Page images
PDF
EPUB

merce entre eux1. Si les Etats-Unis envoient leurs marchandises en Hollande et que les Hollandais désirent les recevoir, la France ne peut pas interdire le commerce.

Mais qu'arrivera-t-il si la Hollande ne veut pas que ses sujets reçoivent la marchandise américaine? Évidemment, il est bien à supposer que la Hollande serait incapable d'un acte aussi peu raisonnable, mais enfin, s'il lui plaisait d'interdire le commerce avec quelque autre pays, c'est-à-dire d'ordonner à ses citoyens de ne pas recevoir les produits d'un autre pays, elle serait dans son droit. Des exemples d'interdiction se rencontrent partout: en Angleterre par exemple, on interdit l'importation du bétail sauf l'exception qui a été introduite récemment en faveur du Canada; on ne permet pas l'importation des chiens. Dans plusieurs pays, l'entrée de toutes les matières susceptibles de propager le phylloxéra est interdite. Dans l'article 22 du Pacte, au sujet des mandats, il est dit que « le degré de développement où se trouvent d'autres peuples... exige que le mandataire y assume l'administration du territoire à certaines conditions parmi lesquelles sont énumérées la prohibition d'abus tels que la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l'alcool. » C'est admettre expressément le droit d'interdire le commerce de certaines denrées.

D'ailleurs, à côté de l'interdiction pure et simple, il y a la taxation qui peut aboutir à une prohibition de fait; il existe partout des droits de douane pour la protection des industries indigènes.

Même si l'on est un disciple de Cobden, Laveleye et Gladstone, il faut bien convenir que la doctrine du libre-échange n'a pas fait beaucoup de progrès dans les derniers quatre-vingts ans. Même en Angleterre où les principes libéraux sont le plus fortement enracinés, on a voté dernièrement une loi soi-disant nécessaire pour la sauvegarde de quelques industries (Safeguarding of Industries act, 1921, 11 et 12, George V, C. 47).

De même dans plusieurs États, l'immigration n'est pas libre. Cette question sera traitée plus longuement dans la suite.

En ce qui touche l'exportation, la question est un peu plus délicate; aucun État jusqu'à présent n'a poussé ses droits jusqu'à refuser de fournir aux étrangers les matières premières (raw materials) qui leur sont nécessaires. Mais tout dernièrement encore, sinon à présent, la loi hollandaise interdisait l'exportation, sans l'autorisation de l'autorité supérieure, du sucre, excepté pour des quantités minimes, et l'Italie ne permet pas qu'on fasse sortir de son territoire les antiquités ou les chefs-d'œuvre de peinture et de sculpture. Évidemment le droit de commerce existe, mais Vattel a raison quand il le limite :

1. Voir aussi Holtzendorff, par. 26.

<< Puis donc qu'une nation ne peut avoir naturellement aucun droit de vendre ses marchandises à une autre, qui ne veut pas les acheter, qu'elle n'a qu'un droit imparfait d'acheter des autres ce dont elle a besoin, qu'il appartient à celles-ci de juger si elles sont dans le cas de vendre, ou si elles n'y sont pas, et qu'enfin le commerce consiste dans la vente et l'achat réciproque de toutes sortes de marchandises, il est évident qu'il dépend de la volonté de chaque Nation d'exercer le commerce avec une autre ou de ne pas l'exercer. Et si elle veut le permettre à quelqu'une, il dépend encore d'elle de le permettre sous telles conditions qu'elle trouvera à propos. Car en lui permettant le commerce, elle lui accorde un droit, et chacun est libre d'attacher telle condition qu'il lui plaît à un droit qu'il accorde volontairement 1. »

On doit critiquer l'opinion de Cruchaga qui dit :

<< La souveraineté et l'indépendance d'un État s'étendent-elles jusqu'au point de l'autoriser à fermer toutes ses portes au commerce étranger, s'isolant ainsi complètement? Certainement non, parce que, comme nous l'avons vu, le droit d'un État a comme limite le droit des autres 2. >>

Pour ma part il me semble que la meilleure doctrine sur cette question se trouve chez un juriste de grande valeur, Oppenheim dont voici une citation peut-être plus longue :

« Plusieurs partisans de la doctrine des droits fondamentaux y comprennent aussi le droit pour chaque État de se mettre en relations avec tous les autres. Ce droit est censé comprendre le droit d'entrer en relations diplomatiques, commerciales, postales et télégraphiques, par chemin de fer, le droit pour les étrangers de voyager et de s'établir partout dans chaque État, etc....

