombe, I, 35 et 130. Toulouse, 28 novembre 1825, Sir., 26, 2, 241. Req. rej., 24 avril 1828, Sir., 28, 1, 204. Crim. cass., 3 octobre 1828, Sir., 29, 1, 80. Crim. cass., 24 septembre 1830, Sir., 31, 1, 50. Nîmes, 12 janvier 1841, Sir., 41, 2, 184. Civ. cass., 25 janvier 1841, Sir., 41, 1, 105. Riom, 14 juin 1843, Sir., 43, 2, 329. Paris, 1er mai 1848, Sir., 49, 2, 110. Voy. en sens contraire: Duranton, I, 107 et 108; Bordeaux, 17 juin 1826. Sir., 26, 2, 307; Bourges, 23 mai 1840, Sir., 41, 2, 97. Sainement interprétés, l'arrêt de la chambre des requêtes du 14 juillet 1825 (Sir., 26, 1, 77) et celui de la cour de Nîmes du 15 juin 1830 (Sir., 30, 2, 312) ne sont pas contraires à la doctrine exposée au texte.

Req. rej., 17 juin 1817, Dev. et Car., Coll. nouv., 5. Req. rej., 24 avril 1821, Sir., 22, 1, 27. Civ. rej., 2 mars 1825, Sir., 25, 1, 237. Civ. rej., 5 mars 1839, Sir., 39, 1, 343. Ce n'est que par suite d'une fausse application de la maxime, ratione legis cessante cessat lex, qu'on a voulu soutenir le contraire. Voy. sur le véritable sens de cette maxime, § 40. Cpr. cep. Merlin, Quest., vo Tribunal d'appel, § 3; Demolombe, I, 129.

On trouve assez fréquemment, à la suite de lois nouvelles, un article final qui prononce l'abrogation des lois anciennes en ce qu'elles ont de contraire. Cette formule ne fait que consacrer le principe de l'abrogation tacite, et paraît surtout avoir pour objet de maintenir les dispositions des lois antérieures non contraires à la loi nouvelle.

Au cas contraire, on ne doit considérer comme abrogées que les dispositions de la loi ancienne qui sont absolument incompatibles avec celles de la loi nouvelle: Posteriores leges ad priores pertinent, nisi contrariæ sint. Toutefois, il est bien entendu que l'abrogation tacite d'une disposition de la loi ancienne emporte celle de toutes les autres dispositions qui n'en étaient que des corollaires ou des développements".

L'abrogation tacite supposant une incompatibilité formelle, elle ne saurait, quant aux lois qui règlent des matières spéciales, découler de la promulgation d'une loi générale postérieure, à moins que l'intention contraire du législateur ne résulte clairement de l'objet ou de l'esprit de cette loi': Legi speciali per generalem non derogatur. Les lois spéciales ne peuvent donc, en général, être tacitement abrogées que par des lois spéciales nouvelles.

§ 30.

Du conflit de lois nouvelles avec des lois anciennes. - Du principe de la rétroactivité, et de la règle de la non-rétroactivité des lois'.

En principe, toute loi nouvelle s'applique même aux situations ou rapports juridiques établies ou formés dès avant sa promulgation. Ce principe est une conséquence de la souveraineté de la loi et de la prédominance de l'intérêt public sur les intérêts privés 2.

L. 28, D. de legibus (1, 3). Toullier, I, 154 et suiv. Demolombe, I, 126. Civ. cass., 24 avril 1809, Sir., 9, 1, 222. Crim. cass., 20 octobre 1809, Sir., 10, 1, 303.

6

Montpellier, 21 novembre 1829, Sir., 30, 2, 88.

'Merlin, Rép., vo Loi, § 9, no 3. Demolombe, I, 127. Civ. cass., 24 avril 1809, Sir., 9, 1, 222. Req. rej., 24 avril 1821, Sir., 22, 1, 27. Crim. cass., 8 août 1822, Sir., 23, 1, 130. Civ. cass., 14 juillet 1826, Sir., 27, 1, 104. Crim. rej., 8 février 1840, Sir., 40, 1, 281.

1

Cpr. sur cette matière: L. 7, C. de leg. (1, 14); Blondeau, De l'effet rétroactif des lois, dissertation insérée dans la Bibliothèque du barreau', II, p. 97, dans la Thémis, VII, p. 289, et dans le Recueil de Sirey, 9, 2, 277; Merlin, Rép., vo Effet rétroactif; Chabot de l'Allier, Questions transitoires sur le Code Napoléon, Dijon 1829, 3 vol. in-8°; Mailher de Chassat, Traité de la rétroactivité des lois, Paris 1822, 2 vol. in-8°; Duvergier, De l'effet rétroactif des lois, dissertation insérée dans la Revue de Droit français et étranger, 1845, II, p. 1re et suiv., p. 91 et suiv.; Bergmann, Das Verbot der rückwirkenden Kraft der Gesetze im Privat-Recht, Hanovre 1818, 1 vol. in-8°; Savigny, System des heutigen ræmischen Rechts, VIII, §§ 383 et suiv.

* Les changements introduits par une loi nouvelle doivent, en théorie, être considérés comme des améliorations, en ce sens qu'ils sont destinés à porter remède aux imperfections de la loi ancienne. L'intérêt de la société semble donc exiger que toute loi nouvelle reçoive immédiatement une application complète.

Toutefois, ce principe doit faire place à la règle contraire de la non-rétroactivité des lois, dans les cas où son application serait de nature à entraîner la lésion de droits que des particuliers auraient individuellement acquis, en ce qui concerne leur état ou leur patrimoine. C'est cette règle que les rédacteurs du Code Napoléon ont entendu formuler dans l'art. 2 de ce Code.

