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LES

HOMMES POLITIQUES

DE LA BELGIQUE.

Je ne m'occuperai pas ici de rechercher les causes qui ont amené le divorce de la Belgique et de la Hollande, ces deux infortunés conjoints auxquels la Sainte-Alliance donna pour cadeau de noces le monument de Waterloo. Toujours était-il aisé de prévoir que cette union d'un peuple protestant et d'une nation catholique, que cette agglomération de 2,000,000 de Hollandais et de 4,000,000 de Belges devait enfanter quelque monstre. Après quinze ans de gestation laborieuse, les fiancés de la Sainte-Alliance ont mis au monde une révolution.

Maintenant, que cette révolution ne présente qu'une contrefaçon de Paris, événement de hasard que le hasard eût pu faire avorter, ou bien qu'elle ait été préconçue dans les traités de 1814 et de 1815, elle n'en demeure pas moins un grand fait qui touche par tous les points à l'histoire générale de l'avenir.

Une nouvelle planète s'est formée dans le ciel orageux de la diplomatie par suite de cette commotion de la comète révolutionnaire. Un royaume de Belgique a été constitué.

Soit ignorance, soit mauvais vouloir, presque tous les publicistes se sont obstinés jusqu'ici à nier l'importance de cette création. A peine ont-ils consenti à tracer sur la carte politique le contour de ce petit état, comme on indique un îlot désert qu'un volcan fait surgir au milieu de l'Océan. Un pays dont l'industrie agricole sert encore de modèle à l'Angleterre, un pays dont la concurrence manufacturière fait trembler des royaumes qui ont huit fois sa surface et sa population, un pays qui peut mettre cent vingt mille hommes sous les armes, doit pourtant peser quelque chose dans la balance européenne. Sous ce rapport il mérite qu'on s'occupe de lui.

Une étude complète du pays serait longue, et il faudrait des volumes pour l'examiner sous toutes les faces. Je ne me propose dans ces pages que de toucher divers points ignorés qui se rattachent immédiatement à mon sujet, c'est-à-dire qui peuvent servir à faire connaître les principaux acteurs du drame politique dont la Belgique a été le théatre depuis 1850. Presque tous sont des hommes nouveaux, et peu de chose a transpiré de leurs actes antérieurs. Il n'existe pas même un ouvrage où l'on ait apprécié la part qui revient à chacun d'eux dans la manipulation des affaires depuis quatre années. Une biographie des hommes politiques de la Belgique est donc un document qui manque à notre histoire contemporaine: c'est une lacune que je vais essayer de remplir.

Ce n'est pas, comme on pourrait le croire, la question de dynastie qui divise les partis en Belgique. La querelle des maisons de Nassau et de Saxe-Cobourg n'arrive que comme auxiliaire dans la grande bataille des opinions. La célèbre UNION des catholiques et des libéraux qui refoula le roi Guillaume sur le territoire hollandais, ressemblait à ces armes indiennes qui contiennent deux épées dans le même fourreau. Chacun des principes vainqueurs a tiré la sienne; et le duel recommence. A qui le champ resterat-il des libéraux ou des catholiques? C'est là la question du moment. Plus tard un autre duel se présentera, celui des communes contre les principes d'unité gouvernementale, c'est-à-dire contre la royauté. C'est là la question de l'avenir. Cependant, comme nous le verrons plus loin, la question n'est pas encore là tout entière.

La première couche bien tranchée que l'on rencontre à la superficie de l'opinion en Belgique, est composée d'un amalgame de ces deux principes opposés qui luttent entre eux, le libéralisme et le catholicisme. Mais si l'on creuse plus avant, chacune de ces deux divisions se subdivise elle-même en deux autres catégories, et chacune de ces catégories forme un parti politique qui a son étendard, ses soldats, son mot de ralliement. La chambre des représentans, qui est censée traduire la pensée du pays, offre donc les quatre classifications suivantes : 1° un parti catholique aristocrate; 2o un parti catholique opposant ; 3° un parti libéral gouvernemental; 4° un parti libéral d'opposition.

Les catholiques aristocrates ont fait alliance avec une fraction du parti libéral, et leur réunion constitue la majorité parlementaire qui soutient le gouvernement du roi Léopold. Cette majorité englobe les quatre cinquièmes de la chambre. L'opposition ne compte que dix-huit voix, sur cent deux, qui lui soient complètement acquises. La république a seulement trois organes, et l'orangisme n'est nullement représenté. Nous passerons en revue les hommes qui appartiennent à chacun de ces quatre partis, soit dans les deux chambres, soit en dehors de l'action parlementaire, tout en annonçant d'avance que nous n'avons aucunement l'intention de développer ici des théories politiques, ni d'agiter devant nos lecteurs une grave et savante dissertation, mais bien de nous borner à quelques notes biographiques et anecdotiques, lesquelles, à défaut d'autre intérêt, offriront du moins celui de la nouveauté.

