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DROIT DU PRÉFET D'ACCORDER DES

Ce texte ne se borne pas, comme l'article 93, à faire une application spéciale et nouvelle du principe de l'article 85, en matière de voirie. Il va bien au delà de cet article et du motif qui l'a inspiré, se bornant à assurer la réalisation des actes commandés aux administrations municipales par la loi. L'article 98 § 4 confère en effet aux préfets le droit d'accorder, aux lieu et place du maire, sur les dépendances de la voirie communale, des autorisations ou permissions, à titre précaire et révocable, qu'aucun texte de loi n'impose ni ne peut imposer aux maires l'obligation d'accorder.

La délivrance des alignements individuels et des autorisations de batir le long de la voie publique a toujours été considérée, en vertu de la loi du 16 septembre 1807 (art. 52), comme constituant des actes prescrits au maire par la loi, et donnant lieu, en cas de refus ou d'abstention du maire, à la délivrance de l'alignement et de l'autorisation par le préfet, par application de l'ancien article 15 de la loi de 1837 et par conséquent de l'article 85 de la loi de 1884.

Mais relativement « aux permissions de voirie à titre précaire << ou essentiellement révocables », la jurisprudence refusait au préfet le droit de les conférer aux lieu et place du maire, parce que les maires n'étaient pas obligés par la loi de les accorder (C. d'Ét. 18 décembre 1880, Poirel).

Cette distinction, consacrée par la jurisprudence, entre la délivrance des alignements et celle des permissions de voirie, a sa raison d'être dans la nature des choses. Les demandes d'alignements individuels et d'autorisation de bâtir sont conformes à la destination de la voie publique ; tandis que les permissions de saillies et autres tolérances ne rentrent pas dans les conditions de destination nécessaire de la voie publique. Celle-ci n'en est que l'occasion. Ces permissions peuvent même être en désaccord avec cette destination.

Ce sont ces permissions que l'article 98 attribue au préfet le droit d'accorder désormais « en cas de refus du maire non « justifié par l'intérêt général ». Le caractère précaire de pareilles permissions, essentiellement révocables, qu'elles émanent

PERMISSIONS DE VOIRIE MUNICIPALE

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du maire, et actuellement, à son refus, du préfet, est une conséquence du principe de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité du domaine public.

Le législateur de 1884 n'a pas voulu cependant que ce grand principe de l'indisponibilité du domaine public pût servir de prétexte à des vexations arbitraires. Des maires, cédant à des sentiments d'hostilité personnelle, en dehors de tout intérêt relatif à la conservation de la voie publique et à la liberté de la circulation, avaient accordé aux uns et arbitrairement refusé à d'autres ces permissions de voirie. L'article 98 § 4 a été fait pour remédier à ces abus, et son texte est formel.

Nous pensons que le maire peut, en vertu du caractère essentiellement révocable de ces permissions, révoquer celles données en son lieu et place par le préfet, dont l'acte n'en est pas moins un acte d'autorité municipale. Le préfet est suffisamment armé à ce point de vue par l'article 95 qui lui confère le droit de suspendre ou annuler tous les arrêtés du maire.

Le maire a la police des routes nationales et départementales, et des voies de communication dans l'intérieur des agglomérations, mais seulement en ce qui touche à la circulation sur lesdites voies. Il peut, moyennant le payement de droits fixés par un tarif dûment établi, sous les réserves imposées par l'article 7 de la loi du 11 frimaire an VII, donner des permis de stationnement ou de dépôt temporaire sur la voie publique, sur les rivières, ports et quais fluviaux et autres lieux publics. Les alignements individuels, les autorisations de bâtir, les autres permissions de voirie sont délivrés par l'autorité compétente, après que le maire aura donné son avis dans le cas où il ne lui appartient pas de les délivrer lui. même. Les permissions de voirie à titre précaire ou essentiellement révocable, sur les voies publiques qui sont placées dans les attributions du maire, et ayant pour objet, notamment, l'établissement dans le sol de la voie publique des canalisations destinées au passage ou à la conduite, soit de l'eau, soit du gaz, peuvent, en cas de refus du maire non justifié par l'intérêt général, être accordées par le préfet (L. 5 avril 1884, art. 98).

301. L'article 152 de la loi du 5 avril 1885 ne fait que reproduire l'article 61 § 2 de la loi du 18 juillet 1837. C'est une application remarquable du principe de l'article 85; en faisant accomplir par le préfet l'acte de comptabilité municipale, aux lieu et place du maire ordonnateur de la commune, ce texte substitue

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ORDONNANCEMENT MUNICIPAL ET

formellement l'arrêté du préfet à l'acte d'ordonnancement du maire. Aux termes de l'article 90 § 3 et du § 1er de cet article 152, le maire, chargé de l'ordonnancement des dépenses communales, peut seul délivrer les mandats, sur la remise desquels les créanciers de la commune peuvent être payés par le receveur municipal. Mais si le maire refuse arbitrairement d'ordonnancer une dépense, il ne peut dépendre de son caprice de laisser en souffrance une créance légitime. Le § 2 de l'article 152 autorise le préfet à prononcer en conseil de préfecture, et le texte ajoute que « l'arrêté du préfet tiendra lieu du mandat du maire ». Ainsi l'article 85 et l'article 152 § 2 de la loi municipale constituent deux applications d'une idée commune transmettre pour un cas spécial l'action municipale à une autorité supérieure, lorsque le maire refuse d'accomplir un acte que la loi lui commande d'accomplir.

