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stacles que les masses surmontent toujours. Il trouve donc plus rationnel de les faire descendre la mer Noire et celles de Grèce, côtoyer les rives de la Méditerranée, puis remonter par l'Océan jusqu'à la mer du Nord, sauf à employer plusieurs années à cette pérégrination. Ses seules preuves sont des textes qui disent que les Goths étaient habiles en navigation. Du reste, il n'en rapporte aucun, ni même une seule tradition qui atteste l'apparition des expéditions gothiques sur cette immense étendue de côtes.

Quant aux institutions des peuples d'origine germanique, M. Meidinger a été plus heurenx, parce qu'il s'appuyait sur des points de comparaison écrits et complets, sur les documens de législation anglo-saxonne: sous ce rapport, son travail est fort intéressant, mais il eût pu, à notre avis, l'étendre davantage; car, si nous nous défions de la science conjecturale, nous ne saurions trop encourager celle qui s'appuie sur des textes, ces textes fussent-ils écrits sur la pierre ou sur le bois, comme les runes et les hiéroglyphes.

Au total, ce livre, qui indique les sources où peuvent puiser ceux qu'intéressent ces curieuses questions, peut être considéré comme un guide complet sur cette matière. Le style en est raisonnable, sauf quelques velléités sublimes auxquelles nous n'avons pas fait attention.

ROM IN 1855 (Rome en 1835). 1 vol. Stuttgart.

cet

Le Nord n'a point cessé de soupirer après le soleil du Midi, après la terre des orangers. Si, grace à la civilisation et aux jalousies des puissances rivales, il ne peut plus prouver son amour par de fréquentes invasions, si les monarques n'osent plus exercer dans ces pays qu'une protection honteuse et dissimulée, leurs sujets continuent d'y suivre l'impulsion du moyen-âge, et perpétuent une sorte d'irruption, argent comptant. Malheureusement, les Allemands, gens économes, en veulent avoir pour argent, et, non contens de la jouissance réelle, ils prétendent la renouveler par les souvenirs. De là cette foule incessante de livres sur l'Italie. En France, le voyage en Italie n'est plus de rigueur; c'est un luxe qui ne rehausse plus, un dandysme dont on ne vous tient guère compte, une preuve d'élégance qu'on ne vous demande pas. Avez-vous réellement fait ce pélerinage, vous n'êtes pas toujours bien venu à en parler; vous l'êtes presque certainement mal à en écrire.

En Allemagne, c'est tout autre chose; c'est de bonne foi que l'auteur publie et que le public lit un voyage en Italie. Celui-ci ne se lasse pas plus d'entendre les récits qu'on lui fait sur cette sensuelle Jérusalem, objet de

son culte et de ses vœux, que les artistes, les savans, les gens du monde, les écrivains et les étudians ne se lassent de la visiter et de la décrire.

L'auteur anonyme du volume que nous avons sous les yeux a, sous ce rapport, bien mérité de ses compatriotes. Pour plus d'exactitude, il s'est borné à une spécialité qu'il a étudiée consciencieusement pendant plusieurs années, et traitée avec autant de talent que de soin. Nous nous sommes étonnés d'abord de le trouver sans aucune passion, ce à quoi nous nous attendions d'autant moins qu'il est, Dieu merci, bien au-dessus des facultés du cicérone et du style d'itinéraire. Nous avons parcouru bien des pages, espérant voir surgir d'entre les descriptions séduisantes ou moqueuses, et les appréciations finement touchées, quelque bon élan d'amour ou d'indignation. Ce n'est qu'à la fin du livre que nous avons compris la position d'un esprit juste et d'un observateur de bonne foi au milieu de la Rome de1855. Les Etats Romains, tels que le temps les a faits, déconcertent également l'enthousiasme et la haine. Comment admirer cette belle nature sans faire un triste retour sur la laideur morale de la population qui la dépare? Ces laboureurs qui s'engagent à travailler avec l'intention de voler leur salaire, et que le fermier ne peut diriger sans être armé jusqu'aux dents; cette paresse qui veut composer presque universellement avec le sort au moyen du vol et de la rapine; cette population qui méprise un pouvoir dont ses vices autorisent et justifient en quelque sorte l'existence et les moyens, ne sont-ils pas un réfrigérant bien puissant pour l'exaltation de parti pris? Mais dans ces affligeantes défectuosités, dans cette incurie fatale, dans cette décadence des facultés artistiques, les derniers des sentimens qui consolent de la corruption, dans ces routines coupables, ne voit-on pas bientôt qu'il faut faire la part du temps, des circonstances et de cette éternelle faiblesse qui pèse sur la Rome du christianisme comme une expiation de la puissance brutale de Rome païenne? A la fin d'une enquête minutieuse, telle que l'auteur l'a faite, on ne trouve plus guère que de la pitié pour tout le monde. Ces bourgeois de Rome sont des pères de famille honnêtes comme on en voit tant, mais beaucoup d'entre eux attendent leur fortune du tirage de la loterie. Tous ne rêvent qu'aux moyens de faire des affaires, c'est-à-dire de remuer l'argent des autres de manière à en retenir beaucoup pour eux-mêmes, et surtout à se donner peu de peine. Quelle supériorité de talens et de vertus les autorise donc à dédaigner leur triste gouvernement et à souhaiter sa chute? Le plus grand crime de la papauté en 1834 est peut-être de ne plus savoir enrichir, aux dépens du reste du monde, la population voluptueuse et oisive de l'état pontifical. Si le successeur de saint Pierre reprochait aux Romains de vouloir le quitter comme des parasites abandonnent un Lucullus appauvri,

