Page images
PDF
EPUB

les fautes sont comptées; tout se prend au sérieux, et les enfantillages ne se pardonnent pas. C'est une lutte haletante avec la vérité; aussi rien de fortuit ni de capricieux dans l'entrelacement des épisodes. Une logique sévère préside aux mouvemens de tous les personnages. La passion qui les entraîne n'est jamais obscure, l'espérance qui les anime jamais douteuse. Nous savons ce qu'ils veulent et ce qu'ils tentent.

Populaire sans trivialité, le roman idéal, humain, analytique, pourra douer de vie et ciseler en poèmes les plus hautes questions de la réforme sociale. Sans se faire dogmatique, sans échanger l'invention contre l'enseignement, il pourra jeter le trouble dans les consciences coupables, et relever le courage fléchissant des ames humiliées.

Le théâtre seul est aujourd'hui déshérité de la beauté idéale. Depuis les grands noms du xvi1° siècle, si étrangement méconnus de nos jours, la scène a répudié, comme fastidieuse et monotone, la peinture des passions humaines; elle redoute le spiritualisme comme les moissonneurs la sécheresse, et pourtant c'est au spiritualisme qu'il appartient de régénérer la scène.

Le jour où la beauté idéale remontera sur le théâtre, bien des gloires aujourd'hui splendides seront ternies sans retour: poètes et acteurs auront à faire un nouvel apprentissage. La composition des caractères ne se bornera plus à quelques mots vrais, à quelques mouvemens de pantomime; il faudra, dans le langage et dans la représentation, une continuité vigilante, qui ne se démente pas un seul instant. Non pas que je prêche la rénovation de la tragédie antique où se plaisait la cour de Versailles; ces tentatives érudites viennent rarement à bonne fin. L'archaïsme est un délassement académique, et rien de plus. Je ne conseille donc à personne de remettre en scène les malheurs d'Agamemnon. S'il y a dans les traditions grecques quelques filons encore vierges de poésie dramatique, il faudra couler ce métal précieux dans un moule nouveau; mais, quelle que soit l'époque de l'histoire humaine choisie. par le dramatiste, il n'atteindra désormais une renomméć durable qu'à la condition de mettre la pensée au-dessus du spectacle, de frapper l'ame avant les yeux.

Sans la beauté idéale la réforme dramatique sera toujours prooire; les noms salués par les applaudissemens de la multitude

s'oublieront aussi vite que le dessin d'un ruban ou la coupe d'une robe. Aucune gerbe ne mùrira sur le sol de la popularité; le vent dispersera la semence à peine épanouie; le sillon infidèle ne tiendra aucune de ses promesses; ni soleil ni rosée ne viendront en aide à cette stérilité obstinée. La charrue sera brisée avant que le laboureur aperçoive la moisson.

Or, après cette minutieuse comparaison de la loi morale et de la loi poétique dans leurs développemens respectifs, voici les conclusions auxquelles nous arrivons naturellement. Ces conclusions sont de telle nature, qu'elles résument, sans les transformer, les pensées émises dans le cours de la discussion. Si nous avons réussi à entourer chacune de nos propositions d'une lumineuse évidence, si la clarté de nos paroles n'a jamais été au-dessous de nos convictions, on a dû prévoir dès long-temps de quel côté pencherait la balance.

1o Puisque la loi morale prescrit le développement simultané des affections, de l'intelligence et de la volonté, il implique d'estimer conforme à cette loi l'invention qui circonscrit le rôle de la fantaisie dans le domaine du monde extérieur. Car les facultés humaines régies par la loi morale n'ont rien ou presque rien àt faire dans ce domaine; ou, si elles s'y déploient, ce n'est le plus souvent que pour s'énerver et se flétrir.

2o L'imagination, lorsqu'elle se propose la peinture des sentimens humains dans ce qu'ils ont de plus intime et de plus mystérieux, cotoie fatalement toutes les facultés régies par la loi morale, et tous les devoirs attachés à ces facultés.

5o Plus les applications de la loi poétique sont élevées, plus elles se rapprochent de la loi morale; mais cette contiguité du bien et du beau n'exclut en aucune façon la mutuelle indépendance de la morale et de la poésie.

C'est pourquoi, dans l'ordre de beauté, je place les Méditations et les Harmonies avant les Orientales et les Feuilles d'automne; René, Werther, Lara, Lélia et Jacques avant Notre-Dame de Paris; et enfin Phèdre et les Femmes savantes avant les plus sérieux et les moins splendides des drames de M. Hugo: Hernani et Marion Delorme.

GUSTAVE PLANCHE,

MÉLANGES

D'HISTOIRE NATURELLE.

OISEAUX PARASITES.

Le Coucou d'Europe et la Passerine des États-Unis.

