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qu'elle ne manque jamais d'endormir l'enfant et la nourrice. Quant aux paroles, elles rendent bien cette extase d'une mère amoureuse, dont l'œil fixé sur ce nourrisson qui ne connaît d'autre univers que le sein maternel, croit voir se dérouler tout un ciel d'or, toutes les richesses d'un monde fantastique.

Peut-être un autre sera-t-il plus heureux que moi, et parviendrat-il à noter la mélodie de ce cantique de mère, dont voici l'introduction :

Testa d'argento e fronte di cristallo,
Occhi, che ci sì vede il paradiso.
Denti d'avorio e labro di corallo,
La bianca gola e l'incarnato ciglio.
Li vostri orecchi sono tanto belli,
Son fila d'oro ì vostri capelli.

L'Italie doit un grand nombre de chants populaires aux chanteurs et aux ménétriers ambulans, et surtout à cette classe d'hommes que l'on nomme improvisatori, et dont l'existence est un des traits caractéristiques de l'Italie. Ces improvisateurs sont ou poètes ou chanteurs, quelquefois l'un et l'autre, comme jadis les bardes, les scaldes et les troubadours. Je ne veux point parler ici de ces hommes qui font profession d'être savans, et exercent leur art dans les cercles et les salons, improvisant des discours ou des tragédies; mais de ces improvisateurs hommes du peuple, vivant avec le peuple, qui parcourent, avec une guitare ou une mandoline, les villes et les villages, et chantent dans les cafés et dans les cabarets, ou sous le balcon des femmes, prenant à leur gré le son grave et mélancolique, ou gracieux et amoureux (1). A peine l'im provisateur a-t-il commencé, que les voisins et les passans font cercle autour de lui, et si la chanson qu'il a inventée plaît au peuple, celui-ci la lui fait répéter plusieurs fois jusqu'à ce qu'il l'ait apprise lui-même.

Il y a encore une autre classe d'improvisateurs, ce sont les nar→ rateurs. Ceux-ci racontent les histoires et traditions populaires,

(1) Commanda qualche cosa di serio, di malinconico, o una canzone grazioza e dilettevole!

soit en improvisant, soit en commentant, amplifiant et ornant de figures poétiques les livres du peuple. Ces livres sont aussi durables en Italie que les chansons y sont éphémères; le peuple regarde ce qui y est écrit comme sa propriété ; c'est le recueil, grossi de génération en génération, de toutes ses traditions fabuleuses, de ses aventures d'amour, de ses farces et de ses superstitions; il se compose de narrations sur toutes les époques, et l'on y trouve décrits les temps anciens du paganisme, les héros romains, le commencement du christianisme, les croisades, les invasions des Sarrasins et des pirates, la vie chevaleresque et la vie des couvens; 'c'est, en un mot, l'épopée du peuple italien. En vain dès le berceau l'a-t-on endormi ou réveillé avec les facéties de Bertoldo, l'Esope de l'Italie; en vain a-t-il entendu mille fois raconter ses chroniques et sa mythologie, la voix du narrateur est un appel tout puissant auquel il répond avec un empressement toujours

nouveau.

A la Ripa grande, à Venise, on voit de ces narrateurs entourés d'un nombreux auditoire, qui, dans le style le plus emphatique, font des improvisations sur le héros qu'on leur a proposé, ou qu'ils se sont choisi eux-mêmes, n'omettant aucun détail, ni sur ses duels, ni sur ses amours, et restant là des demi-journées, aussi infatigables à parler, que le peuple à les entendre.