A un autre point de vue, le texte de l'article 152 § 2 justifie la théorie que nous avons exposée [no 298], sur l'application de l'article 85 au cas d'inexécution par le maire des délibérations du conseil municipal. Pour que le préfet puisse user du droit d'ordonnancement d'office, l'article 152 exige que le refus d'ordonnancement du maire s'applique à « une dépense régulièrement «autorisée et liquide ». Or la dépense régulièrement autorisée est celle qui a été, soit votée par le conseil municipal et portée par lui au budget, soit inscrite d'office, ce qui n'est possible que lorsque la dépense est obligatoire en vertu des articles 136 et 149. En dehors de ces deux cas, l'arrêté préfectoral ordonnançant d'office serait entaché d'excès de pouvoir (C. d'Ét. 7 février 1867, Saint-Denis-des-Monts; 12 février 1875, Marseille). Dans le premier cas, lorsque la dépense est votée par le conseil municipal, l'article 152 fait directement à l'article 90 § 3 l'application de l'interprétation par nous donnée à l'article 90 $$ 6, 7, 8 et 10, dans ses rapports avec l'article 85. Dans le second cas, l'article 149 par le droit d'inscription d'office des dépenses obligatoires, remédie au défaut d'exécution de la loi par le conseil municipal, comme les articles 85 et 152 remédient au défaut d'exécution de la loi par le maire.

RÈGLEMENT MUNICIP AL FAITS PAR LE PRÉFET

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Le maire peut seul délivrer les mandats. S'il refusait d'ordonnancer une dépense régulièrement autorisée et liquide, il serait prononcé par le préfet en conseil de préfecture, et l'arrêté du préfet tiendrait lieu du mandat du maire (L. 5 avril 1884, art. 152).

302. L'article 99 de la loi municipale de 1884 est une disposition entièrement nouvelle, fort grave au point de vue des principes, et qui a donné lieu à de vifs débats et à des remaniements successifs au sein du Parlement'. Elle confère au préfet le droit de faire des règlements relatifs «< au maintien de la salu<< brité, de la sûreté et de la tranquillité publiques, dans tous les « cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités munici<< pales ». Le mot de « règlement » ne figure pas dans l'article 99. Mais que peuvent être des « mesures » relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques, prises par le préfet « pour toutes les communes du département ou << plusieurs d'entre elles », sinon des mesures réglementaires ? Il s'agit d'actes généraux applicables à tous les habitants des communes déterminées. La généralité d'application est le caractère essentiel des actes réglementaires, qui les distingue à la fois des deux autres actes de l'administration, les actes administratifs proprement dits et les actes de gestion. Il en sera de même de la mesure de même nature que le § 2 de l'article 99 autorise le préfet à prendre « à l'égard d'une seule commune ».

D'ailleurs c'est précisément parce que l'article 85 n'embrassait pas les actes réglementaires dans sa sphère d'application, que l'article 99 a été introduit dans la loi. Il est donc bien certain que ce texte confère au préfet le droit de faire des « règlements », aux lieu et place du maire, sur des matières de la compétence du maire; et c'est seulement en cas d'abstention de sa part que le préfet est investi de ce droit. Donc il s'agit de règlements municipaux, que les préfets sont investis du pouvoir de faire en cas d'abstention du maire. Tel est l'objet, telle est la véritable signification de l'article 99. Il fait pour les règlements munici

Pour plus amples développements, voir nos Etudes sur la loi municipale du 5 avril 1884, pages 38 à 81. Des actes des maires accomplis par les préfets aux lieu et place des maires ».

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DROIT DU PRÉFET DE FAIRE DES

paux, dans des conditions plus restrictives des prérogatives municipales, puisqu'il ne s'agit pas d'un acte formel commandé par la loi, ce que l'article 85 fait pour les arrêtés municipaux individuels et les actes de gestion communale, avec le développement donné à son principe par les articles 93, 98 § 4 et 152 § 2.

Les pouvoirs qui appartiennent au maire, en vertu de l'article 91, ne font pas obstacle au droit du préfet de prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Ce droit ne pourra être exercé par le préfet à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat (L. 5 avril 1884, art. 99.)

303. Les préfets sont investis de cette attribution nouvelle, sans préjudice des règlements départementaux qu'ils continuent de faire. Ceux-ci restent soumis à des règles différentes, conformément à la jurisprudence antérieure à 1884, et dans la sphère normale des attributions préfectorales [nos 151 et 154]. L'article 99 de la nouvelle loi municipale impose aux règlements municipaux faits par le préfet trois règles principales.

1o Les préfets n'ont le droit de faire des règlements départementaux que sur des objets de sûreté générale et de sûreté publique; aux termes de l'article 99, ils peuvent, aux lieu et place du maire, faire des règlements municipaux dans l'intérêt du « maintien de la salubrité, de la sûreté, et de la tranquillité publiques ». Il résulte de cette disposition que certaines mesures relatives à la salubrité et surtout à la tranquillité publique, sans avoir l'importance de mesures tenant à la sûreté et à la sécurité, pourront désormais être prises par les préfets. Le rejet d'un amendement tendant à substituer à ceux du texte les mots <«< mesures relatives à la sûreté et à la salubrité générales » en est la preuve.

20 Les préfets ne peuvent faire de règlements départementaux que pour le département tout entier, comme le président de la République pour tout le pays no 65]. L'article 99 permet aux

1 Amendement présenté par M. Goblet, rejeté par 252 voix contre 244.

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