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d'imprudence. Une exception analogue devrait être admise dans le cas où le Français serait tiers porteur de bonne foi d'une lettre de change ou d'un billet à ordre souscrit en France par un étranger, surtout si ce dernier s'était attribué sur l'effet un domicile en France. Enfin, on devrait également reconnaître comme efficaces les engagements qu'un étranger aurait contractés en France pour

approprié d'une manière absolue la doctrine émise par cette cour, et s'est principalement décidée par cette considération que l'arrêt attaqué n'avait pu violer l'al. 3 de l'art. 3 du Code Napoléon, puisque cet alinéa ne contient aucune disposition en faveur des étrangers qui résident en France. Cpr. sur cette question: Dissertation, par Mathieu-Bodet, Revue de Droit français et étranger, III, 1846, p. 542.

2o Demolombe, I, 102. D'après M. Nouguier (De la lettre de change, I, p. 475), le juge français ne pourrait faire abstraction du statut personnel étranger qu'autant que l'étranger se serait rendu coupable de dol ou de fraude en cachant son incapacité. M. Felix (op. cit., no 64) va encore plus loin: selon lui, il faudrait, pour que le juge français fût autorisé à rejeter l'application de la loi étrangère, que l'étranger eût pratiqué des manœuvres présentant les caractères de l'escroquerie ou de l'abus de confiance. Mais le système de ces auteurs est beaucoup trop absolu il dépasse la mesure des concessions que réclament les convenances internationales, et ne peut se concilier avec la protection que le législateur français doit aux intérêts sérieux et légitimes de ses nationaux. Une seule observation suffira pour le démontrer. Il existe en France, et surtout dans les départements limitrophes, un grand nombre de familles étrangères qui y sont établies depuis de longues années, sans avoir songé à s'y faire naturaliser, ni même à demander l'autorisation d'y fixer leur domicile. Dans le système de MM. Nouguier et Fœlix, les membres de ces familles seraient évidemment en droit de se prévaloir des lois de leur patrie, pour demander l'annulation des conventions qu'ils auraient passées avec des Français, puisque, après tout, le fait de leur résidence en France ne pourrait leur être opposée comme constituant un dol ou une fraude de leur part. Or, cette conséquence étant inadmissible, on se trouve forcément ramené au système intermédiaire que nous avons adopté. Cpr. Paris, 15 mars 1831, Sir., 31, 2, 237; Req. rej., 17 juillet 1833, Sir., 33, 1, 663.

30 Les effets négociables par voie d'endossement doivent en quelque sorte faire office de monnaie, et on ne peut raisonnablement exiger que les tiers à l'ordre desquels de pareils effets sont passés, et qui souvent n'en connaissent pas le souscripteur, aillent au préalable s'enquérir de sa nationalité et du point de savoir si, d'après les lois de son pays, il était capable de s'obliger. Les tiers porteurs sont plus excusables encore de ne pas s'être livrés à ces investigations, si l'étranger s'est, sur les effets mêmes, attribué un domicile en France, puisque cette circonstance les autorisait à le considérer comme Français. Paris, 17 juin 1834, Sir., 34, 2, 371. Paris, 15 octobre 1834, Sir., 34, 2, 657. Au fond, nous adhérons donc aux solutions données par ces arrêts, dont nous avons combattu les motifs à la note 28 supra.

son entretien personnel, alors même que de pareils engagements seraient annulables d'après son statut national31.

c. Le statut personnel étranger cesse d'être applicable toutes les fois qu'il est en opposition avec une loi française de police ou de sûreté, en ce sens que l'étranger ne peut, en France, passer un acte contraire à une loi de cette espèce. C'est ainsi, par exemple, qu'un mahométan, engagé dans les liens d'un premier mariage, ne pourrait, en France, contracter un second mariage, même avec une femme de sa nation, bien que sa loi nationale autorise la polygamie. C'est ainsi encore qu'un étranger ne peut, en France, épouser une Française, ni même une étrangère, dont il serait parent ou allié au degré auquel la loi française prohibe le mariage, bien que la loi de son pays ne porte pas la même prohibition 32. Mais il est bien entendu que les tribunaux français devraient, malgré l'existence d'un empêchement prohibitif établi par la loi française, reconnaître la validité et les effets d'un mariage contracté entre étrangers, en pays étranger, s'il était valable d'après leur loi nationale.

