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naux le savent, et tandis que le baron de Haymerlé cherche d'où souffle le vent, la presse cargue ses voiles et s'endort jusqu'au lendemain.

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M. de Bismark aurait pu nous rendre un grand service après tout le mal qu'il nous a fait; il aurait pu laisser partir l'étatmajor de fonctionnaires civils et militaires pour le service du sultan, et fournir à M. de Freycinet un motif de ne pas participer à l'exhibition des cheminées pacifiques sur les côtes de l'Albanie et de la Grèce. Mais non, il n'en a rien fait; il a, au contraire, poussé l'amabilité jusqu'à interdire leur départ tant que dureront les difficultés actuelles. Comment ne craint-il pas de blesser la dignité du sultan? ou bien n'a-t-il rien à craindre? ou encore poursuit-il un but en agréant la demande du sultan en en ajournant l'accomplissement, jusqu'après la solution dictée par la Conférence de Berlin, ou jusqu'après la rupture du concert européen? C'est un homme politique, il ne va pas toujours le chemin tracé pour le commun des mortels, mais il sait le but où il tend. Ce but il le connaît parfois tout seul, il ne le confie pas toujours à tous ses collaborateurs, ni même à son unique supérieur. Quant aux journaux, on sait comme il les sait employer et faire donner. Moins encore que pour l'Autriche, nous irons chercher la lumière dans la presse de Berlin; nous n'en avons d'ailleurs pas besoin; notre mémoire nous suffit pour montrer que dès longtemps le prince-chancelier a jeté son dévolu sur les affaires orientales.

Déjà, dans notre dernier Bulletin, nous avons raconté des essais d'alliance, des examens intimes; aujourd'hui nous remontons un peu plus haut.

C'était en 1874; un inconnu se présenta à notre cabinet, nous habitions alors Péra-lès-Constantinople; cet inconnu, jeune homme de 24 à 25 ans, était plus qu'un inconnu pour nous, c'était un étranger tout fraichement débarqué, et arrivé exprès pour nous voir et nous demander conseil et assistance. Il se présenta de cette façon, et, sur notre demande, il déclara n'avoir même pas songé à se munir d'une lettre d'introduction de la part de ses amis qui l'ont envoyé vers nous.-« Qui êtesvous, que désirez-vous? Je suis Serbe, répondit-il; dans notre pays il n'est pas d'enfant qui ignore les services que vous nous avez rendus lors de la mission de feu M. Garachanine;

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vous avez consenti à être son secrétaire, c'est à votre rédaction des mémoires présentés par lui à Aali-Pacha, qu'il a luimême attribué le succès de sa mission. » Nous le priions de ne pas continuer sur ce ton louangeur, quand subitement il ajouta: «La Serbie court un grand danger, et nous avons pensé à vous, vous ne refuserez pas de m'entendre! »

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Parlez.

Une insurrection sérieuse éclatera prochainement en Herzégovine et en Bosnie.

- Ne vous en plaignez pas; si c'est vrai, la Porte achètera votre neutralité et vous cédera enfin le petit Zwornik! Qui peut penser au petit Zwornik ? le danger qui menace la Serbie est d'être absorbée par l'Autriche-Hongrie.

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D'où vous vient cette peur?

Ce n'est pas une peur, c'est une prévision certaine, dit-il; le pays pullule d'agents allemands qui excitent la population, distribuent de l'argent, apportent de la poudre et des armes. Tous des Allemands! une entente avec l'Autriche, donc. Allez, racontez cela aux Pachas, ils ne savent peut-être rien de ce qui se prépare. Vous sauvez la Serbie des griffes de l'Autriche.

- Est-ce bien vrai ce que vous dites là? Allez vous-même chez Essad Pacha, le grand-vizir; tout ce qu'un autre lui dirait serait mal accueilli, et ne servirait de rien.

