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ASSEMBLÉE NATIONALE DE RÉVISION

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Non seulement la loi sur la presse du 29 décembre 1875 a été abrogée par celle du 29 juillet 1881, mais l'article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août 1884 a apporté sous ce rapport une modification très importante à la clause de révision de 1875. Elle résulte de la première partie du troisième paragraphe que ce texte de 1884 a ajouté à l'article 8 de la loi du 25 février 1875. Le texte primitif et les déclarations de 1875, reproduites en 1876, et que nous venons de signaler, constituent le meilleur commentaire de cet article 2 de la loi de 1884 portant que « la forme « républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une pro<< position de révision ».

Mais, suivant une distinction, sur laquelle nous reviendrons. souvent, entre l'interprétation par voie de doctrine et l'interprétation par voie d'autorité, il est bien évident que, si son interprétation par voie de doctrine est toujours permise, l'article 8, émanant du pouvoir constituant, ne peut au contraire être interprété par voie d'autorité que par une autre émanation du pouvoir constituant, c'est-à-dire par l'assemblée de révision qui a seule qualité, aux termes de l'article 8, pour modifier les lois constitutionnelles cujus est condere, ejusdem est interpretari. C'est ce que, sous une autre forme, le gouvernement et le Sénat ont unanimement reconnu dans la séance déjà signalée du 24 mai 1876.

Deux applications ont été faites depuis 1875 de la clause de révision; l'une par la loi constitutionnelle du 19 juin 1879 abrogeant l'article 9 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 n° 39, et l'autre par la loi ci-dessus du 14 août 1884. Dans les deux cas, l'Assemblée nationale de révision a reconnu avec raison que ses pouvoirs constituants étaient limités aux articles et même aux paragraphes de la constitution visés par la déclaration commune des deux chambres et fixant ainsi souverainement la compétence du congrès. Son président a le devoir de n'admettre, ni la discussion, ni la mise aux voix d'aucune proposition s'en écartant, dont le vote serait entaché d'illégalité.

Le ministère présidé par Gambetta avait pris, en 1882, l'initiative d'une proposition de révision qui n'aboutit pas dans les circonstances suivantes. Le ministère et le président du conseil

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défendaient les principes que nous venons de formuler et qui ont triomphé dans la révision de 1884. Ils demandaient que la résolution de la Chambre des Députés ne contint pas dans son dispositif ces mots « déclare qu'il y a lieu à la révision des lois <«< constitutionnelles », proposés par la commission de la Chambre, et se bornât à indiquer les textes de la constitution qu'il y avait lieu de réviser. La Chambre venait de rejeter, par 298 voix contre 173, un amendement tendant à la révision intégrale de la constitution, et le président du conseil faisait observer avec raison que « la rédaction proposée attribuerait au Congrès le droit <«< d'effectuer la révision intégrale qui venait d'être repoussée par << un vote ». Néanmoins, la disposition finale du projet de la commission déclarant qu'il y a lieu à révision des lois constitutionnelles, repoussée par le gouvernement, fut adoptée à la majorité de 282 voix contre 227, et suivie de la démission du ministère (séance de la Chambre des députés du 26 janvier 1882). Jules Ferry devait reprendre, à cet égard, et faire triompher, en 1884, la vraie doctrine constitutionnelle de la clause de révision, soutenue, en janvier 1882, par Gambetta.

Il faut remarquer que l'article 3 de la loi du 22 juillet 1879, qui a fixé à Paris le siège du pouvoir exécutif et des deux Chambres, a maintenu à Versailles, conformément à l'article 9 abrogé de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, le siège des Assemblées nationales de révision et d'élection à la présidence de la République.

Une autre antithèse plus remarquable encore résulte des dispositions toujours en vigueur de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Tandis que, pour la législation ordinaire, la loi constitutionnelle du 25 février 1875 consacre le système des deux chambres, elle admet la révision de la constitution par une assemblée unique, composée des membres du Sénat et des membres de la Chambre des députés. Au sein de cette assemblée, l'infériorité numérique du Sénat donne dans le vote la prépondérance à la Chambre des députés, incomplètement compensée par la prééminence du bureau du Sénat devenant le bureau de l'Assemblée nationale. Cette unique assemblée ne peut se réunir

POUVOIR LÉGISLATIF

53 que si chacune des deux chambres, le Sénat et la Chambre des députés, déclare, à la majorité absolue des voix, qu'il y a lieu de procéder à la révision; et cette assemblée nationale de révision, ou congrès, investie par l'article 8 du pouvoir constituant, ne peut modifier la Constitution qu'à la majorité absolue de ses membres, présents ou non, votants ou non.

41. Le pouvoir législatif est réparti par les lois constitutionnelles de 1875 entre deux assemblées, le Sénat et la Chambre des députés, et le président de la République.

L'initiative des lois appartient concurremment au président de la Répubique et aux membres des deux chambres (L. c. 25 février, art. 3 § 1; L. c. 24 février, art. 8 § 1).

