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constater partout la part faite aux sympathies religieuses et nationales. Prenons par exemple le traité de Saint-Germain-en-Laye du 10 septembre 1919, entre les principales puissances alliées et la Tchéco-Slovaquie.

<< La Tchéco-Slovaquie s'engage à accorder à tous les habitants pleine et entière protection de leur vie et de leur liberté sans distinction de naissance, de nationalité, de langage, de race ou de religion. Tous les habitants de la Tchéco-Slovaquie auront droit au libre exercice, tant public que privé, de toute foi, religion ou croyance dont la pratique ne sera pas incompatible avec l'ordre public et les bonnes mœurs (art. 2.)

<< Tous les ressortissants tchéco-slovaques seront égaux devant la loi et jouiront des mêmes droits civils et politiques sans distinction de race, de langage ou de religion.

« La différence de religion, de croyance ou de confession ne devra nuire à aucun ressortissant tchéco-slovaque en ce qui concerne la jouissance des droits civils et politiques, notamment pour l'admission aux emplois publics, fonctions et honneurs et l'exercice des différentes professions et industries.

<< Il ne sera édicté aucune restriction contre le libre usage par tout ressortissant tchéco-slovaque, d'une langue quelconque soit dans les relations privées ou de commerce, soit en matière de religion, de presse ou de publications de toute nature, soit dans les réunions publiques (art. 7.)

« Les ressortissants tchéco-slovaques, appartenant à des minorités ethniques, de religion ou de langue, jouiront du même traitement et des mêmes garanties en droit et en fait que les autres ressortissants tchéco-slovaques (art. 8.)

« La Tchéco-Slovaquie agrée que, dans la mesure où les stipulations des chapitres I et II affectent des personnes appartenant à des minorités de race, de religion ou de langue, ces stipulations constituent des obligations d'intérêt international, et seront placées sous la garantie de la Société des Nations.

« La Tchéco-Slovaquie agrée en outre qu'en cas de divergence d'opinion sur des questions de droit ou de fait concernant ces articles, entre le gouvernement tchéco-slovaque et l'une quelconque des principales puissances alliées et associées ou toute autre puissance, membre du conseil de la Société des Nations, cette divergence sera considérée comme un différend ayant un caractère international selon les termes de l'article 14 du pacte de la Société des Nations. Le gouvernement tchéco-slovaque agrée que tout différend de ce genre sera, si l'autre partie le demande, déféré à la Cour permanente de Justice. La décision de la Cour permanente sera sans appel et aura la même force et valeur qu'une décision rendue en vertu de l'article 13 du pacte (art. 14.) »

Le publiciste sir Edward Creasy non seulement justifie l'intervention, mais il en fait même un devoir dans les cas exceptionnels qui suivent.

... 3. Lorsqu'on intervient en faveur d'un peuple opprimé qui n'a jamais fondu sa nationalité dans celle de ses oppresseurs, lesquels le regardent comme une race étrangère assujettie à la même autorité souveraine, mais traitée différemment sous d'autres rapports1.

Pour le troisième motif d'intervention, la pure sympathie humaine, il est assez semblable au principe exprimé par l'esclave Davus dans la comédie de Terence :

Homo sum, humani nihil a me alienum puto.

C'est ce que dit Fiore quand il se sert de la phrase:

« Ogni fatto che debba essere considerato ingiusto ed illegittimo secondo il Diritto comune. »>

Hall exprime à peu près la même idée 2; mais il semble qu'on ne doive pas admettre l'intervention pour une telle cause, car cela entraînerait trop loin. En réalité, il s'agit de considérations plus théoriques que pratiques. On pourrait toutefois citer à cet égard la guerre entre les État-Unis et l'Espagne qui n'aurait pas été provoquée par la seule explosion d'un vaisseau de guerre américain dans le port de la Havane, si l'esprit public aux États-Unis n'avait pas été déjà exaspéré par ce qui semblait aux Américains le mauvais traitement infligé à leurs voisins, les habitants de Cuba, par le gouvernement espagnol.