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Certes, ce ne dut pas être un léger sujet d'étonnement pour ceux qui avaient apprécié l'influence ecclésiastique dans le mouvement révolutionnaire belge, d'entendre cette population si amoureuse de processions et de messes, appeler, par la voix de son congrès, un prince protestant à la gouverner; et la surprise ne s'accrut-elle pas encore quand on vit ce nouveau trône schismatique défendu par une majorité catholique contre les attaques d'une opposition libérale? C'est que d'une part l'aristocratie du parti catholique, menacée dans son essence par le débordement de

l'élément populaire, jugea du premier coup d'œil qu'il fallait à tout prix faire la chaîne autour de ce faible et tendre rejeton de l'arbre monarchique, l'environner de ses soins et l'arroser de son sang s'il était nécessaire, afin qu'il pût quelque jour porter à ses branches les fruits dorés du privilége et des emplois de cour, fruits doux et sucrés à toute lèvre aristocratique. La nouvelle monarchie, de son côté, se souvenant du mot d'Henri IV: Paris vaut bien une messe, alla, non pas renier la foi de ses pères sur le seuil d'une sacristie, mais fraterniser aristocratiquement avec l'orthodoxie flamande qui venait à elle parée de sa bonhomie campagnarde, la bouche mouillée de bierre, et de l'eau bénite au bout du doigt.

Ainsi fut conclu le pacte tacite de l'aristocratie catholique et de la royauté protestante. Cette alliance se fit sans protocole, sans conférence; il n'y eut besoin, pour l'aristocratie comme pour la royauté, que d'un regard jeté sur leur position respective. L'une apporta dans l'alliance son influence sur les Flandres, sur le Limbourg et la province d'Anvers, et l'autre des promesses et des poignées de main, papier-monnaie des royautés du jour.

Maintenant, si l'on me demande qui eut tort ou raison, je répondrai que toutes deux firent sagement, et la royauté et l'aristocratie; elles en seront quittes plus tard pour vider entre elles le différend.

Les catholiques aristocrates qui occupent aujourd'hui le pouvoir dans la personne'de leurs principaux chefs, et qui tendent moins à régénérer la morale chrétienne qu'à résister aux envahissemens démocratiques, sont combattus très violemment par une fraction dissidente, laquelle prétend allier la liberté avec les doctrines de l'Évangile, et compte dans son sein quelques jeunes abbés, remarquables par leur talent et par la ferveur de leur conviction. Mais cette fraction catholique, presque tout entière en dehors de la chambre des représentans, est souvent entravée dans ses efforts par les remontrances ecclésiastiques et subit la loi de sa position.

On ne doit pas cependant s'exagérer la puissance du parti catho-· lique, ni s'imaginer que les neuf provinces de la Belgique ne soient peuplées que de couvens et de monastères obéissant au bon plaisir d'un grand inquisiteur. Si les deux Flandres, le Limbourg, Anvers, une portion du Brabant et du Ilainaut, envoient à la chambre des

hommes dévoués à la prédominance catholique, en revanche, Bruxelles, Namur, Liége et le Luxembourg nomment des députés libéraux. Ce qui contribue principalement à assurer la majorité aux premiers, c'est que les élections sont faussées dans leur principe. On a voulu combiner le vote indirect, qui était le mode d'élection dans l'ancien royaume des Pays-Bas, avec le vote direct, usité dans les pays constitutionnels, et l'on est arrivé à une représentation qui n'est pas exacte. Par exemple, dans l'ancien gouvernement, l'élection était faite par les états provinciaux, composés de députés de la noblesse des villes et des campagnes. Les villes étaient représentées à part. Le cens électoral de celles-ci n'avait aucun rapport avec celui des communes rurales, et les communes votant par canton, le cens d'un canton demeurait indépendant de celui du canton voisin. Aussi les quotités s'établissaient-elles de manière à faire concourir à chaque élection un nombre suffisant d'électeurs, et à éviter un trop grand concours. Ainsi, le cens de telle grande ville était de 400 francs, celui de tel village seulement de 25 francs. Dans la nouvelle loi électorale, on a conservé cette diversité du cens et rendu l'élection directe par le concours de tous les électeurs d'un arrondissement. Les législateurs belges ont puisé ce principe vicieux dans l'arrêté du gouvernement provisoire qui réglait les élections au congrès.

C'est principalement dans les Flandres que le parti catholique se rend maître des élections, par l'influence qu'il exerce sur les habitans des campagnes. Ces votes dévoués et aveugles constituent une majorité compacte et inébranlable, contre laquelle vient se briser le vote des villes.

Quand le jour de l'élection est arrivé, les chefs-lieux voient accourir dans leurs murs, de tous les points de l'horizon, de petites troupes de paysans, conduites par des hommes en soutane, qui marchent le front rayonnant et la canne à la main. Ce sont les villages qui viennent voter, avec leurs curés en tête. Arrivés aux salles d'élection, les curés embataillonnent leurs ouailles comme un sergent aligne ses recrues, par rang d'intelligence, les plus grands les premiers, et, derrière les plus petits. Puis ils leur répètent la harangue de la veille, et leur distribuent sur des cartes le nom

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