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Dans l'immense progrès de notre civilisation actuelle, ce n'est pas assurément la vitesse qui fait défaut; ce progrès offre, au contraire, une marche à la fois prodigieusement active et dangereusement précipitée.

Sur les voies des pays à parcourir, comme sur les voies de la fortune à poursuivre, arriver promptement, devient, aujourd'hui, la seule considération sérieuse on ne s'aperçoit même pas que, dans l'une et l'autre circonstance, l'excessive rapidité du mouvement est toujours la prédisposition d'un accident possible, et trop souvent la condition d'un péril certain.

Sans doute, le monde nouveau s'avance à pas de géant dans la carrière des sciences, des arts, des industries, des inventions utiles et des merveilleuses découvertes; il y aurait plus que de l'injustice à lui contester ces admirables avantages; il y aurait plus que de l'ignorance à lui préférer l'ancien monde, et surtout cette barbare et nébuleuse époque de transition que l'on est convenu de nommer le moyen âge.

Mais serait-il raisonnable, serait-il prudent et sage de se laisser éblouir par ces brillants prestiges; de ne voir la civilisation qu'à travers ce prisme enchanteur; serait-il généreux de ne pas arborer le signal de détresse lors que le vaisseau de la société moderne paraît courir, à pleines voiles, sur l'écueil où tout récemment encore il a failli se briser?

Ces questions, pour tous les bons esprits de notre époque,

semblent graves, sérieuses, urgentes: publicistes, législateurs, économistes, corps savants unissent leurs voix dans l'intention positive de faire bien comprendre les dangers des abus de notre civilisation, et la pressante nécessité de trouver un assez puissant remède pour combattre, avec avantage, les tendances destructives de cette société moderne; pour prévenir sûrement leurs funestes résultats.

Il ne s'agit plus en effet ici de ces craintes puériles formulées par des préventions systématiques, ou par ce mécontement sénile qui«< toujours plaint le présent et vante le passé. » Mais il s'agit de l'opinion des hommes les plus dignes de confiance; il s'agit de l'incontestable autorité des faits:

«Le nombre des délits augmente d'année en année d'une manière prodigieuse, dit l'honorable et savant M. Bérenger, président à la cour de cassation... Si parmi les crimes contre les personnes on envisage ceux qui annoncent une plus grande perversité, cet accroissement ne semble pas devoir s'arrêter; si surtout on continue à fermer les yeux sur ce qui le cause. Ainsi les accusations de parricide ont presque doublé !.. Celles d'infanticide se sont accrues de 49 pour 100!.. Les viols et attentats à la pudeur contre des enfants de moins de seize ans ont plus que triplé, et le nombre des mêmes crimes contre les adultes s'est accru de 34 pour 400!... >>

Ces effrayants résultats donnés par les cours d'assises dans la. période de 1826 à 1850, sont plus marqués encore pour les tribunaux correctionnels.

<<< Si de la juridiction des cours d'assises, ajoute M. Bérenger, nous passons à celle des tribunaux correctionnels, c'est là surtout que nous est révélé le nombre toujours croissant des faits susceptibles de répression... Si l'on compare en effet le nombre des délits de 1826, qui n'était que de 59,620, à celui des délits de 1850 qui est de 143,869, on s'assurera que cette augmentation a été de 141 pour 100;... et bien plus grande encore en 1852, où le nombre des délits a été de 197,394, et celui des prévenus de 251,108; ce qui porte, à un chiffre quadruple de celui de 4826, les faits soumis à la juridiction criminelle. »

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L'éloquence de ces chiffres puisés, par l'auteur, dans les statistiques de la justice criminelle de France, porte malheureusement avec elle une bien triste et bien profonde conviction: elle démontre, jusqu'à l'évidence, que les progrès des sciences, des arts, des industries ne sont pas les seuls à constater dans notre civilisation moderne, et que ceux des vices, des crimes, des plus épouvantables forfaits suivent une ligne parallèle en devenant les symptômes effrayants des maladies funestes dont le corps social est chaque jour plus dangereusement affecté.

Nous ne voulons pas voir ici des rapports de cause à effet; nous ne voulons y trouver que de simples coïncidences; mais ces coïncidences existent positivement; et leur existence prouve qu'avec nos admirables conquêtes, au point de vue du génie qui semble tout entraîner dans sa marche prodigieuse, nous ne sommes pas dans les voies de la véritable civilisation; de cette civilisation providentielle qui moralise, élève, agrandit les âmes sans les dénaturer; de cette civilisation qui assure la paix, la prospérité des états, le bien-être, le bonheur des peuples.

Presque tout, en effet, dans notre existence actuelle devient instantané, factice, imaginaire; nous semblons indifférents sur l'avenir; et, dans le présent lui-même, notre inconséquence ou notre orgueil nous font souvent préférer les vaines illusions aux plus solides réalités en voulant polir et perfectionner les ébauches de la nature, nous les travaillons parfois avec un art si destructeur et si faux, qu'il ne reste fréquemment, de cette œuvre mal comprise, que des formes plus ou moins séduisantes, couvrant un défaut complet, ou, ce qui devient plus grave encore, un dangereux vice de fond.