Une intervention de ce genre n'est appuyée ni par la « coutume internationale» ni « par la doctrine des publicistes les plus qualifiés; » il faut l'écarter de la jurisprudence.

Restent les interventions pour cause de sympathie religieuse ou nationale; il semble, après ce qui vient d'être exposé, qu'il faut admettre, toujours avec beaucoup de précautions et dans les limites assez étroites, que cette intervention dans les affaires domestiques ou municipales est de droit.

Passons maintenant à l'intervention d'un État tiers dans les disputes entre deux ou plusieurs autres États : cette intervention est ou réclamée par l'un des partis en cause ou faite d'office pour des motifs de sécurité générale.

On trouvera ce sujet largement discuté par les écrivains du xixe siècle: mais il est inutile d'insister longuement à cet égard parce que, depuis la formation de la Société des Nations, cette sorte d'intervention entre, en ce qui concerne la plus grande partie du monde

1. Cité par Calvo, Le droit international, sect. CXIX.

2. Ed. Pearce Higgins, par. 90-95.

dans les catégories conventionnelles et qu'elle est régie par le Pacte. L'article 11 déclare en effet :

<< Il est expressément déclaré que toute guerre ou menace de guerre, qu'elle affecte directement ou non l'un des membres de la Société, intéresse la Société toute entière et que celle-ci doit prendre les mesures propres à sauvegarder efficacement la paix des Nations. En pareil cas, le secrétaire général convoque immédiatement le conseil, à la demande de tout membre de la société.

Il est en outre déclaré que tout membre de la Société a le droit, à titre amical, d'appeler l'attention de l'Assemblée ou du Conseil sur toute circonstance de nature à affecter les relations internationales et qui menace par suite de troubler la paix ou la bonne entente entre nations dont la paix dépend. »

L'article 17 ajoute :

« En cas de différend entre deux États, dont un seulement est membre de la Société ou même dont aucun ne fait partie, l'État ou les États étrangers à la Société sont invités à se soumettre aux obligations qui s'imposent à ses membres aux fins de règlement du différend, aux conditions estimées justes par le Conseil. Si l'État invité, refusant d'accepter les obligations de membre de la Société aux fins de règlement du différend, recourt à la guerre contre un membre de la société, les dispositions de l'article 16 lui sont applicables...; si les deux parties invitées refusent d'accepter, le Conseil, peut prendre toutes mesures et faire toutes propositions de nature à prévenir les hostilités et à amener la solution du conflit. »>

On dira cet que article n'a pas de force pour un État qui n'a pas consenti au Pacte. Mais en l'envisageant de l'autre côté, on constatera qu'un allié peut toujours venir en aide à son associé, et que dans cette matière tous les États qui sont membres de la Société des Nations ont fait une vraie ligue d'alliance.

Il n'en est pas moins vrai que si la Société se servait de cet article pour intervenir ès qualité, dans un conflit entre l'Allemagne et la Russie, ou entre les États-Unis et l'Équateur ou le Mexique (tant que ces nations resteront en dehors de la Société) ce serait une chose grave que le Pacte, res inter alias acta, ne suffirait pas à justifier, et qui ne serait pas motivée en justice, excepté dans le cas assez improbable où le conflit serait susceptible de nuire à la paix ou à la sécurité de quelques membres de la Société. On reviendrait alors au droit commun.

Pour les États qui se sont liés par le Pacte, il n'y a pas de difficulté. La question rentre dans le droit conventionnel.

III

L

E droit d'indépendance et le droit d'intervention qui vient le limiter ont nécessité des développements assez étendus. Les autres droits fondamentaux des États présentent moins de difficulté et demandent moins d'explications.

La troisième branche du tronc auquel nous avons comparé le droit de vivre, c'est le droit de se protéger « - the right of selfdefence - die Selbsterhaltung. »>

Calvo l'appelle le droit de conservation; il comprend selon lui l'accomplissement de tous les actes indispensables pour repousser une agression et pour éviter un danger imminent 1.

