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« et l'attente de l'univers : tant est haut son courage; tant est « vaste son intelligence; tant ses destinées sont glorieuses! « (ossuet, Oraisons Funèbres.) « Les rois de France ( dit-il ailleurs) sont, de tous les rois, le plus clairement prédits « dans les prophéties.... Je ne sais si la milice romaine a ja«< mais rien eu d'aussi admirable que les armées de Louis XIV. » Comment le monarque, enivré de ces magnifiques louanges que déposaient à ses pieds l'oracle de la chaire et l'oracle du Parnasse, ne s'en serait-il pas cru digne? Et c'est à Louis XIV qu'on les prodiguait, à ce monarque asiatique, portant dans ses camps le luxe de Xerxès; dont la capacité militaire se réduisait à mettre beaucoup d'importance dans les petits détails; qui ne parut jamais devant une place que sa reddition ne fût certaine, et qui, dans ses campagnes d'ostentation, loin de montrer le petit-fils d'Henri IV, se souciait peu de s'exposer comme Louis XIII, prince brave, très-brave de sa personne, et cherchant les dangers avec passion. On sait comment Louis XIV devint l'objet des sarcasmes, à l'occasion de son départ de l'armée, en 1676, lorsqu'il évita l'occasion de détruire l'armée du prince d'Orange, près de Valenciennes. (V. SaintSimon.)

Dans une monarchie absolue, comme était la monarchie française, le prince distingué par de brillantes qualités, ou par des vertus privées, pouvait cependant faire le malheur public. Ni l'éclat de sa cour, ni la douceur de ses mœurs, ni l'urbanité de ses manières, ne devraient en imposer, quand il s'agit de l'intérêt général. Toutes les fois que la destinée de l'espèce humaine est mise en jeu, il faut se tenir en garde contre les prestiges de la grandeur.

Ainsi Louis XII reçut le beau surnom de Père du Peuple; mais, pour le lui conserver, il faut lui tenir compte de ses inspirations: car les projets qui lui firent décerner ce titre restèrent en ébauche, et cela par sa propre faute. Les projets que lui dictait l'amour de ses sujets étaient incompatibles avec ses prétentions si folles au-delà des monts, ses combinaisons si fausses, et ses campagnes si mal conduites. Diminuer les impôts de moitié, c'était plus que doubler les difficultés des

guerres qui remplirent les dix-sept années de son règne. Toujours en négociations ou sous les armes, Louis XII fat toujours abusé, toujours vaincu. Il se consolait des perfidies de Ferdinand d'Aragon, en s'écriant, « J'aime mieux perdre un royaume - que l'honneur ». Voilà, sans doute, un noble sentiment; mais une conduite prudente, qui aurait conservé à-la-fois ce royaume de Naples et l'honneur, aurait un plus juste droit à l'admiration. Et puis! qu'importait cette possession lointaine au bonheur des Bourguignons et des Tourangeaux? Ce bon Roi, sans cesse égaré dans sa politique, soutint, accueillit, éleva, enrichit l'exécrable César Borgia, et donna une immense prépondérance au père de ce monstre, au pape Alexandre VI, dont les crimes furent si profitables à la cour de Rome et si nuisibles aux peuples voisins.

Le vulgaire des écrivains ne tarit pas non plus sur les éloges de François ; et le vulgaire des lecteurs les admet sans restrictions. On croit réfuter toute critique en appelant ce Roi, le Restaurateur des Lettres; et cependant son règne n'offre qu'un enchaînement de fautes et de malheurs dont lui-même est la cause. Dépourvu de talents pour la guerre, il la fait en personne; jouet des favoris et des femmes, et trop complaisant pour sa mère, il s'aliène Doria, le connétable de Bourbon. En vain se promet-il pour sa maison d'heureux résultats de ce concordat, monument honteux parmi les honteuses transactions de la diplomatie française; il ruine la France après l'avoir entraînée sur le bord de l'abîme. Avec ses conquêtes lointaines, il perd, enfin, l'honneur, en violant le traité de Madrid, sous des prétextes de la plus insigne déloyauté ; bien différent de saint Louis et du malheureux Jean, ses ancêtres, scrupuleux observateurs des conventions les plus rigoureuses. Qu'importe, après tout cela, que François Ier ait visité un peintre malade, et qu'il ait causé avec Marot?

En lisant les déclamations de nos jours (dit madame de Staël), << on croirait que les huit siècles de la monarchie n'ont été que ⚫des jours tranquilles, et que la nation était alors sur des roses. On oublie les Templiers brûlés sous Philippe-le-Bel; ▪ le triomphe des Anglais sous les Valois; la guerre de la Jac