<< Mais si l'on considère les vraies conditions de la vie internationale, on verra tout de suite que de tels droits fondamentaux n'existent pas.

« Toutes les conséquences qui dérivent du soi-disant droit des relations, ne sont en réalité que les conséquences du fait qu'en l'absence de relations entre les États, il ne peut exister de loi des nations. Les états civilisés forment une communauté d'États parce qu'ils sont liés par des intérêts communs et par les rapports de toute nature qui servent ces intérêts. Par le moyen des relations existant entre eux et avec le développement de leurs intérêts communs, la loi des nations a grandi parmi les États civilisés.

<< En l'absence de rapports mutuels, il ne saurait y avoir de communauté ni de loi pour cette communauté. Un État ne peut être membre d'une famille de nations et personne internationale si

1. Vattel, Droit des gens, sect. 92.

2. Cruchaga, Nociones de Derecho International, sect. 249.

aucune relation n'existe entre lui et un ou plusieurs autres États Des relations de toutes sortes avec d'autres États existent nécessairement pour tout État civilisé.... Mais il n'y a point de droit spécial de commerce entre les États qui existe selon la loi des nations. C'est parce que ces droits de relation n'existent pas, que les États concluent des traités spéciaux sur des matières concernant les chemins de fer et le commerce. D'un autre côté, la plupart des États, pour exclure ou gêner le commerce étranger, imposent des droits protecteurs de leur commerce, de leur industrie et leur agriculture nationale. Et quoique ordinairement ils laissent voyager et résider les étrangers sur leur territoire, ils peuvent expulser tout sujet étranger à leur discrétion 1.

Hall est certainement du même avis et il semble que Holtzendorff partage cette opinion.

Il s'ensuit que le droit de commerce existe seulement comme un droit de deux nations de faire le commerce entre elles sans entrave d'un autre État, et que pour tous autres cas c'est une proposition de sagesse politique et non pas de jurisprudence.

Ainsi, des trois droits relatifs, le droit d'ambassade existe absolument, mais dans des limites assez étroites; les droits de conclure des traités et de commerce n'existent que relativement, c'est-à-dire que si deux États désirent se lier par un traité ordinaire ou faire mutuellement du commerce, un État tiers ne pourra s'y opposer. Mais un État ne peut exiger qu'un autre État fasse un traité ou s'engage à faire du commerce avec lui.

Telles sont les conclusions qu'on peut tirer de l'étude des droits fondamentaux des États.

1. L. Oppeinheim, International Law, vol. I, p. 199-200.

2. Ed. Pearce Higgins, sect. XIII.

3. Sect. XXVI.

IV

USQU'ICI, nous avons laissé de côté toute question touchant le droit conventionnel, c'est-à-dire les droits et les devoirs qui dérivent d'un traité ou d'un pacte quelconque, car ce ne sont pas des droits fondamentaux dans le sens du titre de cette étude. Les droits et devoirs dont il a été traité sont au contraire des droits et des devoirs primordiaux; ils existent ex rerum natura, ils ont leur origine dans la seule existence des États et dans le fait qu'ils entretiennent des rapports réciproques; ce ne sont pas des droits ex contractu.

On ne doit pas non plus comprendre dans cette catégorie les recours en vue du redressement du droit violé, la procédure internationale. On sait qu'en droit français et dans les systèmes de jurisprudence qui s'y apparentent, il existe à côté du code civil un code de procédure civile et à côté du code pénal, un code d'instruction criminelle, et on connaît la distinction entre le droit « substantiel » et le droit en litige (substantive law and the law of procedure).