les Romains ne seraient pas à court de réponses: on leur sait toujours assez d'esprit pour cela, mais nous ignorons s'ils en trouveraient de bonnes. Ils veulent aujourd'hui se gouverner eux-mêmes : nous les approuvons en ceci; mais le gouvernement sacerdotal, qui connaît parmi les capacités beaucoup d'hommes cupides et corruptibles, se croit en droit de retenir le pouvoir, à titre d'ancienneté. Les prêtres, blanchis dans les intrigues, prétendent être plus propres aux affaires publiques que des laïques insoucians et dépourvus d'une éducation spéciale. Il est vrai que cette éducation, l'on a grand soin de ne pas la mettre à la portée des gouvernés, et que ceux-ci, d'un autre côté, ne semblent pas toujours fort empressés de profiter de celle qu'on leur offre. Disons, pourtant, que sur cette terre féconde, les professions qui demandent avant tout le concours de l'esprit et de la réflexion sont, au témoignage de notre auteur, bien remplies. Les avocats romains sont gens adroits, habiles à tourner à leur profit la faiblesse et la corruption des gouvernans, et l'oisiveté processive des gouvernés. Les médecins sont prudens, observateurs, et font avec grand succès la médecine expectante. Ils font cas de l'homœopathie, mais seulement à cause de son régime diététique.

Voici quelques-unes des réflexions de l'auteur sur le système d'éducation qui prédomine dans les États Romains.

<«< Rome se trouve dans une fâcheuse période de transition, même sous le rapport de l'éducation: on entrevoit que les idées anciennes ne suffisent plus, et l'on ne sait rien de meilleur à mettre à la place... En général, l'éducation se propose l'enseignement de formes douces et polies, le respect extérieur des usages religieux, et plutôt un savoir inutile et l'exercice de quelques talens d'agrément que le développement du caractère et de la force. On ne pratique point les exercices gymnastiques, qui seraient à peine tolérés, sauf un peu d'escrime. On ne trouve pas un maître d'équitation passable; en revanche, on favorise beaucoup la musique, le dessin et la versification. Quelques parens envoyaient en conséquence leurs fils au collège de Fuligno où l'on donnait plus de soins à l'éducation physique, mais l'établissement aurait probablement été mis en interdit, si le tremblement de terre de 1852 n'eût dispersé tous les élèves..... Si une révolution doit se faire en Italie, il faut, avant tout, donner à l'éducation de la jeunesse une direction différente, très grave, et qui habitue à une obéissance aveugle sous l'empire de lois raisonnables. Dans l'état actuel, tout travaille à la destruction du présent, et si le mors suffit à peine à retenir la jeunesse d'aujourd'hui, les entraves seront vaines un jour pour ceux qui sont encore enfans à cette heure. >>

Voici maintenant le résultat :

« La belle jeunesse de la classe moyenne est en pleine opposition contre le gouvernement, turbulente, mais non pas à la manière de nos étudians. Avec l'avenir qu'elle se fait, c'est un vrai miracle qu'elle ne soit pas dix fois pire. On ne peut nulle part voir plus clairement que par elle combien sont misérables tous les moyens que les gouvernemens emploient pour étouffer l'esprit du siècle. Ici, où l'éducation est remise aux jésuites, où l'on ne souffre aucun club, aucune gazette libérale, aucun livre qui ait pour objet l'état actuel du corps social et de l'église, ici où tout vit de l'église et du gouvernement, celui-ci n'a d'influence qu'autant qu'il a de l'argent à répandre et des places à donner. On s'arrangerait volontiers avec lui s'il possédait encore ses anciennes ressources; mais il ne peut plus satisfaire désormais; il blesse trop la vanité nationale, mobile si puissant dans les temps modernes, et pourtant si peu ménagé, mobile de la volonté et de l'action des peuples. »

