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l'empire de ces lois est restreint au territoire français et ne s'étend point aux immeubles que des Français possèdent en pays étrangers. Arg. art. 3, al. 2. De cette double proposition découlent, entre autres, les conséquences suivantes :

a. Les immeubles qu'un étranger possède en France ne peuvent être grevés, même au profit d'un étranger, d'autres droits, charges, ou services que ceux qui sont admis par la loi française. Ils ne peuvent notamment être frappés par convention d'une hypothèque générale, ni grevés de servitudes établies en faveur de la personne. Cpr. art. 2129 et 686.

b. Ces immeubles ne sont susceptibles d'être transmis, même à un autre étranger, qu'à l'aide des moyens de transmission autorisés par la loi française. Ainsi, la donation de biens à venir, ou la substitution faite par un étranger, quoique valable d'après sa loi nationale, reste sans effet quant aux biens situés en France, à moins qu'elle ne rentre dans l'un des cas où des dispositions de ce genre sont exceptionnellement permises par la loi française".

c. L'acquisition de droits quelconques sur de pareils immeubles, eût-elle lieu de la part d'un autre étranger, n'est valable et efficace à l'égard des tiers, ni même entre les parties, qu'autant qu'elle réunit les conditions prescrites par la loi française.

d. Les règles sur la saisie immobilière et sur l'expropriation pour cause d'utilité publique s'appliquent aux immeubles que les étrangers possèdent en France, comme à ceux des Français.

plus étendu que le second. Quant à la seconde objection, elle n'est ni exacte ni concluante. Si, pour le règlement des successions, le législateur tient d'ordinaire compte des affections naturelles et présumées de l'homme, cette considération n'est et ne peut être que secondaire : ce qui domine dans la matière des successions, ce sont des vues politiques, des raisons d'intérêt social; et c'est là un motif de plus pour exclure, dans cette matière, toute application d'une loi étrangère. Du reste, quoi qu'il en soit de cette question en pure théorie, elle ne paraît pas, sous l'empire du Code Napoléon, susceptible d'être sérieusement controversée, puisque l'art. 3, en disposant d'une manière générale que les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française, ne fait point d'exception pour le cas où il s'agirait de la dévolution d'immeubles considérés comme dépendant de la succession d'un étranger. Ce principe, enfin, a été formellement consacré par l'art. 16 du traité conclu entre la France et la Russie, le 11 janvier 1787 (Anc. lois franç., t. XXVIII, p. 290). Fœlix, op. cit., no 37. Valette sur Proudhon, De l'état des personnes, I, p. 97. Demolombe, I, 91. Demangeat, op. cit., p. 336 à 339. Rodière, Revue de législation, 1850, I, p. 180 et suiv. Cpr. Civ. cass., 15 juillet 1811, Sir., 11, 1, 301. Voy. aussi les notes 45 à 47 infra.

"Voy. les autorités citées à la note 15 supra.

e. La dévolution par succession et le partage des immeubles délaissés en France par un étranger décédé, soit en France, soit à l'étranger, sont exclusivement régis par la loi française, peu importe que les héritiers soient français ou étrangers. On procède, en pareil cas, comme si l'étranger avait laissé deux successions complétement distinctes, l'une en France, l'autre dans sa patrie, et en faisant, pour le règlement des biens situés en France, abstraction de ceux qu'il a laissés à l'étranger".

f. L'étranger peut disposer des biens qu'il possède en France, conformément à la loi française, encore que le mode de disposition qu'il entend adopter, soit proscrit par la loi de son pays.

g. La quotité de biens dont l'étranger peut disposer à titre gratuit, en ce qui concerne les immeubles qu'il possède en France, se détermine uniquement d'après la loi française, et sans égard aux biens qu'il possède à l'étranger. Ici encore on procède comme si les immeubles situés en France composaient à eux seuls la succession de l'étranger.

Il est bien entendu que les trois propositions précédentes présupposent, comme cela a effectivement lieu depuis la loi du 14 juillet 1819, que l'étranger jouit, en ce qui concerne la faculté de recueillir ab intestat et de recevoir ou de disposer à titre gratuit, de la même capacité que le Français.

h. La dévolution par succession et le partage des immeubles qu'un étranger ou même un Français a délaissés en pays étranger, ainsi que les modes de disposition qu'il a employés relativement à ces immeubles, et la mesure dans laquelle il a pu en disposer, se règlent uniquement par la loi de leur situation 47.

Il est toutefois à remarquer que les propositions énoncées sous les lettres e, f, g, h, sont soumises, en vertu de l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819, à certaines modifications, dans le cas où la succession, composée de biens situés en France et à l'étranger, est réclamée soit par des Français en concours avec des étrangers, soit exclusivement par des Français 48.

45 Quot sunt bona diversis territoriis obnoxia, totidem patrimonia intelliguntur. Voy. les autorités citées à la note 43 supra ; Duranton, 1,90; Chabot, Des successions, sur l'art 726, no 2. Colmar, 12 août 1817, Sir. 18, 2, 290. Cpr. cep. loi du 14 juillet 1819, art. 2; texte et note 48 infra.

