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les régit, lors même qu'ils résident en pays étranger. Le changement de nationalité les soustrait seul à l'empire de ce statut. Art. 3, al. 3. Il en résulte, d'une part, que le Français ne peut, en pays étranger, passer valablement, aux yeux de la loi française, les actes qu'il est incapable de passer en France, alors même que, d'après la législation du pays où il se trouve, il jouirait de la capacité requise". C'est ainsi, notamment, que le mariage contracté en pays étranger par un Français qui ne posséderait pas les conditions de capacité exigées par la loi française, serait nul en France, bien qu'il fût valable aux yeux de la loi étrangère. Il résulte, d'autre part, du principe qui vient d'être posé, que le Français ne peut, en aucun cas, se prévaloir en France des dispositions d'une loi étrangère, pour contester, sous le rapport de sa capacité, la validité des actes par lui passés à l'étranger.

La disposition de l'al. 3 de l'art. 3 autorise à croire que le législateur français a entendu laisser les étrangers, même résidant en France, sous l'empire de leurs lois nationales, pour tout ce qui concerne leur état et leur capacité 22. Et ce premier point une fois

femme étrangère mariée sous le régime dotal, ne peuvent être aliénés que dans les cas et sous les conditions déterminées par le Code Napoléon, quand même les lois du pays de cette femme en permettraient purement et simplement l'aliénation. Et, d'un autre côté, il faudrait logiquement en conclure que la femme française, mariée sous le régime dotal, ne pourrait, même devant le juge français, demander à son mari une indemnité pour l'aliénation d'immeubles situés dans un pays d'après la loi duquel une pareille indemnité ne serait pas due. Or, la première de ces conséquences est contraire à l'esprit général de notre législation, suivant laquelle le régime de libre disposition des immeubles de la femme forme le Droit commun. Et, quant à la seconde, on remarquera qu'il n'existe pour le juge français aucun motif plausible de restreindre aux immeubles situés en France les effets que doit produire entre les époux l'interdiction d'aliéner résultant de leur soumission au régime dotal. Pour justifier cette restriction, il faudrait aller jusqu'à dire que les époux ne peuvent comprendre dans la constitution dotale des immeubles situés en pays étranger; et cette thèse serait évidemment insoutenable. Cpr. Demangeat, op. cit., no 82, p. 377 à 379.

"La disposition du troisième alinéa de l'art. 3, envisagée dans son esprit et son caractère principal, est négative ou prohibitive. Empêcher que le Français ne puisse, en passant la frontière, se soustraire aux prohibitions et aux incapacités prononcées par les lois de son pays, ni rendre vaines les mesures de protection qu'elles établissent dans son intérêt, tel est le but de cette disposition.

"Le but de la disposition du troisième alinéa de l'art. 3 ne serait atteint que fort incomplétement, si les autorités et les tribunaux étrangers ne concouraient à son accomplissement, tant en refusant au Français, résidant dans leur pays, leur concours pour la passation d'actes qu'il serait incapable de faire en France, qu'en annulant de pareils actes lorsque de fait il les a passés. Or, ce concours, le

accepté, on doit même reconnaître que l'autorisation accordée à un étranger d'établir son domicile en France, ne lui rend pas applicable le statut personnel français 23. Toutefois, et par cela même