ου

Le principe général et la règle contraire qui viennent d'être énoncés sont également étrangers aux lois qui déterminent la forme extrinsèque des actes. La nature des choses conduit à reconnaître qu'un acte ne peut, quant à sa forme extérieure, être régi que par la loi sous l'empire de laquelle il a été passé, peu importe que les avantages qui doivent en résulter constituent des droits acquis, ne forment que de simples expectatives non encore ouvertes au moment de la promulgation d'une loi nouvelle. Ainsi, un testament fait dans la forme prescrite par la loi en vigueur au moment de sa confection, resterait valable malgré la survenance d'une loi nouvelle qui soumettrait à des formes plus rigoureuses les actes de dernière volonté, bien que le testateur ne fût décédé que depuis sa promulgation3. Réciproquement, un testament qui ne réunirait pas les conditions de forme exigées par la loi sous l'empire de laquelle il a été fait, resterait nul malgré la promulgation d'une loi nouvelle aux prescriptions de laquelle il satisferait".

La règle de la non-rétroactivité des lois ne doit pas être considérée comme une restriction à l'omnipotence législative, mais simplement comme un précepte tracé au juge pour l'application de la loi. Le législateur, en effet, a incontestablement le pouvoir d'at

On doit dire à cet égard tempus regit actum, comme sous un autre rapport on dit locus regit actum. Merlin, Quest., vo Testament, § 12. Chabot, Questions transitoires, vo Testament, § 1. Toullier, V, 382. Duranton, 1, 67 et 68, IX, 16. Demolombe, I, 49, no 4. Bruxelles, 15 frimaire an XII, Sir., 4, 2, 73. Turin, 7 juin 1809, Sir., 10, 2, 46. Req. rej., 3 janvier 1810, Sir., 10, 1, 184. Par la même raison, la disposition de l'art. 1097 ne s'applique pas aux donations mutuelles faites entre époux avant le Code Napoléon, lors même qu'ils ne sont décédés que depuis. Civ. cass., 23 juin 1813, Sir., 13, 1, 378.

'Savigny, op. cit., VIII, § 388.

-

L'art. 14 de la déclaration des droits et des devoirs précédant la Constitution du 5 fructidor an III, avait posé comme règle constitutionnelle, qu'aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d'effet rétroactif. Mais cette disposition, qui s'explique au point de vue historique par l'abus que la législation révolutionnaire avait fait de la rétroactivité, ne peut se justifier en théorie. Aussi n'a-t-elle pas été reproduite dans les Constitutions subséquentes, et la proposition énoncée au texte, est aujourd'hui généralement admise. Cpr. Merlin, Rép., vo Effet rétroactif,

tacher un effet rétroactif même à des lois auxquelles s'appliquerait sans cela la règle de la non-rétroactivité. Il pourrait, notamment, soumettre à de nouvelles conditions la conservation ou l'efficacité de droits antérieurement acquis 7. Seulement, le législateur ne doit-il faire usage de ce pouvoir que pour des causes majeures d'intérêt public, et avec tous les ménagements que commande l'équité.

Pour prévenir les difficultés auxquelles peut donner lieu le passage d'une législation à une autre, le législateur règle quelquefois lui-même, par des lois spéciales, qu'on appelle lois transitoires,` l'influence de la promulgation de lois nouvelles sur le passé.

Les lois interprétatives ne peuvent rationnellement donner lieu à la question de savoir si elles doivent ou non s'appliquer aux situations établies et aux rapports formés avant leur promulgation. Comme elles ont pour objet de déterminer le sens de lois antérieures, elles forment corps avec ces dernières et ne sont point à considérer comme des lois nouvelles dans le sens de notre matière9.

sect. II; Duvergier, op. cit., p. 3; Demolombe, I, 67. C'est dans le sens de cette proposition que doivent être entendus tous les développements donnés au présent paragraphe. Nous supposons toujours que le législateur ne s'est ni expressément ni implicitement expliqué sur la question de savoir si la loi nouvelle doit ou non s'appliquer à des faits ou rapports antérieurs, et nous nous occupons uniquement des règles à suivre par le juge en l'absence de toute disposition législative sur cette question.

C'est ce qu'il a fait, par exemple, pour les lois du 17 nivôse an II et du 25 messidor an III.

"Voy. par exemple la loi sur le régime hypothécaire du 9 messidor an III, art. 255, et suiv. Cpr. loi sur le régime hypothécaire du 11 brumaire an VII, art. 37 et suiv.

Au nombre de ces lois nous citerons entre autres: 1° celle du 25 germinal an XI sur les adoptions faites dans l'intervalle du 18 janvier 1792 à la publication du titre VIII, liv. I, du Code Napoléon; 2o celle du 26 germinal an XI, relative aux divorces prononcés ou demandés avant la publication du titre VI, liv. I, du Code Napoléon; 3o celle du 14 floréal an XI, concernant le mode de règlement de l'état et des droits des enfants naturels dont les parents sont décédés depuis la loi du 12 brumaire an II jusqu'à la promulgation des titres du Code Napoléon sur la paternité et la filiation et sur les successions. Voy. encore les dispositions légales citées à la note précédente, ainsi que les art. 42 à 45 de la loi du 17 avril 1832 sur la contrainte par corps. Le Code Napoléon renferme également quelques dispositions transitoires. Voy. art. 691 et 2281.

* L'art. 2, tel qu'il avait été originairement rédigé, comprenait un second alinéa ainsi conçu : « Néanmoins la loi interprétative d'une loi précédente aura son effet du jour de la loi qu'elle explique, sans préjudice des jugements rendus en der«nier ressort, des transactions, décisions arbitrales et autres passées en force

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