«............. L'égalité dans la vie pratique à côté de l'immense inégalité écrite dans les lois; cette possibilité d'arriver promptement aux richesses et aux dignités par l'appui d'un parent ecclésiastique ou par la protection occulte des femmes, auprès de l'insignifiance politique de la noblesse considérée comme noblesse, produisent aussi dans Rome cette bizarre contradiction, qu'on méprise ce qu'on ambitionne et qu'on ambitionne pourtant ce qu'on méprise; que chacun cherche son point de vue plutôt en dehors qu'au dedans de sa sphère, et que, pour le cas au moins possible d'un mouvement politique, les élémens de désordre s'offrent en foule, mais pas un pour le maintien de l'ordre et pour l'établissement d'un nouvel état politique au moins supportable, sans le pouvoir de fer d'un despote. »

Nous avons été entraînés par la force des préoccupations actuelles, et peut-être à notre insu, à ne considérer que sous une seule face le livre que nous avons sous les yeux. C'est donner sans doute une idée incomplète d'un tableau aussi complet qu'on peut le désirer; mais l'espace nous manque pour étendre nos citations sur d'autres objets. Depuis long-temps nous n'avions rien lu qui fût aussi impartial, aussi net et aussi précis.

SCHATTENRISSE AUS SUDDEUTSCHLAND (Silhouettes de l'Allemagne méridionale), par W. Alexis. 4 vol in-12, Berlin.

D'un auteur libéral nous passons à un autre qui ne l'est guère, ou du moins ne l'est qu'à son corps défendant. M. Willibald Alexis, ou, pour parler plus exactement, M. Hæring, est l'un des plus distingués de cette classe d'écrivains qui ont fleuri à l'ombre du sapin royal de Brandebourg, et craignent toujours une atteinte au système qui leur a fait de doux loisirs.

Ils ne peuvent espérer, dans une lutte des forces sociales, une fermentation favorable au développement des idées artistiques; ils s'effraient de la tendance parcimonieuse, vulgaire et matérielle de certaines assemblées représentatives, et n'accordent pas que le public se chargera d'encourager l'art qui ne serait plus protégé par les rois. Ils redoutent surtout l'esprit d'imitation qui s'empare si facilement des masses, et la réaction prosaïque dont les symptômes éclatent dans maint état constitutionnel. Le système exclusif de l'utilité leur est particulièrement antipathique. Il y a quelque chose de vrai dans ces suppositions, et des motifs suffisans à ces terreurs d'ailleurs exagérées. Il est certain que, dans les temps de collision, l'on ne peut guère songer à l'ornement de la vie sociale et aux charmes des loisirs domestiques. Nous regrettons autant que tous les poètes royaux ensemble ces terribles catastrophes, et si nous étions capables de haine, nous la réserverions surtout pour les hommes qui rendent ces catastrophes inévitables. M. Hæring dit entre autres choses : « C'en serait fait de tout ce qui relève et anoblit la vie, de tout ce qui nous donne du courage pour vivre, s'il fallait attendre, pour penser aux belles et grandes choses, qu'on eût mis fin à toutes les misères de ce monde. » Il a parfaitement raison : le mal existe dans une telle proportion et de telle sorte, que nos efforts pour le détruire d'un côté ne servent trop souvent qu'à l'augmenter de l'autre. Nous ignorons pourquoi, et c'est la pierre d'achoppement de toutes les philosophies. Mais le sentiment de justice qui nous porte à atténuer le mal par tous les moyens qui sont à notre disposition, n'a dans la vie pratique rien de commun avec la renonciation au sentiment du grand et du beau. L'esprit d'amélioration libérale, c'est-à-dire l'esprit de justice dont le monde est présentement en travail, accomplira sa mission en recherchant tout ce qui peut contribuer au bonheur des hommes, et en se servant des moyens que le présent lui offre déjà. D'ailleurs, dans quelque position que se puisse trouver la race humaine, vers quelque but qu'elle soit entraînée, le réel ne suffira jamais à occuper toute son activité. Une surabondance d'ardeur reste dans chaque homme à employer hors de la sphère des besoins et des habitudes vulgaires; surabondance de sève qui a créé l'art sous toutes ses formes, et qui suffira à le défrayer toujours. Que l'art subisse une transformation, qu'il se déplace, se subdivise, s'amoindrisse, s'éparpille pour se généraliser, qu'il aille à la foule comme il nous semble que c'est sa tendance actuelle, au lieu de se révéler avec un mystère dédaigneux, à quelques rares organisations d'élite, il ne peut plus périr. Il peut, à certaines époques de la vie de l'humanité, disparaître un moment comme le fleuve qui bondit dans le lit étroit du précipice, et se perd sous des antres inexplorables; mais vos yeux le retrouvent plus loin s'épandant

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