Quant à Wheaton, il s'exprime sur ce sujet de la manière suivante 2 :

« Le premier et le plus important de tous les droits internationaux absolus, celui qui sert de base fondamentale à la plupart des autres, est le droit de conservation. Toute personne morale, du moment où son existence est légitime, a le droit de pourvoir au bien-être et à la conservation de cette existence. Les sociétés politiques ou États souverains légitimement établis jouissent donc aussi de ce droit. Le droit de conservation de soi-même implique nécessairement tous les autres droits incidents qui sont essentiels pour arriver à cette fin. Parmi ces droits se trouve celui de repousser au préjudice de l'agresseur les attaques injustes dont l'État ou ses citoyens pourraient être l'objet. »>

Cette modification du droit de conservation est ce que l'on nomme le droit de légitime défense. Ce droit implique également celui de requérir le service militaire de tous ses peuples, d'entretenir des forces navales, d'ériger des fortifications et d'imposer des taxes et des contributions pour ces objets. Il est évident que l'exercice de ces droits absolus ne peut être limité que par les droits correspondants et égaux d'autres États, ou bien par les conventions spéciales avec les États.

Sir Robert Phillimore dit de son côté :

« Le droit de conservation est la première loi pour les peuples

1. Calvo, sect. CCIV.

2. Wheaton, Droit international, vol. I, 2a partie, chap. 1, par. 2.

comme pour les individus. La société qui ne se trouve pas capable de résister aux attaques de dehors ne remplit pas son devoir principal envers ses membres et manque à l'objet capital pour lequel elle a été constituée.

<< Pour ce but tout moyen est légitime, pourvu qu'il ne touche pas à l'indépendance d'autres nations. Nulle nation ne peut prescrire à une autre quels seront ses moyens ni demander raison de sa conduite à cet égard1. »

Il n'est pas difficile de se faire une idée de ce que ce droit de conservation comporte. Chaque État a le droit d'entretenir une armée et si c'est un État maritime, une flotte et des garde-côtes suffisants pour sa sécurité, de fortifier ses ports et ses côtes et tout son territoire contre les incursions militaires, navales et aériennes de fabriquer et d'amasser des munitions de guerre, de repousser des bandes hostiles, de refuser l'accès aux indésirables et aux articles malsains ou nuisibles pour les animaux domestiques, les arbres ou les plantes cultivées, d'imposer la quarantaine et toute autre espèce de précaution hygiénique.

Par suite de ce droit, un État, s'il observe des préparatifs militaires faits sans motif par quelque état voisin ou une concentration de troupes près de la frontière, ou même un fort accroissement des forces militaires, sera fondé à prendre des précautions, à demander des explications, et si les réponses ne sont pas satisfaisantes, à recourir à des mesures de défense. S'il se trouve une réunion de conspirateurs contre son bien-être et que cette conspiration soit protégée par l'État voisin, il sera en droit de se protéger lui-même.

Mais il faut toujours se souvenir qu'il existe un contrepoids : c'est la maxime: sic utere tuo ut alienum non ledas, et le fait que chaque droit entraîne un devoir réciproque. Si on se plaint de l'accroissement des forces militaires d'autrui, il ne faut pas en donner l'occasion par ses propres préparatifs militaires ou navals. De même il ne faut pas donner abri à ceux qui essaient de bouleverser la constitution de quelque autre pays, etc. Tout cela est évident et ne soulève aucune difficulté. Il n'y a qu'un cas véritablement délicat, c'est celui où la police d'un État voisin est si faible qu'elle laisse se former des bandes d'aventuriers près de la frontière; faut-il rester sur la défensive ou a-t-on le droit de dépasser la frontière pour disperser ces groupements hostiles? Sir Robert Phillimore pense que oui, et à ce sujet il cite l'affaire du navire la Caroline dans laquelle la milice canadienne avait détruit un navire américain mouillé dans les eaux américaines, qui était

2

1. Phillimore International-Law, vol. I, sect. 216, vol. II, sect. 35.

2. Phillimore's International Law vol. I, sect. 211.

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