législateur français ne peut le réclamer et l'attendre des autorités et tribunaux étrangers, qu'à la condition de se prêter de son côté à faire respecter en France le statut personnel des étrangers. Il est donc permis de supposer qu'il a entendu admettre à cet égard une complète réciprocité. Cette induction se trouve corroborée par l'historique de la rédaction de notre article, et par l'antithèse qui existe entre les deux premiers alinéas et le troisième. En effet, le projet du titre préliminaire du Code contenait une disposition ainsi conçue : « La loi oblige indistinetement ceux qui habitent le territoire.» Voy. Locré, Lég., I, p. 380, art. 3. Dans la séance du conseil d'État du 14 thermidor an IX, le mot indistinctement fut retranché sur la demande de M. Tronchet, qui faisait remarquer que la rédaction était trop générale, puisque les étrangers n'étaient pas soumis aux lois civiles qui règlent l'état des personnes. Voy. Locré, Lég., I, p. 399, no 10. Lors de la communication officieuse, le Tribunat trouva que, même ainsi amendée, cette rédaction était encore trop vague, et pouvait prêter à des raisonnements faux et dangereux. Il proposa donc de restreindre la portée de la disposition dont s'agit aux lois de police et de sûreté, et de la faire suivre immédiatement, pour mieux en fixer le sens, de deux autres dispositions qui, originairement placées au titre de la jouissance des droits civils, rappelaient évidemment la distinction du statut réel et du statut personnel, telle qu'elle avait toujours été reçue en France. Voy. Locré, Lég., I, p. 563, no 9. Cette proposition fut adoptée, et amena la rédaction définitive de l'art. 3. D'un autre côté, quand on remarque que l'al. 1er de l'art 3 soumet expressément les étrangers aux lois de police et de sûreté, et que l'al. 2 déclare le statut réel applicable même aux immeubles possédés par des étrangers, tandis que l'al. 3, qui s'occupe de la force obligatoire du statut personnel, ne fait plus aucune mention des étrangers, on ne peut douter que les rédacteurs du Code n'aient entendu, du moins en général, laisser les étrangers résidant en France, pour tout ce qui concerne leur état et leur capacité, sous l'empire de leur loi nationale. Merlin, Rép., vo Loi, § 6, no 6. Proudhon et Valette, I, p. 80 et suiv. Duranton, I, 93. Demolombe, I, 98. Demangeat, op. cit., no 82. Bastia, 16 février 1844, Sir., 44, 2, 663. Cpr. Dissertation, par Mathieu-Bodet, Revue de Droit français et étranger, 1846, III, p. 542.

25 L'étranger qui établit son domicile en France, en vertu d'une autorisation du gouvernement, n'en reste pas moins étranger. S'il est placé sur la même ligne que le Français quant à la jouissance des droits civils, il en résulte bien qu'il est, comme ce dernier, admis à l'exercice de ces droits dans la mesure de sa capacité personnelle, mais nullement que cette capacité doive, comme celle du Français, être appréciée d'après la loi française. Delvincourt, I, p. 194. Duranton, I, 141. Demolombe, I, 265. De Fréminville, De la minorité, I, p. 11. Soloman, Essai sur la condition juridique des étrangers, p. 31. Paris, 13 juin 1814, Sir., 15, 2, 67. M. Demangeat (op. cit, nos 81 et 82), prétend, au contraire, qu'une fois admis à établir son domicile en France, l'étranger ne s'y trouve plus régi, quant à son état et à sa capacité, par la loi de son pays, mais par la loi française. It en donne pour raison que le seul obstacle qui empêche l'application du s atut

qu'il s'agit ici d'une simple concession faite aux autres nations, ex comitate et ob reciprocam utilitatem, l'induction que fournit la disposition précitée ne peut et ne doit être admise que dans la mesure des convenances internationales, et sous les restrictions que réclament d'une part l'ordre public, et d'autre part les intérêts des Français, lorsqu'en raison de circonstances particulières ils méritent une protection spéciale". Ces idées fondamentales dans la matière conduisent aux propositions suivantes :

a. Le juge français appelé à statuer sur la validité d'un acte passé par un étranger, et attaqué par ce dernier pour cause d'incapacité, doit, en général, prendre pour guide de sa décision la loi nationale de cet étranger 25.

Ainsi, un acte passé par un étranger, capable d'après la législation de son pays, doit être maintenu par le juge français, bien que, d'après la loi française, cet étranger fût dépourvu de la capacité nécessaire. Réciproquement, les actes passés par un étranger, incapable d'après sa loi nationale, doivent être annulés, bien que, d'après la loi française, il jouît de la capacité requise. C'est ainsi, notamment, que le mariage contracté en France, soit avec une Française, soit avec une étrangère, par un moine profès originaire d'un pays où les vœux monastiques emportent mort civile, doit être annulé en France, bien que la législation française ne recon

personnel français à l'étranger, consiste dans l'impossibilité où ce dernier se trouve d'acquérir un véritable domicile en France sans l'autorisation du gouvernement. Mais cette raison n'est, à notre avis, qu'une grave erreur. Cpr. note 22 supra. Quant à la distinction proposée par M. Valette (sur Proudhon, I, p. 178, note a, et p. 194, note a), entre l'étranger qui s'est fixé en France sans esprit de retour, et celui qui ne s'y est établi qu'en conservant la pensée de retour, voy. § 79, texte et notes 5 et 17.