Quelques jours après, nous le rencontrâmes au conak d'un autre pacha; il nous dit que le grand-vizir a envoyé quelqu'un pour s'informer directement; ce quelqu'un, nous l'avons revu depuis, mais ce n'était plus le même grand-vizir, et le nouveau n'avait pas de rapport à recevoir le fait raconté par le Serbe était vrai, et la Porte a continué à l'ignorer.

Plus tard, en 1876, un dominicain sorti d'un monastère bosniaque, raconta à Constantinople que la présente insurrection a ce caractère curieux d'avoir été fomentée par M. de Bismarck, soutenue par M. Andrassy, et protégée par les panslavistes quand la partie était déjà trop engagée pour permettre un recul.

un

La mission Wattenfeld et consorts forme-t-elle chaînon de cette intrigue? Chi lo sa ? Mais il nous a paru utile et permis de raconter ici ce chapitre inédit des origines de la dernière guerre d'Orient, dont les vicissitudes ne sont pas épuisées.

NOTE RESPONSIVE DE LA S. PORTE CONCERNANT LA CONFÉRENCE DE BERLIN

(Voir no 8, p. 342.)

Voici, d'après la République française, le texte de la réponse faite par la Porte à la note collective des puissances lui communiquant la décision de la Conférence de Berlin, relative à la Grèce :

« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de S. M. l'empereur des Ottomans, a eu l'honneur de recevoir la note que LL. Exc. MM. les ambassadeurs d'Allemagne, de Russie, de Grande-Bretagne, d'Italie, de France et le ministre d'AutricheHongrie lui ont adressée en date du 15 de ce mois, relativement à la rectification de la frontière hellénique.

<< Par cette note, Leurs Excellences rappellent les négociations directes tentées à deux reprises par les plénipotentiaires ottomans et hellènes, en vue de parvenir à une entente sur cette question; elles déclarent qu'en présence de ces tentatives infructueuses, les puissances désignées par le Traité de Berlin ont jugé nécessaire d'offrir leur médiation et ont prescrit à leurs représentants, réunis en conférence à Berlin, de fixer une ligne frontière entre la Grèce et la Turquie; elles communiquent au soussigné le texte de l'Acte qui a résumé et clos les délibérations des plénipotentiaires, et par lequel ces derniers ont soumis à leurs gouvernements le tracé qu'ils ont adopté à l'unanimité, afin qu'ils voulussent bien approuver leur décision et la notifier aux parties intéressées. Enfin, Leurs Excellences invitent la Sublime Porte, au nom de leurs gouvernements, à accepter la ligne frontière indiquée par le docu

mert susmentionné.

La Sublime Porte a voué la plus sérieuse attention à l'examen de cette importante communication, et, plus elle est désireuse de témoigner de sa déférence pour les hautes puissances amies avec lesquelles elle a signé le Traité de Berlin, plus elle éprouve le besoin de signaler à leur appréciation équitable la position aussi perplexe que pénible où elle se trouve placée par l'invitation qui vient de lui être adressée.

La Sublime Porte ne doute nullement que les puissances, dont elle connaît les sentiments de justice et auxquelles elle ne saurait jamais supposer l'intention de porter atteinte à sa souveraineté, n'accueillent avec bienveillance les observations que le soussigné est chargé de présenter à Leurs Excellences en réponse à leur note précitée.

En signant le traité de Berlin, la Sublime Porte ne s'attendait pas, à propos d'un vou concernant la rectification de la frontière hellénique en Épire et en Thessalie, à recevoir des puissances médiatrices une proposition ayant pour but la cession de pays appartenant à l'Albanie, ainsi que la Thessalie tout entière; c'est-à-dire de la totalité de la vallée du Pénée avec ses deux versants, cession qui consisterait à annexer au royaume hellénique un territoire presque égal à la moitié de la superficie actuelle de ce royaume.