Il est vrai qu'il a été question plus haut de l'intervention, et que l'intervention est une espèce de litige. Mais c'est là une observation facile à écarter, car il suffit d'ajouter aux autres droits fondamentaux des États le « jus litigandi, » le droit d'établir ses droits, par des méthodes diverses : négociations diplomatiques, voies de fait ou en dernière analyse la guerre.

Au cas de cession de territoire ou d'extinction d'un État, se pose la question de succession aux droits et aux devoirs de l'État partagé ou disparu. Cette question ne sera pas traitée ici; elle a d'ailleurs été discutée dans tous ses détails dans une brochure très documentée de M. Arthur Berriedale Keith 1.

En somme si on s'inspire du plan des Instituts de Justinien, nous nous occupons des sujets des deux premiers livres, les personnes et les choses, non pas des obligations, ni des successions, ni des actions. Il reste à envisager toutes ces questions du point de vue opposé, celui des devoirs des États.

On pourrait objecter, il est vrai, qu'il n'y a rien à dire à ce point 1. The Theory of State Succession, London, 1907.

de vue qui ne soit une simple répétition « Jus es suum cuique tribuere; on fait ses devoirs en se conformant aux droits d'autrui. >> Cela est exact; mais en regardant les relations internationales du point de vue des obligations, on les appréciera plus clairement. Surtout, on distinguera plus clairement quelles limites on doit fixer aux droits des États, jusqu'où on peut les étendre et où il faut les arrêter; on comprend mieux les droits en étudiant les devoirs. C'est ce que fait Calvo qui, dans son ouvrage, après avoir expliqué dans quatre livres les droits des États, consacre son livre sixième aux « Devoirs mutuels des États; » il affirme que tout droit suppose la notion corrélative du devoir et ajoute quelques observations très sagaces à ce sujet. Cruchaga intitule aussi un chapitre (x1) « Los deberes de los estadas. >>

Si on analyse les devoirs, on trouvera d'abord ceux qui sont des corrélatifs du droit d'autrui, c'est-à-dire le devoir de respecter sa souveraineté et son indépendance, de lui rendre les marques de respect et d'honneur qui lui sont dus selon l'usage accepté, de reconnaître sa juridiction, de lui permettre d'ester en justice pour la conservation de biens nationaux, de recevoir et de répondre à ses ambassades. Puis on trouvera les devoirs qui sont les conséquences des droits; si un État désire que sa souveraineté et son indépendance soient respectées, il faut qu'il maintienne le bon ordre sur son territoire avec une police suffisante et ne trouble pas par ses menées la paix des autres États.

Doit-on aller plus loin? Faut-il faire une obligation de l'entr'aide internationale? C'est une question qui se pose au sujet de l'extradition et au sujet de la douane.

Quant à l'extradition, un État est tenu comme il a déjà été observé, de ne pas souffrir que son territoire devienne le foyer des préparatifs hostiles envers son voisin; mais l'usage a depuis longtemps établi qu'il peut donner asile aux réfugiés politiques. Dans ces conditions, lorsqu'un particulier est inculpé d'un crime de l'ordre du droit commun, l'État lésé a-t-il le droit de demander son extradition? Est-ce un devoir de le rendre? Si on se reporte au temps où les traités d'extradition n'étaient pas en vigueur, on verra que la coutume internationale n'accordait pas ce droit et ne demandait pas ce devoir. Hall, qui a examiné cette question assez minutieusement, parvient après quelques hésitations à la même conclusion. Ce n'est pas, il est vrai, une conclusion de grande importance, parce que presque tous les États sont liés maintenant par des traités d'extradition; mais la forme normale de tous ces traités consiste dans une énumération des crimes pour lesquels on accordera l'extradition et il arrive quelquefois que l'énumération ne soit pas assez complète et laisse échapper quelque prévenu; la question serait alors d'une grande importance.

« PreviousContinue »