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gageaient, au nom de je ne sais quel nouveau dieu, à nous abandonner à notre appétit ; et la veille, d'autres nous disaient d'être esclaves d'un scul maître : les uns fixent la chasteté d'une femme au nombre de sept maris, les autres veulent qu'elle n'en ait point, nous ne savons plus à qui entendre. Mais ce que dit cette Myrza nous plaît, elle nous amuse et ne nous enseigne point. Que ses fautes soient oubliées, et qu'elle soit vêtue d'une robe de pourpre, pour être conduite au temple du Destin qui est le dieu des dieux.

Et comme les disciples des prophètes furieux s'acharnaient à la maudire et ramassaient de la boue et des pierres, le peuple prit parti pour elle, et voulut la porter en triomphe. Mais elle sc dégagea, et montant sur le dromadaire qui l'avait amenée, elle dit à ce peuple en le quittant: Laissez-moi partir, et si ces hommes vous disent quelque chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le de quelque part qu'il vienne. Pour moi, je vous ai dit ma foi, c'est l'amour. Et voyez que je suis seule, que j'arrive seule, et que je pars seule... Alors Myrza répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta : Comprenez-vous mes pleurs, et savez-vous où je vais?

Et elle s'en alla par la route qui mène au désert de Thébaïde.

GEORGE SAND.

MUSIQUE

ET

CHANTS POPULAIRES

DE L'ITALIE.

La nature a voulu que l'homme chantât ses plaisirs et ses souffrances; dans ses chants, il peint sa pensée, ses mœurs, ses actions, tout son être; ses chants sont le reflet de son ame. Mais il y a sur le globe tant de peuples différens, que le travail assidu de plusieurs generations serait insuffisant pour former un recueil complet de chants populaires, et pour épuiser les richesses que présente cette curieuse étude.

De même que, dans notre Europe civilisée, les habitans d'une montagne n'ont ni la même langue ni les mêmes usages que ceux de la vallée voisine, et que, dans chaque village, il se trouve quelques traits de physionomie qui n'appartiennent qu'à lui seul, de même chaque pays a ses chants, dont la musique et la poésie lui sont propres comme son genre de vie, la nature de son sol et le caractère de ses habitans.

La musique populaire est le livre de la vie intime d'un peuple, comme la musique nationale en est le livre d'histoire la première reproduisant les occupations, les mœurs, les habitudes populaires; la seconde, obéissant, dans ses modifications, à l'influence des évènemens politiques d'une nation; celle-ci, transmise de génération en génération par tout un peuple; celle-là, passant de bouche en bouche, et léguée par les pères à leurs enfans comme une propriété de famille.

Nous nommons enfin chant populaire un chant qui, chez un peuple quelconque, a pris naissance hors de toute influence de l'art, et dont le peuple est lui-même le poète et le musicien.

Dans les pays froids, où l'homme use sa vie dans un combat perpétuel contre la nature, il a besoin de réunir toutes ses forces pour braver les rigueurs de sa condition. Menacé sans cesse par le climat, environné de montagnes de glaces, il est forcé de chercher une habitation dans le sein de la terre; là, il vit, loin de toute relation sociale, solitaire et silencieux, jusqu'à ce que la nécessité le contraigne à sortir pour chercher sa nourriture, semblable aux animaux dont il mange la chair, dont les fourrures lui servent de vêtemens, n'ayant d'autres moyens d'action que la force brutale, incapable d'aucun sentiment épuré ou délicat, comprimant enfin dans un lourd engourdissement toutes les facultés de son ame. Dans ces régions où l'homme est soumis à la verge de fer de l'impitoyable nécessité, point de chant, point d'expression d'un sentiment animé, car tout est morne dans un état de vie qui ne diffère de la mort que par un mouvement purement mécanique.

Dans les climats tempérés, au contraire, chaque nouveau jour est paré de nouveaux charmes et semble apporter avce lui une vie nouvelle. La circulation du sang, rendue plus rapide par la chaleur du soleil, est une cause incessante d'entraînement vers le plaisir. Plus un peuple est voisin du midi, et plus cette excitation devient vive et puissante. La nature riche et prodigue a pourvu à tous les besoins de l'homme; la fleur et le fruit se trouvent ensemble sur le même arbre. A de beaux jours succèdent des nuits plus belles encore; ce n'est plus le temps, mais le plaisir, qui mesure les heures. De là cet éloignement pour le travail et la fatigue, en même temps que

ce penchant si vif pour le jeu, le chant, la danse et les plaisirs des sens; de là cette gaieté qui, chez les habitans du midi, ne craint point l'atteinte des années, et cet air de jeunesse et de verdeur répandu même chez les vieillards. Ce sont de tels pays qu'on peut véritablement appeler la patrie de la musique, du chant et de la danse.

