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RAPPORTS DU DROIT ADMINISTRATIF

Dans le même ordre d'idées, un très savant professeur, dans un passage dont la dernière phrase provoque nos réserves, a dit: «Le droit administratif s'occupe de cette partie du droit public << qui comprend les rapports des gouvernants et des gouvernés << dans les détails de l'exécution des mesures qui les régissent. Il <«< est placé sur les bas degrés du droit public; celui-ci pose les << principes, et l'autre embrasse les règles qui regardent l'exécu<«<tion et les conséquences. Il s'agit d'une même échelle occupée << par un seul pouvoir sous des noms différents; il s'appelle gou« vernement dans les degrés supérieurs, et administration dans «<les degrés inférieurs ».

Le lien entre ces deux branches distinctes du droit public interne est si intime que, parfois, il ne serait pas facile de dire où finit le droit constitutionnel et où le droit administratif commence, si, dans un pays témoin de tant de ruines, on ne voyait heureusement la généralité de ses lois administratives survivre à l'effondrement successif de ses lois constitutionnelles tour à tour déchirées par les révolutions.

A un autre point de vue, qui aide à rectifier la partie finale du passage de Serrigny que nous venons de citer, le Président de la République, comme les autres chefs de l'État sous les constitutions antérieures, est à la fois le chef du gouvernement et l'administrateur suprême du pays. On serait embarrassé pour distinguer ses actes comme chef du gouvernement, de ses actes d'administrateur, si, rectifiant des idées fausses toujours répétées, on ne devait pas dire que les décrets gouvernementaux sont ceux rendus en exécution des lois constitutionnelles et les décrets administratifs en vertu des lois non constitutionnelles [nos 32].

6. Nous venons de dire, en définissant le droit administratif n° 3, que les lois administratives qui ont pour objet direct la réglementation de la plupart des principes du droit public français sont une portion considérable de ce droit ; et dans la division du droit administratif et de cet ouvrage en trois parties [no 4],

Traité du droit public des Français, par M. Serrigny; Introduction sur les fondements des sociétés politiques, page 96.

ET DU DROIT CONSTITUTIONNEL

nous avons vu que l'étude de cette réglementation formera toute la seconde partie. Il suffit donc d'indiquer ici d'une manière succincte ce point de contact étroit entre le droit constitutionnel et le droit administratif.

Pour ne citer que quelques exemples, il suffit de dire que c'est le droit constitutionnel qui a donné pour base à l'organisation politique de la France le principe de la souveraineté nationale, et que les lois relatives aux élections faites en exécution de ce principe sont presque toutes dans la sphère du droit administratif. C'est encore un principe constitutionnel, d'ordre politique et financier, proclamé en 1789, mais dont les origines historiques sont plus lointaines, que celui du vote annuel des dépenses et de l'impôt; mais la dette publique et l'impôt sont réglés par de très nombreuses lois administratives, et la législation financière de la France occupe une place très considérable dans son droit administratif. De même, l'obligation nationale au service militaire est un principe de droit public du domaine constitutionnel; mais les lois successives sur le recrutement et sur l'organisation de l'armée sont des lois administratives. Au droit constitutionnel il appartient de poser les principes de la liberté des cultes, de l'égalité civile, de la liberté individuelle, de l'inviolabilité de la propriété; mais ce sont des lois administratives qui règlent la haute police des cultes, le droit du chef de l'État d'autoriser les changements ou les modifications de noms de famille, les droits de l'administration vis-à-vis des aliénés dangereux, l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'alignement, et les nombreuses et diverses limitations du droit de propriété établies dans l'intérêt général et pour la sauvegarde du domaine public.

7. En outre de ce premier point de contact entre le droit constitutionnel et le droit administratif qu'il suffit de signaler ici, et dont le développement occupera la seconde partie du présent ouvrage, il en est un autre, dont l'examen fait le principal objet de cette introduction.

De tous les principes du nouveau droit public de la France depuis 1789, le principe de la séparation des pouvoirs est celui qui

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PRINCIPE DE DROIT PUBLIC FONDAMENTAL

exerce sur l'ensemble du droit national la plus puissante et la plus générale influence. Elle se produit dans toutes les branches de ce droit; elle domine toutes les autorités, tous les conseils, toutes les juridictions, de tous les ordres.

Aussi, bien que ce principe fondamental soit au premier 'chef un principe de droit constitutionnel, bien que son histoire, sa portée rationnelle, ses développements, ses applications diverses forment la première part et la plus considérable de ce droit, le droit administratif trouve, dans la donnée de ce principe qui le domine, son véritable point de départ; sans son étude préalable, sommaire pour ne pas empiéter sur un autre domaine, le droit administratif serait décapité.

Envisagé dans son sens le plus large, le principe de la séparation des pouvoirs comprend, d'une part, les règles qui président à la séparation des grands pouvoirs publics, et, d'autre part, celles qui président à la séparation des autorités administrative et judiciaire. En le considérant sous ce double aspect, il est même plus exact, suivant nous, et malgré des habitudes de langage contraires, de voir là deux principes de droit distincts, bien que se rattachant l'un à l'autre [voir n° 33].