Dans leur note précitée, Leurs Excellences affirment que les puissances ont prescrit à leurs ministres, réunis en conférence à Berlin, de fixer, en se conformant aux indications générales du protocole 13, une ligne qui constituât entre la Grèce et la Turquie une bonne et solide frontière défensive.

Mais la Sublime Porte regrette de devoir faire observer que la ligne frontière qu'elle est invitée à accepter ne présente guère ces conditions en ce qui la concerne. En effet, personne ne saurait attribuer à la Sublime Porte la pensée ou le désir de viser à une extension territoriale aux dépens d'un autre État, tandis que l'objet d'une bonne et solide ligne défensive serait de garantir plutôt la Sublime Porte contre la possibilité de pareilles aspirations à son préjudice. Or, les points stratégiques assignés à la Grèce par la Conférence, tels que Metzovo, position d'une grande importance militaire pour les communications avec la basse Albanie, exposeraient les provinces limitrophes à des attaques contre lesquelles la Sublime Porte se trouverait sans défense. D'autre part, même comme but défensif, la Sublime Porte ne saurait s'expliquer pourquoi la Conférence a adopté du côté de l'Epire le thalweg du Calamas, tandis que du côté de la Thessalie, au lieu de suivre le thalweg du Pénée, elle fait remonter la ligne frontière aux sommets du versant septentrional de la vallée.

La Sublime Porte se borne à ce peu d'observations en ce qui concerne le côté stratégique de la ligne frontière proposée par la Conférence; mais envisagée au point de vue politique, cette ligne présenterait dans son application de graves diffi

cultés et imposerait à la Sublime Porte des sacrifices auxquels il lui serait impossible de se soumettre.

En effet, comment lui serait-il possible de consentir à la possession de Janina que les Albanais, qui, eux aussi, se croient, à l'exemple d'autres nationalités de l'empire, une race distincte et non moins intéressée, ont de tout temps considéré comme la capitale de la Basse-Albanie, à la possession de laquelle ils tiennent, comme on le sait, avec tant d'obstination?

N'est-il pas évident que si la Sublime Porte se décidait à sacrifier une ville si importante sous tous les rapports, elle provoquerait de graves complications qui compromettraient peutêtre l'exercice paisible de son autorité dans cette partie de la Turquie d'Europe? Serait-il possible à la Sublime Porte de déposséder les Albanais de certaines autres localités appartenant à leur race, et surtout des pays de Tchamouri, habités exclusivement par des Albanais dont la majorité professe la religion musulmane?

Du côté de la Thessalie, la Sublime Porte se trouverait en face de difficultés non moins graves. Il y a Larissa, ville populeuse et importante habitée, pour les trois quarts, par des musulmans et entourée d'une série de districts et de villages musulmans.

Serait-il possible que, contrairement à la sollicitude manifestée par les puissances chrétiennes de l'Europe en faveur d'un royaume chrétien, S. M. I. le sultan, calife et chef de la religion musulmane, allât jusqu'à sacrifier une grande ville essentiellement musulmane et à mécontenter non seulement ses habitants qui implorent nécessairement la protection impériale, mais tous les musulmans en général? D'ailleurs, si Larissa était cédée à la Grèce, la population musulmane en émigrerait, comme l'avait fait celle du royaume hellénique, où il ne reste actuellement qu'une dizaine de familles musulmanes à Chalcis, et la décadence, la ruine d'une ville aujourd'hui populeuse et prospère ne tarderaient pas à être complètes.

« Ce qui démontre que le côté politique d'une rectification des frontières entre la Grèce et la Turquie mérite une considération spéciale, c'est que M. Waddington, le premier plénipotentiaire de France qui avait pris l'initiative de cette proposition au sein du Congrès, n'a pas hésité lorsque, plus tard, en sa qualité de président du conseil et ministre des affaires étrangères, il a proposé à l'acceptation des autres puissances une ligne frontière, excluant du territoire à céder à la Grèce

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