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Stipulation particulière

comme prêt à s'écrouler. Je pouvais avoir une riche part à ses débris : maître de Corfou et des îles Ioniennes, je pouvais prétendre à la possession de l'Albanie, de la Morée, des îles de l'Archipel, provinces riches en mines, en forêts propres à la construction des vaisseaux, et fournissant une pépinière d'excellents marins. J'assurerais ainsi mon influence dans tout le Levant; je préparerais des moyens maritimes immenses qui sait si le beau rôle de restaurateur de la Grèce ne me serait pas réservé?

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Toutefois, comme une telle opération entraîde Tilsit. nerait à des débats qui retarderaient trop notre réconciliation dont les bases étaient déja posées, et que d'ailleurs je ne pouvais opérer immédiatement le partage d'un empire avec lequel je me trouvais, si non lié par des traités formels, du moins par des rapports étroits et des convenances réciproques, nous ajournâmes la question à une autre époque, en promettant de nous réunir bientôt à cet effet. On arrêta seulement en principe que l'état actuel de l'empire ottoman serait provisoirement maintenu, condition nécessaire pour ne pas donner l'éveil, et surtout pour qu'aucun changement ultérieur ne se fit que d'un commun accord. Je consentis tacitement à ce que les Russes continuassent à occuper les principautés jusqu'au Danube. De

mon côté, j'occuperais la Prusse autant que cet état provisoire durerait. Nous devions proposer, de concert, la paix à nos ennemis réciproques; la Russie offrirait sa médiation à l'Angleterre, et moi je l'offrirais aux Turcs: si nos propositions étaient repoussées, alors nous agirions, d'un commun accord, dans le but proposé. Un traité éventuel pourvut au parti que nous aurions à prendre, si les Anglais rejetaient la paix; et les bases de leur expulsion du continent furent arrêtées. La Russie forcerait la Suède à leur fermer ses ports. De mon côté, j'obligerais le Danemarck, le Portugal et le pape à en faire autant. L'Espagne, qui les avait déja fermés, serait également tenue d'adopter le système de représailles ordonné par le décret de Berlin. On les mettrait ainsi au ban de l'Europe. Je promis à l'empereur Alexandre de ne point augmenter la force du duché de Varsovie, et de ne rien faire pour le rétablissement de la Pologne.

Tel fut en substance le traité de Tilsit, sur lequel on a bâti de si beaux romans. On a répandu le bruit que j'avais été jusqu'à parler de rétablir les empires d'Orient et d'Occident, en aidant la Russie à s'emparer de Constantinople, pourvu qu'elle consentît à ce que je possédasse l'Italie, l'Espagne et le Portugal, par moi ou par ma famille. On a prétendu que, prenant une carte

d'Europe, je traçai moi-même une ligne de démarcation qui aurait donné pour limites la rive droite de l'Oder aux Russes, de là une ligne directe par les Krapacs jusqu'au Danube, et la rive gauche de ce fleuve jusqu'à la mer Noire; pour nous, la rive gauche de l'Oder et la droite du Danube.

Quelques phrases grandioses ont bien pu m'échapper en présence d'un jeune souverain auquel je voulais inspirer une haute idée de ma vaste politique; mais un tel partage ne menait pas à mon but, et nous eût mis aux prises aussitôt que l'Espagne eût été soumise. De tels projets n'ont pas besoin de commentaires; ils sont absurdes.

Une telle paix était sans exemple dans les annales de la France; qui pouvait s'attendre qu'elle y trouverait des détracteurs? Je conçois qu'elle dût en avoir en Allemagne, en Angle terre; mais il était réservé à de mauvais Français de dénigrer eux-mêmes le plus beau monument de la gloire nationale.

CHAPITRE XI.

Suites du traité de Tilsit. Expédition des Anglais contre Copenhague. Ils s'emparent de la flotte danoise. Prise de Stralsund et de Rugen par les Français. La Russie offre sa médiation pour la paix qui est repoussée. Système continental. Création d'une nouvelle noblesse. Suppression du tribunat.

Les résultats de la guerre de Prusse avaient été inouïs; je ne savais pour ainsi dire que faire de la puissance qu'elle me procurait.

Depuis leur départ de Boulogne, 200 mille Français avaient été entretenus, nourris, payés, habillés, aux frais de l'ennemi; plus de 400 millions de contributions en argent et en denrées avaient été frappés sur les pays occupés; le trésor en avait reçu une partie, et les dépenses de notre budget, réduites de tout l'entretien de l'armée, n'avaient pas employé la moitié des fonds qui lui étaient assignés. Peu de temps avant, j'avais vendu la Louisiane pour avoir de l'argent en revenant d'Austerlitz, j'avais trouvé le trésor à sec et la banque à la veille de faire banqueroute. Deux ans nous séparaient à peine de cette crise, et j'avais une année de revenus en avance dans les

Origine et points de

coffres de l'état, une réserve considérable dans les caves des Tuileries, tandis que les pamphlétaires à la solde anglaise proclamaient dans toute l'Europe que ma puissance s'écroulerait faute de finances.

Toutefois, si j'avais de grandes ressources, un vue du sys- champ vaste et proportionné allait s'ouvrir pour tème conti- les employer. L'époque du traité de Tilsit mar

nental.

qua l'apogée de ma gloire et de ma puissance; car j'y posai les bases d'un grand système qui devait les consolider. Ce système, nommé avec raison continental, n'a jamais été parfaitement compris.

Quelque considérables que fussent les avantages de ce traité, je m'en promettais un plus grand encore, celui de contraindre les Anglais à la paix; car le colosse britannique n'était jusqu'alors que faiblement affecté de l'accroissement de ma puissance : ce n'était à ses yeux qu'un mal passager, qui ne le touchait qu'indirectement. La paix maritime était désormais l'unique objet de mes vœux, et je m'en étais expliqué avec l'empereur Alexandre de manière à ne laisser aucun doute à ce sujet, en lui remettant le soin de la procurer au monde par sa puissante intervention.

Pour s'assurer que mon désir était sincère, il suffit de se retracer un moment la situation des

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