46 Civ. cass., 14 mars 1837, Sir. 37, 1, 195. Cpr aussi : Civ. cass., 8 décembre 1840, Sir., 41, 1, 56; Req. rej., 12 décembre 1843, Sir., 44, 1, 74.

47 Demolombe, I, 93. Cpr. Paris, 1er février 1836, Sir., 36, 2, 173; Req. rej., 28 avril 1836, Sir., 36, 1, 749; Civ. rej., 16 février 1842, Sir., 42, 1, 714. 48 Cpr. sur l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819: § 592.

Le statut réel français s'applique également aux meubles corporels et aux créances qu'un étranger possède en France, en tant du moins qu'on envisage ces objets en eux-mêmes, et non comme partie intégrante d'une hérédité. Ainsi, les dispositions des art. 2279 et 1141, celles des art. 2074, 2076 et 2119 régissent les meubles corporels acquis par un étranger ou possédés par lui, comme ceux des Français. Ainsi encore, les dispositions des art. 1690, 1691 et 2075 s'appliquent au transport des créances d'un étranger, comme à celui de créances appartenant à un Français. De même enfin, les meubles corporels ou incorporels d'un étranger ne peuvent être saisis en France que dans les formes et sous les conditions prescrites par la loi française".

Mais l'opinion la plus généralement suivie dans la pratique judiciaire française tient pour règle que la succession d'un étranger est régie, même quant aux meubles corporels ou incorporels qu'il a délaissés en France, par la loi de son pays, et que c'est également d'après cette loi que se détermine, relativement à ces meubles, le montant de la quotité disponible 50.

"Ces différentes propositions sont généralement admises. Merlin, Rép., vo Loi, § VI, no 3. Fœlix, op. cit., no 38. Duranton, I, 90. Demolombe, I, 96. Valette, op. cit., I, p. 99. Voy. aussi : Paris, 15 novembre 1833, Sir., 33, 2, 593.

** Merlin, Rép., vo Loi, § 6, no 3, et vo Avantage entre époux, no 7 Duranton, 1, 90. Chabot de l'Allier, Des successions, sur l'art. 726, no 2; et Belost-Jolimens sur Chabot, obs. 3, sur l'art. 726. Fœlix, op. cit., no 37. Demolombe, I, 94. Favard, Rép., vo Aubaine (Droit d'), sect. I, no 4. Valette, op. cit., I, p. 98. Demangeat, op. cit., no 83. Rodière, op. et loc. citt. Taulier, I, p. 57. Req. rej., 2 juin 1806, Sir., 6, 2, 967. Paris, 1er février 1836, Sir., 36, 2, 173. Paris, 3 février 1838, Journal du Palais, 38, p. 249. Grenoble, 25 août 1848, Sir., 49, 1, 257. Paris, 13 mars 1850, Sir., 51, 2, 791. Voy. cep. Riom, 7 avril 1835, Sir., 35, 2, 374; Paris, 25 mai 1852, Sir., 52, 2, 289. On croit pouvoir justifier théoriquement ce point de jurisprudence internationale, en disant que les meubles n'ont pas d'assiette fixe, qu'ils sont ambulatoires comme l'individu auquel ils appartiennent, et que la fortune mobilière, ne pouvant se détacher de la personne du propriétaire, doit en définitive être régie par la loi qui régit cette personne. Mobilia sequuntur personam. Mobilia ossibus personæ cohærent. Mais cette fiction, formulée en adage, exprime bien moins la raison que le résultat de la règle admise par la pratique. A notre avis, cette règle est le produit d'une concession internationale fondée sur les deux considérations suivantes : Il serait peu rationnel de faire dépendre le règlement des successions mobilières de la circonstance purement fortuite, qu'une personne décédée à l'étranger y aurait apporté des valeurs mobilières plus ou moins considérables. D'un autre côté, la crainte de voir appliquer une loi étrangère au règlement des successions mobilières, pourrait, au détriment commun de toutes les nations, former obstacle aux établissements et même aux voyages en pays étranger.

Cette règle, toutefois, n'est plus applicable lorsque l'étranger de la succession duquel il s'agit, avait établi son domicile en France avec autorisation du gouvernement, auquel cas la succession même mobilière est régie par la loi française. Il en est incontestablement ainsi pour les meubles qui se trouvent en France, et cette solution semble même devoir s'appliquer aux meubles délaissés à l'étranger $1

D'un autre côté, et en dehors de la circonstance de domicile dont dont il vient d'être parlé, la règle précitée cesse également de recevoir application, du moins quant aux meubles délaissés en France, lorsque la succession de l'étranger non domicilié est réclamée par des héritiers ou successeurs français, qui prétendent se la faire adjuger en vertu des lois françaises, à l'exclusion des héritiers ou successeurs étrangers 52.