Le second, celui de la séparation des autorités, est plus exclusivement réglé par les lois administratives. Le droit administratif peut même revendiquer son étude tout entière; nous devrons en faire une analyse approfondie dans la seconde partie de cet ouvrage [nos 971 à 1026]; nous devrons suivre partout ses données, et faire son application dans toutes les parties du droit administratif.

Le premier de ces principes, au contraire, celui de la séparation des grands pouvoirs publics, relève tout entier du droit constitutionnel; mais c'est à lui qu'il appartient de déterminer exactement la place de l'administration ou autorité administrative et celle de l'autorité judiciaire au sein de ces pouvoirs, leurs conditions d'existence, la nature de leurs actes dont l'application est confiée pour partie aux divers organes de l'administration. C'est pour cela que le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs doit former la tête de chapitre du droit administratif tout entier.

DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS

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8. Ce principe fondamental du droit public de la France peut, même sans sortir du domaine de notre droit national, être envisagé sous un triple aspect: au point de vue spéculatif et rationnel, en le considérant en lui-même pour en déterminer les conditions d'application et la portée; au point de vue historique, dans l'exposé de ses applications successives; au point de vue des textes constitutionnels en vigueur.

Bien que ces trois points de vue soient distincts les uns des autres, ils se touchent cependant de si près qu'il n'est pas facile d'isoler l'étude rationnelle du principe de la séparation des pouvoirs, de son étude historique, et réciproquement; sauf à faire ensuite au droit positif existant la place due aux textes en vigueur, selon que le pays possède ou non, suivant les crises qu'il traverse, l'ensemble d'un droit constitutionnel, écrit ou traditionnel, qui organise la séparation des pouvoirs.

C'est à ce point de vue, dans cet ordre, et en ayant toujours le droit administratif pour objectif, que nous allons traiter du principe de la séparation des pouvoirs. Nous abordons, en premier lieu, la partie spéculative ou rationnelle et la partie historique de cette étude, en les réunissant. Elles formeront un commentaire anticipé de la troisième partie consacrée au droit positif actuel, contenu dans les lois constitutionnelles de 1875 et celles qui les ont modifiées. Ce seront là des notions de droit constitutionnel préliminaires à l'étude du droit administratif et qui lui sont indispensables, pour déterminer exactement la place de l'autorité administrative dans la sphère des pouvoirs.

DROIT CONSTITUTIONNEL.

I

Principe de la séparation des pouvoirs

considéré aux points de vue spéculatif et historique.

9. Idée de pouvoir inhérente à celle de société.

10. Pouvoir constituant.

11. Pouvoirs constitués; ils doivent être séparés, sans que cette sépara

tion soit absolue.

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DROIT CONSTITUTIONNEL

12. Origines du principe de la séparation des pouvoirs constitués. 13. Onze Constitutions ou Chartes ont successivement en France organisé

et réparti les pouvoirs, de 1789 à 1875.

14. Eclipses du principe de séparation des pouvoirs : décrets-lois ou décrets-législatifs.

15. Pouvoir législatif; participation du pouvoir exécutif à l'œuvre législative; diverses phases de la confection des lois.

16. Initiative des lois; intervention du conseil d'État.

17. Discussion et vote des lois; amendements.

18. Examen de la constitutionnalité des lois admis par certaines constitutions, avec division des actes législatifs en lois et sénatus-consultes. 19. Sanction des lois, admise ou rejetée selon les constitutions.

20. De la date des lois.

21. Promulgation des lois.

22. Pouvoir exécutif : transition naturelle de l'étude du pouvoir législatif à celle du pouvoir exécutif.

23. Division du pouvoir exécutif en trois branches.

24. 1'e branche: le gouvernement.

25. Ses règles diverses au point de vue de sa composition,

26.

27.

de sa durée et de sa transmission,

des conditions constitutionnelles de son fonctionnement. 28. Responsabilité ministérielle, individuelle et collective. 29. Suite; pénale, civile, et politique.

30. Régime parlementaire; participation du pouvoir législatif à l'œuvre du pouvoir exécutif.

31. Observations relatives à cette première branche du pouvoir exécutif. 32. 2me branche: l'administration.

33. 3

branche: la justice justice retenue ou déléguée; juridiction judiciaire ou administrative; séparation des autorités administrative et judiciaire.

34. L'autorité judiciaire ne constitue pas un troisième pouvoir, dit pouvoir judiciaire; elle est une branche du pouvoir exécutif distincte des deux autres; lois constitutionnelles de 1875.

35. Démonstration de la même vérité au point de vue des principes. 36. Suite de la démonstration de ce principe et grave intérêt de la question. 37. Tableau historique des diverses solutions données par les constitutions de la France, antérieures à celle de 1875, aux questions d'organi. sation et de séparation des pouvoirs législatif et exécutif.

9. L'idée de pouvoir est inhérente à celle de société. L'expérience des siècles n'a fait que justifier l'éloquente affirmation de Cicéron, s'inspirant de Platon: « Rien n'est plus' approprié au

1 Nihil tam aptum est ad jus conditionemque naturæ quam imperium. sine quo nec domus ulla, nec civitas, nec gens, nec hominum universum genus stare, nec rerum natura omnis, nec ipse mundus potest; nam et hic

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