C'est surtout dans le port de Naples, sur le molo, qu'on les rencontre nombreux, féconds et inépuisables. Ils restent assis, des jours, des mois, des années, à la même place, sur un morceau de bois, un monticule de terre, ou une espèce de trône qu'ils se sont formé avec des pierres; autour d'eux, et couchés à terre, sont les lazzaroni à moitié nus, les pêcheurs, les soldats, les matelots, tous, les yeux fixés sur la bouche qui improvise, contractant ou épanouissant les traits de leur physionomie, selon que l'évènement rapporté est triste ou gai, heureux ou malheureux; puis, sortant tout à coup d'un silence de mort pour éclater en applaudissemens frénétiques, ou pour fondre en larmes et sanglotter, selon le sort qu'il a plu à l'historien de faire à son héros. Plusieurs de ces narrateurs se contentent de lire, et, chose caractéristique, ils choisissent alors plus souvent le Roland de l'Arioste que la Jérusalem du Tasse. Lorsqu'il a terminé un chant ou une histoire, le narrateur tend

son chapeau, et tout assistant qui possède quelque chose partage avec lui. Si, dans le cours de sa narration, il s'aperçoit qu'un étranger est venu grossir le nombre de ses auditeurs, alors c'est vers lui qu'il se tient constamment tourné, c'est à lui qu'il semble adresser son histoire, tendant le chapeau dans la crainte qu'il ne déserte avant la conclusion, mais continuant à parler sans la moindre interruption, et sans que ses autres auditeurs, si curieux ordinairement, daignent détourner un seul de leurs regards pour le porter sur l'étranger.

Je ne terminerai pas sans dire quelques mots de la danse en Italie. La danse, qu'il est si difficile de séparer de la musique et de la poésie populaire, peut, comme le chant, donner une idée des mœurs d'un peuple; elle révèle ses habitudes de guerre ou de chasse, de pêche ou de vie agricole. Le nègre de la Côte-d'Or, qui boit le sang et mange la chair de son prisonnier, ne danse qu'autour de sa victime, et sa danse a un caractère brusque et farouche. Chez le Congo-Sénégalien, au contraire, qui se livre aux travaux des champs, la danse est une récréation, et en offre toute la grace et l'abandon.

La danse nationale de l'Italie est la tarentella, qui doit son nom à la tarentule, espèce d'araignée dont la piqûre ne peut être guérie, dit-on, que par la danse. On explique cette guérison par l'abondante transpiration que provoque cet exercice, et qui ferait ainsi sortir le venin. D'autres prétendent que le nom de tarentella vient de ce que la piqûre de la tarentule imprime aux pieds et aux mains un mouvement semblable à celui qui caractérise cette danse.

La tarentella se danse au son de tous les instrumens répandus parmi le peuple, comme la guitare, la mandoline, le chalumcau, et surtout le tambourin, qu'on ne rencontre jamais que dans les mains d'une femme, comme autrefois chez les Hébreux, comme aujourd'hui encore dans les harems des musulmans. Les danseurs, qui ont constamment le regard fixé l'un sur l'autre, exécutent, en se balançant, les mouvemens les plus vifs et les plus voluptueux. Outre la tarentella, on remarque, dans les îles de la péninsule, plusieurs danses d'origine étrangère que le peuple a conservées. Telle est à Ischia celle des Sarrasins, que les jeunes gens de l'île dansent avec des lances. En Sardaigne, la danse populaire est le

ballo tondo, remarquable par les mouvemens extraordinaires des exécutans. Les danseurs sont toujours séparés des danseuses; il n'est permis qu'aux fiancés de se prendre la main, et malheur au jeune homme qui oserait toucher la main d'une femme ou d'une fiancée autre que la sienne! Dans tous les cantons du midi de la Sardaigne, on dansé au son d'un instrument, nommé launeda, qui date du temps des anciens Romains, et qui a survécu à toutes les révolutions. Il se compose, comme la cornemuse des pifferari napolitains, de quatre roseaux embouchés par le même exécutant.