** On admet en principe, dans presque tous les pays policés, que les étrangers restent soumis, en ce qui concerne leur état et leur capacité, à leur loi nationale. Cependant plusieurs législations, notamment celles des Pays-Bas, des DeuxSiciles et de la Russie, consacrent à cet égard des règles différentes; et, parmi celles même qui reconnaissent le principe dont s'agit, il en est plusieurs qui ne l'admettent qu'avec d'importantes restrictions établies dans l'intérêt des nationaux. Cpr. Fælix, op. cit., no 30.

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** Les auteurs français et la jurisprudence s'accordent à reconnaître l'exactitude de la règle énoncée au texte et des conséquences générales que nous en avons déduites. Les controverses que la matière a soulevées ne portent que sur les propositions émises dans la suite du texte. Voy. les autorités citées à la note 22 supra; § 469, texte, nos 1 et 2, et notes 3, 4 et 5; Civ. cass., 24 août 1808, Sir., 9, 1, 331; Civ. cass., 1er février 1813, Sir., 13, 1, 113; Req. rej., 25 février 1818, Dev. et Car., Coll. nouv., V, 1, 437; Rennes, 16 mars 1842, Sir., 42, 2, 211.

naisse plus les vœux monastiques solennels 26. Il en serait de même d'un testament fait par un mineur étranger, si la loi de son pays ne lui permettait pas, comme l'art. 904 le permet au mineur français, de disposer, dans une certaine mesure, par acte de dernière volonté.

b. Il importe peu, pour l'application de la règle précédemment posée, que les actes dont un étranger demande l'annulation ou la rescision, en vertu de sa loi nationale, aient été passés en France ou à l'étranger. Il est également indifférent que ces actes aient été consentis au profit d'étrangers ou qu'ils l'aient été en faveur de Français. Enfin, la seule circonstance que l'annulation ou la rescision d'un acte passé par un étranger serait prononcée au détriment d'un Français, ne formerait point un motif suffisant pour écarter l'application de la loi étrangère, alors même qu'il s'agirait d'une convention à titre onéreux 28. Mais il en serait autrement

26 Paris, 13 juin 1814, Sir., 15, 2, 67.

27 Si, en matière de conventions, il faut, sous plusieurs rapports que nous indiquerons plus tard, appliquer la loi du pays où le contrat a été passé, les questions de capacité des parties doivent, en règle, être exclusivement décidées d'après la loi nationale de chacune d'elles. On ne comprendrait pas en effet que la loi pût faire dépendre l'application des règles relatives à l'état et à la capacité des personnes, de la circonstance qu'elles auraient contracté dans tel ou tel lieu. D'ailleurs, nul n'est le maître de modifier son état et sa capacité en se soumettant contractuellement à une loi étrangère.

28 Le législateur français doit assurément désirer que les personnes qu'il déclare incapables de s'engager, ne puissent, en passant la frontière et en contractant avec des étrangers, rendre illusoire la protection qu'il leur accorde et se dépouil ler des biens qu'elles posséderaient à l'étranger. Or, s'il est dans l'intérêt et dans le vœu de la France que les tribunaux étrangers assurent, au regard de ses nationaux, l'exécution des lois françaises sur la capacité de contracter, elle doit, de son côté, faire respecter par ses tribunaux, à l'encontre des Français, le statut personnel étranger. Poser en principe que le juge français, saisi d'une contestation relative à une convention conclue en France entre un Français et un étranger, et attaquée par ce dernier pour défaut de capacité de sa part, doit faire abstraction de la loi nationale de l'étranger, toutes les fois que l'application de cette loi serait préjudiciable au Français, c'est substituer aux convenances internationales un égoïsme étroit, et appeler de la part des autres nations des mesures de rétorsion contraires à l'intérêt bien entendu de la France. Que l'on suppose un Français qui, connaissant de fait l'incapacité de contracter dont un étranger se trouve frappé par la loi de son pays, ou qui, spéculant sur la légèreté et l'inexpérience d'un étranger, lui ouvre imprudemment sa bourse, les tribunaux français devront-ils, pour maintenir des conventions faites dans de pareilles circonstances, écarter l'application de la loi étrangère? Et, si l'on ne peut raisonnablement aller jusque-là, il faut bien reconnaître que la seule considération du préjudice