d. Du principe que le statut personnel des étrangers les suit en France, on doit conclure que les jugements de tribunaux civils étrangers, qui déclarent ou qui modifient l'état et la capacité d'un sujet de leur pays, ont, abstraction faite de leur exécution forcée et de leur application au détriment de tierces personnes, le même effet en France que dans le pays où ils ont été rendus, sans qu'il soit nécessaire de les faire au préalable déclarer exécutoires par un tribunal français 33.

st Il est de l'intérêt commun de toutes les nations que l'individu absent de sa patrie puisse obtenir à l'étranger un crédit suffisant pour se procurer les choses nécessaires à son entretien. Et ce but ne sera atteint qu'autant que les personnes auxquelles il s'adressera à cet effet, auront l'espérance de voir ratifier, du moins par les tribunaux de leur pays, les engagements qu'il contractera envers elles. Demolombe, I, 102. Cpr. Paris, 19 mai 1830, Sir., 30, 2, 222. Paris, 19 octobre 1854, Sir., 54, 2, 679.

** Arg. art. 3, al. 1. Cpr. § 469, texte no 1 et note 6, et texte no 2.

35 Un jugement d'interdiction n'a pas besoin d'être déclaré exécutoire en France, lorsqu'il n'est invoqué que comme modifiant la capacité de l'interdit, et qu'on n'en poursuit pas l'exécution forcée dans le sens des art. 2123 du Code Napoléon et 546 du Code de procédure civile. La même observation s'applique aux jugements qui portent nomination de conseil judiciaire, ou qui déclarent une faillite. Les décisions judiciaires de cette espèce présentent en effet ce caractère tout particulier, qu'à la différence des jugements ordinaires, elles ne confèrent par elles-mêmes aucun droit individuel à celui qui les a provoquées, et ne constituent

Ainsi, l'étranger mis en état d'interdiction pour cause d'imbécillité, de démence ou de fureur, ou pourvu, comme prodigue, d'un conseil judiciaire ou d'un curateur, est à considérer en France comme incapable de passer les actes pour lesquels il a cessé d'avoir capacité d'après les lois de son pays. Ainsi encore, le commerçant étranger, déclaré en état de faillite par le juge de son pays, reste soumis en France à toutes les incapacités que sa loi nationale attache à l'état de faillite". Enfin, le tuteur, le curateur ou le syndic, investi à l'étranger du gouvernement de la personne ou de l'administration des biens d'un interdit ou d'un failli, a qualité pour agir en France, même contre des Français.

Toutefois, le juge français, saisi d'une contestation relative à la validité d'une convention passée par un Français avec un étranger interdit, pourvu d'un curateur, ou déclaré en faillite par les tribunaux de son pays, pourrait et devrait faire abstraction du jugement rendu à l'étranger, si le Français avait agi de bonne foi, c'està-dire dans l'ignorance tant de l'existence de cette décision que des faits sur lesquels elle est fondée ; et alors même que le Français aurait eu connaissance de ce jugement, il serait toujours admis à contester, soit la réalité des faits déclarés constants par le

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pas titre en sa faveur aussi comprendrait-on parfaitement que les procédures, pour y parvenir, fussent toutes introduites et suivies d'office au nom de la société (cpr. art. 491 et Code de commerce, art. 440), puisqu'elles ont pour but de rechercher et de constater des faits auxquels la loi, dans des vues d'intérêt général, attache une restriction de capacité. Les jugements qui déclarent l'existence de ces faits, et qui, par leur nature et leur objet, se confondent en quelque sorte avec le statut personnel des individus qu'ils concernent, peuvent, quoique rendus à l'étranger, être invoqués en France à titre de preuve et y font, au moins provisoirement, foi de ce qu'ils constatent. Fœlix, op. cit, nos 65 et 333. Demolombe, I, 103. Demangeat, op. cit., no 82, p. 374.