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querie; les assassinats des ducs d'Orléans et de Bourgogne ; « les cruautés perfides de Louis XI; les protestants français «< condamnés à d'affreux supplices sous François Ier, tandis « qu'il s'alliait lui-même aux protestants d'Allemagne; les hor«< reurs de la ligue, surpassées toutes encore par le massacre de la Saint-Barthélemi; les conspirations contre Henri IV « et son assassinat, œuvre effroyable des ligueurs ; les écha« fauds arbitraires élevés par le cardinal de Richelieu; les dragonnades, la révocation de l'édit de Nantes, l'expulsion « des protestants et la guerre des Cévennes, sous Louis XIV. » Devra-t-on toujours faire l'apothéose du fils d'Anne d'Autriche, en considération de quelques améliorations accidentelles, incomplètes autant qu'inévitables; affectant d'oublier les désastres des quarante dernières années de son règne, les calamités qu'il répandit sur la France dans son temps, et celles qu'il lui prépara et dont nous avons éprouvé le poids? Son orgueil sera-t-il toujours divinisé, parce que son berceau se vit entouré de cette foule de grands hommes, véritables demi-dieux issus des guerres civiles, ou créés par l'influence encore agissante du héros qui ferma le temple de la Discorde? Tous ces beaux talents avaient germé avant le jour qui vit naître Louis XIV; ils se développèrent par leur propre sève, avant que le jeune monarque fût en état de les protéger; ils appartiennent à l'époque même. La munificence qui récompense les travaux du génie ne l'a pas créé. Turenne, Condé, n'avaient-ils pas déja fait triompher les armes de Louis XIII? N'était-ce pas cinq jours après la mort de Louis XIII, que le champ de Rocroi se couvrit de lauriers? Cette même année 1643, Turenne, déja célèbre par plusieurs campagnes, recevait le bâton de maréchal sur la brèche de Trino. La France vit la merveille du Cid deux ans avant le prince qui affecta d'oublier la vieillesse de Corneille. En 1642, Pascal révélait son génie au monde savant. Colbert avait mûri le sien pendant la minorité. C'est entouré de ce cortége, riche héritage du siècle précédent, que Louis XIV se place sur le trône, lorsqu'à vingt-trois ans il veut régner par lui-même. Tout prospérera pendant l'existence de ces grands hommes qui virent son ado

lescence; mais, après la mort des capitaines sortis de l'école de Gustave-Adolphe et des élèves de ces capitaines, après ces génies supérieurs des premiers temps, que trouve-t-on? Deux ou trois génies secondaires, un grand nombre de vils courtisans et de généraux à talents ordinaires, trois ou quatre généraux de second ordre, quelques légers reflets de gloire et beaucoup de maux, d'erreurs et de honte. « Voilà, dit Saint« Simon, où conduisit l'aveuglement des choix, l'orgueil de tout faire, la jalousie des anciens ministres et capitaines, • la vanité d'en choisir de tels qu'on ne pût leur rien attribuer ⚫ pour ne point partager la réputation de grand avec personne, la clôture exacte qui ferma tout accès et jeta dans les plus * affreux panneaux; enfin, toute cette déplorable façon de « gouverner qui précipita dans le plus évident péril d'une

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perte certaine, et qui jeta dans le dernier désespoir ce maître « de la paix et de la guerre, ce châtieur des nations, ce conquérant, ce grand par excellence, cet homme immortel pour qui on épuisait le marbre et le bronze, pour qui tout était < à bout d'encens. Conduit ainsi jusqu'au dernier bord du précipice avec l'horrible loisir d'en reconnaître toute la pro<< fondeur, la toute-puissante main qui n'a posé que quelques grains de sable pour bornes aux plus furieux orages de la ⚫ mer, arrêta tout d'un coup la dernière ruine de ce roi si « présomptueux et si superbe, après lui avoir fait goûter à << longs traits sa faiblesse, sa misère et son néant. »

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Tel est l'inévitable abîme où le pouvoir absolu conduit une nation. Le despotisme amenera la perte de l'empire par l'excès de la violence, ou la subversion de l'état, en détruisant tous ses appuis, en dépravant la morale publique, afin d'atteindre quelque objet de peu d'importance dans un intérêt particulier et momentané. Tous les moyens, toutes les manières de nuire aux hommes sont dans l'exercice comme dans l'essence

du pouvoir absolu, de ce pouvoir qui, ne voulant pas être surveillé, ne pouvant pas être balancé, ne saurait être retenu que par des considérations passagères. Ainsi le sultan est, de loin en loin, informé par l'incendie d'un quartier de Constantinople, que tel de ses actes déplaît à la multitude. Chez

nous, le mécontentement des opprimés s'exhalait en chansons légères dont la vapeur, quelquefois importune aux tyrans secondaires, produisait assez d'effet pour leur faire suspendre d'iniques concussions ou des guerres désastreuses. Toute puissance qui croit exister par elle seule, creuse son tombeau. Notre révolution a prouvé, jusqu'à l'évidence, combien était faux le systême du gouvernement qui l'a précédée. Mais, comme si cette catastrophe ne suffisait pas pour instruire les princes autocrates, le monde retentit, de nos jours aussi, de la chûte soudaine de cette vaste monarchie, qui, suivant l'expression d'un poëte, se présente partout où luit l'astre du jour, de l'Espagne, de cet empire gouverné par le favori tout puissant d'un souverain qui ne rend à ses sujets aucun compte des actes de sa politique ou de son administration.

Voilà deux exemples contemporains qui prouvent irrécusablement à quels extrêmes malheurs conduisent, soit la faiblesse ou l'incapacité de ces princes dont la puissance est indéfinie. Notre histoire montre également, et sous plusieurs règnes, qu'une action trop forte de la main qui tient les rênes de l'état, en compromet la destinée. Plus le despote se distinguera par ses qualités, plus la nation sera plongée dans l'asservissement. Malheur, cent fois malheur à cette nation qui verra ses chaînes couvertes de fleurs, devant laquelle on n'étalera que la gloire des conquêtes, quand les arts s'empresseront de la distraire par leurs brillantes frivolités! A cette époque où les dominateurs du monde se passionnaient pour les spectacles, ils obéissaient à de vils affranchis. Péricles, Auguste, Louis XIV, Napoléon, ont agi l'un comme l'autre ; ils semblent s'être passé de main en main leurs instruments d'oppression.

Sans doute on a vu des princes absolus dignes d'être comptés parmi les bienfaiteurs de l'humanité. Mais combien ils furent rares ceux qui joignirent à la noble passion de faire le bonheur de leurs semblables, une immuable volonté et de grands talents d'exécution; dont l'oreille se fermait à la flatterie, dont l'ame résistait aux séductions qui dépravent les sentiments généreux! Des trente-deux Capétiens qui ont gouverné la

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