Le son lointain du violon ou de tout autre instrument suffit, en Italie, surtout dans les provinces du midi, pour amener des danses parmi le peuple; alors il n'est point de pêcheur ni de lazzarone qui ne se mette en mouvement, se tenant sur la pointe des pieds, et balançant ses bras et son corps. Nous partimes un jour d'Ischia pour gravir l'Epomeo, si bien décrit dans le Titan de Jean Paul; arrivés, après beaucoup de peines et de fatigues, à la dernière pointe de la montagne d'où l'île entière nous apparaissait comme une nacelle voguant sur une mer immense, notre première pensée fut une pensée d'enthousiasme à la vue de ce tableau magnifique qui déroulait à nos pieds Naples, Portici, Resina, le Vésuve, Pompeï, Sorrente, Salerne, les îles de Caprée et de Procida, puis le promontoire de Mysène, Gaëte, Terracine, le promontoire de l'enchanteresse Circé, puis encore, comme un nuage lointain, les rochers de la Corse et de la Sardaigne. A peine étions-nous revenus d'un premier mouvement d'admiration, que nos conducteurs de mulets, profitant d'un violon amené par un soldat napolitain qui venait de célébrer ses noces chez l'ermite de la montagne, se mirent à danser sur l'étroite plate-forme où nous étions. Chaque instant que nous pouvions dérober à la nature si belle et si pittoresque qui étalait ses trésors devant nos yeux, nous le donnions à la danse de nos guides, et notre intérêt n'était pas moins vivement excité par la grace de leur tenue et de leurs gestes, que par le long enivrement avec lequel ils se livraient, infatigables, au plaisir de la tarentella. Dans presque toutes les villes de l'Italie, à Rome surtout, il y a des jours où des danses s'improvisent et s'emparent de rues entières. C'est alors un spectacle des plus animés, où la musique, le chant et la danse du peuple forment l'alliance la plus étroite.

Au-delà du Tibre habitent les Transteverins, qui se disent les vrais descendans des Romains, et ont gardé, tant dans leur costume que dans leur caractère, une teinte d'originalité qui, depuis des siècles, n'a subi aucune variation. Il est difficile de concevoir comment cette population, au milieu des invasions qui l'ont soumise à tant de jougs différens, malgré son contact journalier avec le reste des habitans de Rome et les étrangers, a réussi à se conserver pure de toute altération; on dirait des montagnards ou des insulaires constamment séparés des autres peuples. C'est sans doute au noble ressouvenir d'une grandeur et d'une gloire antiques qu'il faut attribuer le soin religieux avec lequel les Transteverins ont gardé ce costume, ces mœurs et ces usages des temps passés. La fierté qu'ils ressentent de leur origine, et le dédain qu'ils témoignent aux autres habitans, ont souvent occasioné des rixes sanglantes, de véritables petites guerres, auxquelles l'intervention militaire peut à peine mettre fin.

Rien de plus pittoresque que le quartier des Transteverins les dimanches et les jours de fète. Les maisons sont désertes; tout le monde est dans les rues, depuis les enfans jusqu'aux grand’mères, parmi lesquelles se trouvent souvent des centenaires. Devant la porte de chaque habitation, on dirait une fête; il s'y forme des danses auxquelles prennent part non-seulement les enfans et les jeunes gens, mais les vieillards des deux sexes, qui se joignent à la tarentella jusque bien avant dans la nuit. Le seul accompagnement de ces danses est un tambourin frappé par une jeune fille; ce tambourin ne manque dans aucun ménage : c'est un meuble indispensable. Ce n'est que vers deux heures après midi que commence la fête, et la cloche quisonne l'Ave Maria a seule le pouvoir de l'interrompre. A peine le premier son se fait-il entendre, qu'aussitôt, comme par enchantement, les chanteurs s'arrêtent, la main qui frappait le tambourin retombe immobile, le pied qui s'élançait en l'air reprend gravement sa position accoutumée; les danseurs se jettent à genoux, de nombreux signes de croix sillonnent toutes les poitrines. Au bruit de la fête a succédé le silence; aux transports de joie, l'immobilité de la contemplation, ou le bruit d'un Ave machinalement récité.

Ce recueillement subit ne dure que quelques minutes, et la fête SUPPLÉMENT.

TOME I.

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