34 Fœlix, op. cit., no 333. Bordeaux, 10 février 1824, Sir., 24, 2, 119.

35 Merlin, Rép., vo Faillite, sect. II, § 2, art. 10, no 2. Aix, 8 juillet 1840, Sir., 41, 2, 263. Bordeaux, 21 décembre 1847, Sir., 48, 2, 228. La cour de Douai, par arrêt du 5 mai 1836 (Sir. 36, 2, 428), a jugé, dans un sens analogue, que les envoyés en possession des biens d'un étranger, dont l'absence avait été déclarée par le juge de son pays, pouvaient poursuivre en France les débiteurs de l'absent, sans qu'il fût nécessaire de faire, au préalable, rendre exécutoire le jugement déclaratif d'absence.

36 Si le Français qui veut traiter avec un étranger, doit s'enquérir de la capacité de ce dernier, telle qu'elle est réglée par les lois générales de son pays, on ne peut raisonnablement exiger qu'il s'assure, en outre, qu'aucun jugement rendu à l'étranger n'est venu modifier cette capacité. Imposer une pareille obligation aux Français, ce serait, en quelque sorte, leur interdire tout commerce avec des étrangers.

juge étranger, soit l'exactitude des conséquences légales qu'il en a déduites 37.

D'un autre côté, si le tuteur d'un étranger interdit par le juge de son pays, voulait, en vertu du jugement d'interdiction, exercer en France un acte d'autorité sur la personne de l'interdit, par exemple, le placer dans une maison d'aliénés, ou requérir la force publique pour le ramener dans son pays, ce jugement devrait, au préalable, être déclaré exécutoire par un tribunal français.

e. Quant aux arrêts par lesquels des tribunaux criminels étrangers auraient, directement ou indirectement, modifié la capacité juridique d'un étranger, les tribunaux français ne doivent y avoir aucun égard. Il en est de même des lois de proscription", et de tous autres actes ou mesures politiques émanés d'un gouvernement étranger". Ainsi, l'étranger frappé de mort civile par suite d'une condamnation pénale prononcée par un tribunal de répression de son pays, ou mis en état d'interdiction totale ou partielle par un acte politique de son gouvernement, est à considérer en France comme n'ayant subi aucune modification dans son état et sa capacité.

f. Du reste, comme c'est à dessein, et dans la crainte de poser

37 En effet, aucun jugement émané d'un juge étranger n'a en France l'autorité de la chose jugée, peu importe, qu'il ait statué sur une question de droit, ou sur un point de fait. Le Français, contre lequel on invoque un pareil jugement devant un tribunal français, est toujours admis à le soumettre à un nouveau débat. Les décisions judiciaires qui modifient la capacité d'une personne ne forment point exception à cette règle. Merlin, Rép., vo Faillite, sect. II, § 2, art. 10, no 2. Fœlix, op. cit., no 332. Req. rej., 29 août 1826, Dalloz, 1830, 1, 404.

"L'effet des jugements rendus en matière criminelle est restreint, comme l'empire de la loi pénale elle-même, au territoire du pays où ils ont été rendus; et de ce principe on doit conclure que les incapacités résultant de pareils jugements ne suivent pas en pays étranger les individus qui en sont frappés. Merlin, Rép., vo Succession, sect. I, § 2, art. 2. Toullier, IV, 102. Valette sur Proudhon, I, p. 136, note II. Hanin, Des conséquences des condamnations pénales, no 273. Fœlix, op. cit., no 565. Demolombe, 1, 198. Voy. en sens contraire: Delvincourt, I, p. 36; Demangeat, op. cit., no 82, p. 375 et 376. Voy. aussi Colmar, 6 août 1814, Sir., 15, 2, 20.