La discussion et le vote des lois appartiennent également aux deux chambres (L. c. 25 février, art. 1 § 1, et art. 3 § 1; L. c. 24 février, art. 8 § 1), sauf que les lois de finances doivent être en premier lieu présentées à la Chambre des députés et votées par elle (L. c. 24 février, art. 8 § 2), le droit du Sénat restant entier et parfaitement égal à celui de la Chambre des députés, comme sous les Chartes et Constitutions de 1814, 1815, 1830 et 1870 qui contenaient la même disposition. Afin d'éviter le grave inconvénient résultant en fait de cette circonstance que la loi du budget [nos 880 à 894] de chaque année ne lui arriverait qu'au terme de la session, et en quelque sorte in extremis, suivant l'expression employée au Sénat par l'auteur de la proposition, le Sénat, après une discussion approfondie, a introduit dans son règlement une disposition aux termes de laquelle il nomme celle de ses commissions chargée de l'examen du budget et des lois de finances, avant qu'il n'en soit saisi 2.

1.2 « Les bureaux, au commencement de chaque session ordinaire, nomment pour toute la durée de la même session une commission de dix-huit membres chargés de l'examen : 1o de tous les projets de loi portant demande de crédits supplémentaires ou extraordinaires afférents aux exercices courants clos ou périmés; 2o de tous projets de lois ou propositions qui peuvent avoir pour effet de modifier la situation du Trésor; 3o de la loi des recettes et des dépenses (Règlement du Sénat du 10 juin 1876, art. 20) ». - Journal officiel des 8 juin et 19 juillet 1876.

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Le droit d'initiative, de discussion et de vote comprend également pour les membres des deux chambres, sans distinction entre les lois de finances et les autres lois, le droit d'amendement.

Les lois constitutionnelles de 1875, s'inspirant exactement du principe de la séparation des pouvoirs, n'admettent pas que le président de la République puisse faire partie de l'une ou de l'autre des deux chambres et par suite voter les lois, ni qu'il puisse participer personnellement à leur discussion. Il n'est admis à y intervenir que par ses ministres ou des commissaires adjoints désignés par décrets, et pouvant être pris parmi les conseillers d'État n° 84, ou par voie de messages lus à la tribune par un ministre (L. c. 16 juillet 1875, art. 6).

Le président de la République n'a pas non plus la sanction de la loi; il peut seulement, «< dans le délai fixé pour la promulga«<tion [no 31], par un message motivé, demander aux deux << chambres une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée « (L. c. 16 juillet, art. 7 § 2) », les chambres pouvant réitérer leur vote primitif.

Il résulte de cette organisation du pouvoir législatif que les lois devraient actuellement en France prendre pour date le jour du vote de la dernière assemblée appelée à les voter définitivement; ce serait tantôt le vote du Sénat, tantôt celui de la Chambre des députés, suivant celle des deux assemblées qui aurait été primitivement saisie du projet de loi, et suivant que la seconde aurait ou non amendé le projet de loi voté par la première.

Nous savons en effet [nos 20 et 21] que les lois ne doivent pas être datées de leur promulgation. La promulgation, contrairement à la sanction, suppose une loi déjà existante et n'est que son premier acte d'exécution [voir no 51].

42. Le Sénat est une assemblée élective composée de 300 membres. A l'origine, 225 seulement étaient élus par les départements et les colonies, et 75 furent élus au scrutin de liste et à la majorité absolue des suffrages par l'Assemblée nationale de 1871, qui a voté les lois constitutionnelles. Ces derniers étaient inamovibles, et furent remplacés jusqu'en 1884 dans la même

COMPOSITION BT ORGANISATION DU SÉNAT

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forme, en cas de décès, démission ou autre cause, par le Sénat lui-même dans le délai de deux mois (L. c. 24 février, art. 1, 5, et 7 § 2; loi organique du 2 août 1875, art. 24 et 25). Ces dispositions abrogées font actuellement place à celles de la loi organique du 9 décembre 1884, aux termes de laquelle les 300 sénateurs sont tous élus pour neuf ans par les départements et les colonies. et renouvelables par tiers.

L'élection de tous les sénateurs est faite au scrutin de liste, à la majorité absolue et au chef-lieu du département ou de la colonie, par un collège électoral spécial. I procède du suffrage universel à des degrés divers, et se compose de deux éléments distincts: 1° d'électeurs sénatoriaux de droit (députés, conseillers généraux et conseillers d'arrondissement), qui, en tant qu'électeurs sénatoriaux, représentent l'élection à deux degrés, et 2o d'électeurs sénatoriaux élus par tous les conseils municipaux, parmi les électeurs de la commune, y compris les conseillers municipaux, sans distinction entre eux, qui représentent l'élection à trois degrés, et forment l'immense majorité du collège électoral.

La loi constitutionnelle du 24 février 1875 sur l'organisation du Sénat attribuait un seul électeur sénatorial à toutes les communes de France, sans tenir compte ni de l'importance des communes, ni du nombre des membres de chaque conseil municipal. Elle ne tenait aucun compte du chiffre de la population. Une commune de moins de 100 habitants exerçait dans l'élection des sénateurs une influence égale à celle d'une commune de plus de 100.000 habitants. L'un des principaux objectifs de la loi constitutionnelle du 14 août 1884 (art. 3) a été une proportion plus équitable du droit de suffrage attribué à chaque commune dans les élections sénatoriales.

Les lois municipales fixent, suivant le chiffre de la population. de chaque commune, le nombre des membres de son conseil municipal. C'est l'application du principe de la proportionnalité de la représentation à la population. Il en résulte que la composition. variée des conseils municipaux au point de vue du nombre. de leurs membres, offrait au législateur une base équitable, et consacrée par l'expérience, pour régler l'étendue des droits de

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