Enfin, la même règle est sujette à modification dans l'hypothèse prévue par l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819, en ce que les héritiers et successeurs français sont autorisés à exercer sur les meubles corporels ou incorporels qui se trouvent en France, le prélèvement établi en leur faveur 53.

Au surplus, comme le Code Napoléon n'a, ni explicitement, ni implicitement, consacré la règle que les successions mobilières des étrangers sont régies par la loi de leur pays, les décisions des tri

Favard, op. vo et loc. citt. Rodière, op. et loc. citt. Demolombe, I, 268 bis. Civ. cass., 7 novembre 1826, Sir., 27, 1, 250. Cpr. aussi : Riom, 7 avril 1835, Sir., 35, 2, 374; Paris, 25 mai 1852, Sir., 52, 2, 289.

52 Paris, 15 novembre 1833, Sir., 33, 2, 593. Bordeaux, 17 août 1853, Sir., 54, 2, 257. Cpr. Req. rej., 28 juin 1852, Sir., 52, 1, 537.

53 Cette modification découle du texte même de l'art. 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui, en parlant du prélèvement à exercer par les héritiers français sur les biens situés en France, ne distingue pas entre les immeubles et les meubles. Elle est d'ailleurs parfaitement conforme à l'esprit qui a dicté la disposition de cet article et au but dans lequel elle a été décrétée. Pour maintenir, autant que cela pouvait dépendre de lui, l'égalité entre cohéritiers, le législateur a dû autoriser les héritiers français à exercer le prélèvement établi en leur faveur, sur tous les biens héréditaires, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, qu'il leur serait possible d'atteindre en France. Cpr. § 592. Rossi, Encyclopédie du Droit, vo Aubaine, no 19. Demolombe, I, 94. Tribunal de la Seine, 14 mai 1835, Sir., 36, 2, 173. Civ. cass., 27 août 1850, Sir., 50, 1, 647. Paris, 25 mai 1852, Sir., 52, 2, 289. Req. rej., 21 mars 1855, Sir., 55, 1, 273. Cpr. Paris, 15 novembre 1833, Sir., 33, 2, 593; Civ. rej., 16 février 1842, Sir., 42, 1, 714; Req. rej., 21 juillet 1851, Sir., 51, 1, 685. Voy. en sens contraire: Favard, Rép., vo Aubaine, (Droit d'), sect. I, no 4.

bunaux français qui s'en écarteraient, ne donneraient pas ouverture à cassation 5.

IV. Des lois concernant la validité intrinsèque, les effets et l'exécution des actes juridiques 55.

Il résulte des développements donnés aux numéros II et III: 1° Que, pour apprécier la capacité des parties qui ont passé un acte juridique, le juge français doit, en général, s'attacher au statut personnel respectif de chacune d'elles;

2o Que, pour décider si un acte juridique relatif à des biens meubles ou immeubles qui se trouvent en France est ou non valable, quant aux choses qui en forment l'objet, ou quant au genre de disposition qu'il renferme, le juge français doit, en général, appliquer exclusivement la loi française.

A ces deux règles, il convient d'en ajouter une troisième : Le juge français doit, sans égard à la nationalité des parties, repousser toute demande fondée sur une convention qui serait prohibée par la loi française, ou qui serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, eu égard à la Constitution et au sens moral de la nation française 56. Mais il ne devrait pas rejeter une demande par cela seul qu'elle serait fondée sur une convention qui, dans le pays où elle a été formée ou auquel appartient l'une des parties, serait considérée comme étant en opposition avec les lois, l'ordre public, ou les bonnes mœurs.

En général, il importe peu pour l'application de ces différentes règles, que l'acte soumis à l'appréciation du juge français ait été passé entre deux Français, entre un Français et un étranger, ou

54 Vainement dirait-on que l'al. 2 de l'art. 3 consacre implicitement cette règle, et qu'ainsi sa violation constitue une contravention à la loi française. En effet, l'argument a contrario que l'on prétendrait tirer de cet article ne serait pas concluant, en ce qu'il tendrait à faire admettre une exception au principe général de la matière; il prouverait d'ailleurs trop, puisqu'il est certain que, sous bien des rapports, les meubles appartenant à des étrangers sont régis par la loi française. Cpr. note 49 supra; Merlin, Rép., vo Loi, § VI, no 3.

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Voy. sur cette matière: Dumoulin, Conclusiones de statutis et consuetudinibus localibus (Commentarius in codicem, Lib. I, Tit. I, l. 1). Cpr. ordonnance du 10 août 1834, concernant l'organisation judiciaire en Algérie, art. 31. 'Arg. art. 6. Fœlix, op. cit., no 75. Cpr. Paris, 25 juin 1829, Sir., 29, 2, Quid d'une convention formée entre Français pour l'exploitation d'une maison de jeu en pays étranger? Voy. Ballot, Revue de Droit français et étranger, année 1849, t. VI, p. 803.

341.

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