Les mœurs singulières du coucou ont, depuis un temps immé morial, attiré l'attention des savans comme celle du vulgaire; elles ont été dans les temps modernes l'objet d'observations nombreuses, faites par des hommes doués d'une très grande sagacité et d'une persévérance à toute épreuve. On pouvait croire que l'histoire de l'oiseau était complètement tracée, lorsqu'une lettre adressée à l'Académie des sciences, par M. Prévost, chef des travaux de zoologie au Muséum d'histoire naturelle, est venue prouver que matière n'était rien moins qu'épuisée.

la

Avant de parler des nouvelles observations de M. Prévost, je crois devoir rappeler les recherches de quelques-uns de ses prédé cesseurs, et même les notions qu'on trouve à ce sujet dans les na

turalistes anciens. On verra que plusieurs des contes qui avaient cours au temps d'Aristote, se sont perpétués jusqu'au nôtre. Une histoire, au bout de vingt jours, est quelquefois devenue complètement méconnaissable; un conte, un souvenir traverse sans altération un espace de vingt siècles.

Au temps d'Aristote, le peuple croyait, comme il le croit encore aujourd'hui dans quelques parties de l'Europe, que le coucou, chaque année, se métamorphose en une espèce d'épervier; cette opinion bizarre se fondait sur une ressemblance de port et de plumage entre les deux oiseaux, et sur ce que l'un d'eux disparaissait à l'époque où l'autre commençait à se faire voir. Ces raisons ne semblaient rien moins que concluantes au grand naturaliste. Le port du coucou, disait-il, diffère beaucoup de celui de l'épervier et serait plutôt comparable à celui de la tourterelle. Il y a bien quelque ressemblance dans la couleur du plumage; mais la disposition des taches est différente; d'ailleurs le coucou n'a ni la tête, ni le bec, ni les ongles de l'oiseau de proie. S'ils paraissent se remplacer mutuellement, c'est que tous les deux sont des oiseaux de passage, qui choisissent une époque différente pour visiter notre pays; d'ailleurs ils s'y rencontrent quelquefois en même temps, et, dans ce cas, on a vu des coucous dévorés par les éperviers. Quand il n'y aurait pas d'autres raisons, celle-là seule suffirait pour montrer qu'il n'existe entre eux aucune parenté, puisqu'aucun oiseau ne fait sa proie d'un autre oiseau de la même espèce.

• Personne, poursuit Aristote, n'a vu de nichée de coucou, car cet oiseau ne prépare point de berceau pour sa progéniture, mais il va chercher le nid de quelque oiseau plus petit, mange une partie des œufs qui s'y trouvent et dépose le sien en place; quelquefois, mais très rarement, il en met deux. Cependant les propriétaires du nid couvent l'œuf substitué, et quand le jeune coucou est éclos, ils prennent soin de le nourrir; on dit même qu'à mesure que cet étranger grandit, ils rejettent, pour lui faire place, leurs propres petits qui périssent ainsi misérablement. Certaines gens vont plus loin, et assurent que la mère devient si fière de ce gros nourrisson, qu'elle prend de l'aversion pour tous les autres, et les tue pour lui en faire un repas. D'autres soutiennent que c'est

la femelle du coucou qui vient faire elle-même cette exécution, et qui dévoré les jeunes oiseaux. Au reste, il y a des versions très différentes sur ce sujet, car l'on prétend aussi que le jeune coucou est lui-même le meurtrier de ses frères adoptifs, soit qu'il les étrangle quand il est assez fort, ce qui est l'opinion de plusieurs personnes, soit qu'il les fasse seulement mourir de faim, en accaparant toute la nourriture qui arrive au nid. Quoi qu'il en soit, on ne peut s'empêcher de reconnaître dans le coucou beaucoup de prévoyance, puisque, se sentant incapable de protéger convenablement ses petits, il trouve moyen de les faire garder à d'autres. Il n'a pas en effet assez de courage pour les défendre lui-même, et il fuit devant des oiseaux d'une taille bien inférieure à la sienne.

Ce n'est pas à une seule espèce d'oiseaux que le coucou confie le soin de sa progéniture; on le voit choisir tantôt le verdier, qui fait son nid sur les plus grands arbres, et tantôt l'alouette, qui le construit à terre; quelquefois c'est à la fauvette qu'il s'adresse, mais le nid du ramier est celui qu'il paraît préférer pour y déposer son œuf.

Quand approche l'époque où le coucou disparaît, c'est-à-dire vers le lever de la canicule, il change de couleur et fait entendre plus rarement sa voix.

Voilà en somme ce que dit Aristote des habitudes du coucou, ct ce que Pline a copié à sa manière, c'est-à-dire en répétant à peu près les mêmes phrases, et les ajustant de manière à ce qu'elles fassent un sens tout différent; établissant par exemple, dès le début, que le coucou est un épervier métamorphosé, puis reproduisant sur-le-champ les faits qui ont servi au naturaliste grec à prouver que ce sont deux oiseaux différens. Afin qu'on voie jusqu'à quel point l'écrivain romain sait défigurer un texte, je donnerai ici le passage principal dans lequel il parle du coucou; mais je ferai remarquer auparavant qu'il n'a pas su de quel oiseau Aristote a voulu parler; il s'est contenté d'écrire en lettres latines le nom grec zozzož, et sans se douter qu'il y eût rien de commun entre le cuculus d'Italie et le coccyx de Grèce.

( Le coccyx, dit-il, paraît n'être autre chose qu'un épervier qui a changé de figure; en effet, quand on a vu les premiers, les autres disparaissent au bout de peu de jours. Le coccyx lui-même

« PreviousContinue »