si des circonstances particulières, telles qu'une longue résidence de l'étranger en France, ou un établissement de commerce qu'il y aurait formé, venaient absoudre le Français de tout reproche

qui résulterait pour le Français de l'application de la loi étrangère, ne saurait être un motif légitime et suffisant pour en faire abstraction. Merlin, Rép., vo Loi, §6, no 6. Duranton, I, 93. Demolombe, I, 102. Fœlix, op. cit., no 64. Pardessus, Droit commercial, V, 1482. Nouguier, De la lettre de change, I, p. 475. Voy. en sens contraire: Valette sur Proudhon, De l'état des personnes, I, p. 85; de Frémin-ville, Traité de la minorité, I, 4; Demangeat, op. cit., no 82, p. 373 et 374. Cpr. aussi en sens contraire: Paris, 15 mars 1831, Sir., 31, 2, 237; Req. rej., 17 juillet 1833, Sir., 33, 1, 663; Paris, 17 juin 1834, Sir., 34, 2, 371; Paris, 15 octobre 1834, Sir., 34, 2, 657. La cour de Paris pase en principe, dans les motifs de ces arrêts, que la capacité des étrangers qui ont contracté, en France et au profit de Français, des engagements conventionnels, doit, lorsqu'ils attaquent ces engagements devant les tribunaux français, être uniquement appréciée d'après la loi française. Elle donne pour raison de cette doctrine, que le Français n'ayant pas connu ni dû connaître la loi étrangère, cette loi ne peut être obligatoire pour lui. Mais cet argument, qui, en tout cas, prouverait trop, nous paraît porter complétement à faux. Il ne s'agit point, en effet, de déclarer les dispositions de la loi étrangère sur l'état et la capacité des personnes, obligatoires pour le Français, mais de savoir d'après quelle loi doit être appréciée la capacité de contracter, lorsque les parties qui ont traité ensemble, n'appartiennent pas à la même nation. Que le Français ne doive pas être réputé connaître les lois étrangères, cela est vrai; mais en résulte-il que, lorsqu'il juge à propos de traiter avec un étranger, il puisse se dispenser de s'enquérir de la capacité de ce dernier? Ne faut-il point, sous ce rapport, s'en tenir à la maxime: Qui cum alio contrahit, vel est, vel debet esse non ignarus conditionis ejus? L. 19, pr. D. de Reg. jur. (50, 17.) D'ailleurs, si la convention attaquée devant le juge français a été passée soit dans la patrie même de l'étranger, soit dans un autre pays, il sera bien difficile de soutenir que la capacité de ce dernier doive être appréciée d'après la loi française. Et cependant, dans cette hypothèse, comme dans celle où il s'agirait d'une convention passée en France, le Français ne peut être légalement réputé avoir connu la loi étrangère. Enfin, comme la doctrine que nous combattons est fondée sur la supposition que le Français qui a contracté avec un étranger, ne connaissait pas les dispositions du statut personnel de ce dernier, cette doctrine cesserait d'être applicable si le Français avait eu connaissance de ces dispositions. La difficulté se réduirait ainsi à une question de fait, pour la solution de laquelle le juge serait obligé de se livrer à des investigations dont le résultat serait presque toujours incertain. Or, cela est-il sérieusement proposable? Et le système intermédiaire que nous défendons, n'a-t-il pas l'avantage d'être plus équitable et d'une application plus facile, en même temps qu'il accorde une protection suffisante aux intérêts français? Du reste et au fond, les espèces sur lesquelles la cour de Paris a eu à statuer, présentaient des circonstances particulières qui, dans notre système. l'autorisaient à faire abstraction de la loi étrangère. Cpr. notes 29 et 30 infra. Si la cour de cassation a, par son arrêt du 17 juillet 1833, rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour de Paris du 15 mars 1831, elle ne s'est cependant pas

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