Il existe donc un mal social grave, dangereux, auquel il faut promptement et sérieusement remédier : c'est une vérité qui n'est aujourd'hui méconnue que par les esprits légers, inconsidérés ; qui n'est contestée que par le génie du mal, intéressé, dans ses affreux desseins, à démoraliser les hommes pour mieux les précipiter dans l'abîme des guerres civiles et des révolutions.

Mais ce remède puissant, efficace, où le trouver?... ce n'est

pas, assurément, dans ces ridicules et coupables utopies du socialisme qui, sous des apparences fallacieuses d'affranchissement et de liberté, seraient venues fonder la servitude la plus abrutissante et le plus absolu despotisme, si le bon sens des peuples n'avait pas empêché leurs désastreux principes de passer, des illusions mensongères de la théorie, aux fatales conséquences de la pratique ce n'est pas même dans ces philanthropiques, mais trop naïves prétentions d'une instauration nouvelle du genre humain ; de l'établissement d'une paix universelle, d'un véritable Eldorado sur la terre ces conditions poétiques, imaginées pour l'idylle, ne pourront jamais s'appliquer sérieusement à la civilisation. On le trouvera donc seulement, ce remède impérieusement réclamé par l'état social, dans l'exposition consciencieuse des faits qui parlent énergiquement au cœur, à l'esprit, à la raison humaine; dans l'étude vraie du paupérisme matériel, cause ordinaire de tant de souffrances, de désordres et de méfaits du paupérisme moral, plus dangereux encore; moins bien compris peut-être principe commun d'un si grand nombre de vices, de crimes, de forfaits : dans l'application sage et raisonnée de la charité, pour le premier; de l'éducation, pour le second; de la religion, pour l'un et pour l'autre ; dans la nécessité de rendre à cette religion, au pouvoir, aux lois, à tous les genres de mérite et de supériorité, à la vertu même, ce respect, cette considération indispensables à l'ordre social, et qu'à ce titre, l'esprit d'anarchie se fit toujours un pressant besoin de renverser!... dans l'attention d'élever les catégories au lieu de déclasser les individus ; enfin dans le soin permanent de faire descendre les enseignements et les bons exemples, des ordres supérieurs, vers les ordres inférieurs de l'État, etc.

En conservant à notre œuvre le titre de Système social, ce n'est donc pas une utopie nouvelle que nous venons proposer, car nous ne verrions, dans cette manière d'agir, qu'une inconséquence, une folie de plus nous ne voulons pas, à l'exemple des imprudents novateurs, démolir et détruire l'édifice du temps, pour y substituer un échafaudage d'imagination; nous voulons procéder à l'inventaire sérieux de la société moderne; conserver ce qu'elle

offre de beau, de grand, de réellement utile, au point de vue du véritable progrès; et réformer ce qu'elle présente, sous ce rapport, d'essentiellement défectueux ou funeste pour le présent, pour l'avenir de l'humanité.

Ainsi, dans notre pensée dominante le Système social sera l'étude positive, raisonnée, pratique de l'homme, de la famille, de la société. De l'homme, dans ses droits, dans ses devoirs, dans ses rapports avec tout ce qui l'environne.

De la famille, dans ses éléments, dans ses conditions naturelles et dans sa vie particulière.

De la société, dans ses principes constituants, dans ses lois organiques, dans le mécanisme de son action, dans les périls qu'elle doit éviter et dans les perfectionnements qu'elle peut offrir.

Notre but essentiel, dans toutes ces études, sera le développement de cette véritable civilisation qui seule peut garantir la prospérité, la durée des empires, le progrès, le bonheur du genre humain.

Dans cette voie longue, difficile et périlleuse, nous aurons toutefois l'encourageante assurance de ne pas nous égarer, de marcher droit au but, à la vérité, car nous prendrons incessamment, pour conseillers et pour guides, les sages et consciencieuses opinions des théologiens, des philosophes, des moralistes, des législateurs, des jurisconsultes, des économistes, des littérateurs, des publicistes les plus compétents et les plus dignes de confiance. Avec cette riche et puissante collaboration, notre œuvre atteindra, nous l'espérons du moins, ce caractère d'un travail complet et sérieux auquel ne pourraient jamais prétendre les plus grands efforts d'un auteur isolé, même en lui supposant les connaissances les plus profondes et les plus variées.

Nous le redirons actuellement, en terminant ces considérations. indispensables à l'intelligence du sujet : d'après les faits les plus positifs de l'histoire, depuis que la France jouit des bienfaits de la civilisation, chaque siècle a sans doute présenté, pour elle, ses inquiétudes, ses tourmentes, ses aberrations; mais aucun peutêtre n'a touché d'aussi près, que le nôtre, le redoutable écueil où l'ordre social pouvait à jamais se briser!...

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