3 La jurisprudence a même admis que les effets de la mort civile prononcée contre les émigrés par les lois révolutionnaires, ne les avaient pas suivis à l'étranger. Voy. notamment : Req. rej., 7 janvier 1806, Sir., 6, 1, 129; Req. rej., 26 janvier 1807, Sir., 7, 1, 123. Voy. dans le même sens Merlin, Rép., vo Jugement, § 8.

* Paris, 16 janvier 1836, Sir., 36, 2, 70. (Affaire de l'interdiction du duc Charles de Brunswick.)

une règle qui eût pu compromettre des intérêts français dignes de protection, que les rédacteurs du Code Napoléon se sont abstenus de prescrire formellement l'application des lois étrangères dans les contestations relatives à l'état et à la capacité des étrangers, les décisions par lesquelles les tribunaux français auraient, sans motifs suffisants, refusé de les appliquer dans des espèces où ils auraient dû le faire, ne sauraient être envisagées comme contrevenant, par cela seul, à la loi française, ni par suite encourir la censure de la cour de cassation". Il en serait cependant autrement dans le cas où une pareille décision conduirait, par ce résultat, à une violation directe ou indirecte de quelque disposition spéciale de la loi française12.

3o Les lois qui composent le statut réel français régissent tous les immeubles situés en France, soit qu'ils appartiennent à des Français ou à des étrangers, et qu'on les considère isolément et en eux-mêmes, ou comme dépendant d'une universalité juridique, par exemple, d'une succession". Art. 3, al. 2. Réciproquement,

"Merlin, Rép., vo Succession, sect. I, § 2, art 2. Req. rej., 17 juillet 1833, Sir., 33, 1, 663.

42 Cpr. Civ. cass., 1er février 1813, Sir., 13, 1, 113.

43 Comme le territoire forme, en quelque sorte, la base matérielle de l'État, dont l'existence se trouve ainsi intimement liée au sort des immeubles qui composent ce territoire, aucun législateur n'a pu consentir à soumettre les immeubles situés dans son pays à l'empire d'une loi étrangère. Aussi la règle que les immeubles sont régis par la loi de leur situation, est-elle suivie daus tous les États policés. Voy. Second exposé des motifs, par Portalis (Locré, Lég., I, p. 581, nos 14-16). Or, au point de vue des motifs sur lesquels cette règle est fondée, il n'y a point à distinguer entre la transmission à titre particulier d'un ou plusieurs immeubles déterminés, et la dévolution à titre universel d'une universalité d'immeubles. Vainement, pour soutenir le contraire, objecte-t-on d'une part: que le patrimoine, n'étant pas un objet extérieur et se confondant avec la personne même qui en est propriétaire, n'a point d'assiette ou de situation distincte du domicile de cette personne; d'autre part, que la succession ab intestat est déférée d'après la volonté présumée du défunt, et que, pour interpréter cette volonté, il convient de se référer à la loi de sa patrie; qu'ainsi, sous ce double rapport, la succession doit, même quant aux immeubles situés en pays étranger, être régie par la loi nationale du défunt. La première de ces objections, proposée par Zachariæ (§ 31), est exacte en elle-même, mais elle n'est pas concluante; on ne saurait, en effet, dans la transmission d'un patrimoine, faire complétement abstraction des objets qui en dépendent. Il s'agit toujours, en définitive, du sort des immeubles héréditaires, et les raisons qui font repousser l'application des lois étrangères, en fait de transmission d'immeubles, s'appliquent avec plus de force encore à leur dévolution par voie de succession qu'aux mutations à titre particulier, puisque le premier mode de transmission est tout à la fois plus général et

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