De toutes les contrées de l'Europe, c'est l'Italie qui, par sa position géographique comme par son climat, nous offre le peuple le plus naturellement organisé pour la musique; on y rencontre les chants populaires en si grande quantité, et riches de mélodies si belles, qu'aucun autre pays ne lui saurait être comparé. En Italie, le sol est fertile, le ciel serein, les jours brùlans; mais la nuit, ce temps des chansons, y est fraîche aussi le chant y porte-t-il le cachet d'une tendre mélancolie, d'une imagination à la fois vive et rêveuse.

Cerné par les Alpes au nord, et sur les trois autres points par la mer, dépourvu de communications avec l'étranger, l'Italien, surtout le montagnard et l'habitant des côtes, conserve dans toute sa pureté, dans toute sa naïveté, le caractère que lui a imprimé la nature qui l'environne. On ne peut, en effet, rencontrer de chants vraiment populaires que là où cesse toute relation étrangère, que là où ne s'est faite encore aucune fusion avec la langue ni la musique d'un autre pays. C'est pourquoi les insulaires, les habitans des côtes et les montagnards, dont la vie est isolée et par conséquent uniforme, conservent si bien ces chants primitifs dans lesquels un peuple, soumis uniquement aux influences locales, exprime, par des paroles et des tons qu'il a lui-même inventés, ses émotions et son amour, ses douleurs et ses prières, les actions de ses pères et les révolutions de la nature.

Mais que le caractère primitif d'un peuple s'efface et disparaisse dans un contact journalier avec l'étranger, alors s'effacent et disparaissent aussi chez lui les véritables chants populaires, bientôt remplacés par des mélodies étrangères et par des chants qui, renfermés jusque-là dans l'enceinte des salons et des théâtres, descendent dès lors dans la rue. C'est pour cela que la Lombardie et les Etats-Vénitiens, Venise exceptée, sont moins riches en chants populaires que les montagnes Tiburtines, Sabines et Albanaises, que

les côtes de Salerne et de Sorrente, les îles qui les avoisinent, et tout le pays qui s'étend depuis Terracine, par Bénévent et les montagnes d'Apulie, jusqu'aux côtes de la mer Adriatique.

Dans presque toutes ces contrées, le peuple est resté à l'abri de l'influence étrangère, et l'éducation théâtrale, dont l'effet est si pernicieux pour la musique et la poésie populaires, n'y a exercé que peu d'empire. Une salle d'opéra s'était établie à Sorrente, et dans ce pays si abondamment pourvu de chants du peuple, je cherchai long-temps avant d'en pouvoir rencontrer, parce que, là où viennent s'ouvrir les portes d'un théâtre, le naturel est aussitôt sacrifié à ce qui est de convention; la musique populaire se tait devant la musique savante.

Dans ces parties de l'Italie que l'étranger ne visite qu'en passant et comme observateur, le peuple n'est point atteint par cette influence que nous avons signalée. C'est avec un orgueilleux sentiment de sa supériorité, que l'Italien voit des habitans de tous les pays du monde aborder sur ses côtes, rester saisis d'admiration devant la beauté du sol qui le nourrit, du ciel qui le couvre, se perdre en contemplation au milieu d'une foule d'objets d'art, de temples antiques et d'églises modernes, de palais, de galeries, de statues et de ruines. Oh! qu'alors est loin de sa pensée le désir de visiter d'autres pays que le sien ! Comme tout le reste du monde doit lui apparaître désert et vide de sensations, à lui qui voit tant d'étrangers franchir les monts, traverser les mers pour venir saluer sa terre natale! Aussi est-il plein de mépris pour toutes les autres contrées, que son ignorance géographique semble placer à un égal éloignement au-delà des monts, au-delà des mers, car il les désigne toutes sous un même nom générique, en les appelant ultramontaines ou ultramarines. Tout ce qu'il entend conter du dehors lui paraît une fable, fait à peine impression sur son esprit, et ne parvient jamais à le tirer de la sphère dans laquelle il a vécu jusqu'alors. Le sentiment de la curiosité ne saurait jamais être aussi puissant chez l'heureux habitant d'un pays fertile que chez l'enfant du Nord, souvent nomade par nécessité, et qui va chercher au loin ce que lui refuse sa terre natale. Goëthe a dit: Offrez au lazzarone un royaume du Nord; il ne voudra pas abandonner en

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