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THÉORIE DES ACTES DE L'ADMINISTRATION

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Nous avons vu précédemment que les actes du président de la République se nomment des décrets, et que, dans l'exercice des attributions gouvernementales que la Constitution lui confère, ces décrets ne peuvent être que des décrets gouvernementaux [nos 52 et 70]. De même dans l'exercice des attributions administratives que l'investiture générale du pouvoir exécutif et les lois non constitutionnelles lui confèrent, il rend des décrets qui sont des actes d'administration et non de gouvernement.

64. Pour mieux établir les diverses sortes de décrets du président de la République qui constituent des actes d'administration, il convient d'exposer ici dans son ensemble la théorie des actes de l'administration. Les distinctions et les règles que nous allons formuler s'appliquent à toute l'administration active, sans excepter aucun des agents de la hiérarchie administrative: président de la République, ministres, préfets, et maires. Tous, en effet, participent, bien qu'à des degrés divers, de la même fonction administrative, l'action. Il est rationnel que leurs actes se divisent de la même manière et soient soumis aux mêmes règles avec quelques réserves.

Ils forment tous, aux divers degrés de l'échelle hiérarchique, l'autorité administrative, chargée de l'accomplissement des actes nécessaires à l'exécution des lois d'intérêt général. Il est naturel que des principes communs s'appliquent à tous ces actes de l'administration active, quel que soit le rang de l'agent qui en est l'auteur. Ces distinctions et ces principes, applicables à tous les degrés de la hiérarchie, jetteront une lumière plus vive sur la division des décrets d'administration du président de la République. Ils dominent à la fois toute l'action administrative en France et la théorie du contentieux administratif ns 413 à 457].

L'administration active accomplit trois sortes d'actes: des actes généraux ou réglementaires, des actes administratifs proprement dits, et des actes de gestion. Nous allons les expliquer.

65. On qualifie souvent de pouvoir réglementaire ou d'autorité réglementaire le droit de faire des règlements. Nous pré

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LE DROIT DE RÉGLEMENTER EST UNE PARTIE

férons ne pas employer ces termes, parce qu'ils peuvent créer une double équivoque: 1° en faisant croire à l'existence d'un pouvoir distinct du pouvoir exécutif ou de l'autorité administrative; 2° en faisant supposer que le droit de faire des règlements, appartenant aux maires et aux préfets, serait d'une autre nature que le même droit exercé par le chef de l'État. Sur ces deux points, ces dénominations peuvent engendrer des idées fausses.

Le droit de faire des règlements pour l'exécution des lois forme une partie intégrante de l'autorité administrative. Le président de la République en est investi, en sa qualité d'administrateur suprême du pays, parce que l'administration est une des branches du pouvoir exécutif. C'est à ce titre qu'il fait des règlements pour tout l'État, règlements d'administration publique rendus en assemblée générale du Conseil d'État, avec mention de l'accomplissement de cette condition de légalité par ces mots le << Conseil d'État entendu (L. 24 mai 1872, art. 8; D. 2 août 1879, art. 7 § 1 et 30), ou décrets réglementaires proprement dits, seulement rendus sur la proposition d'un ou de plusieurs ministres, avec ou sans l'avis d'une ou plusieurs sections du conseil d'État. Dès qu'une loi est promulguée, alors même qu'elle ne contient pas une disposition spéciale demandant ou prescrivant un règlement, le chef de l'État puise dans son titre d'administrateur du pays, au premier degré de la hiérarchie, le droit d'assurer son exécution par des règlements. Ce droit, inhérent à la puissance exécutive, résulte de la partie finale du § 1 de l'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, portant que le Président de la République « surveille et assure l'exécution des lois ». Tel est le but et l'objet unique des règlements : assurer l'exécution des lois.

Lorsque le fameux article 14 de la Charte de 1814 s'exprimait ainsi dans sa partie finale : « le roi fait les règlements et or<< donnances nécessaires pour l'exécution des lois et la sûreté de <«l'État », il ne signifiait pas autre chose. On sait comment, lorsque fut sorti des derniers mots de cet article, le coup d'État manqué des Ordonnances de juillet 1830, les constitutions qui ont suivi ont supprimé ces derniers mots à double entente.

INTÉGRANTE DE L'ACTION ADMINISTRATIVE

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Dans chacune des trois unités administratives du pays, les dépositaires de l'action administrative sont en même temps, et en tant qu'administrateurs investis de la mission d'assurer l'exécution des lois, chargés de faire des règlements: le président de la République pour l'État tout entier, le préfet pour le département, le maire pour la commune.

Si les ministres ne font pas de règlements, c'est qu'il n'y a pas place à leur autorité réglementaire, le président de la Répu blique réglementant pour tout l'État; mais s'ils n'exercent pas par eux-mêmes cette autorité réglementaire, ils y participent par la proposition et le contre-seing des décrets portant règlement, et par le droit de contrôle qu'ils exercent sur les arrêtés préfectoraux réglementaires.

Ce droit de faire les règlements puise sa raison d'être dans la distinction même des deux seuls pouvoirs primordiaux qui existent dans l'État: le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif se contente, le plus souvent, en matière administrative surtout, de poser les principes, et laisse au pouvoir exécutif le soin de statuer sur la mise en œuvre. Portalis, dans son discours sur le titre préliminaire du Code civil, a dit: << l'office de la loi est de fixer par de grandes vues, les maximes générales du droit, d'établir des principes féconds en conséquences ». Aussi lorsque la loi a prononcé, il appartient au pouvoir exécutif et à l'autorité administrative, aux divers degrés de la hiérarchie, d'assurer l'exécution des lois par des prescriptions. de détail appropriées aux circonstances de temps et de lieux, dans chacune des trois unités administratives de la France.

C'est ce qui explique que les règlements, bien qu'émanés de l'administration, présentent quelques-uns des caractères de la loi. C'est pourquoi l'on a dit avec raison qu'ils forment en France un législation secondaire. Cela est vrai, non seulement des règlements faits par le président de la République, mais aussi de ceux des préfets et des maires, sous la réserve des liens de la hiérarchie et de la double limitation résultant, tant de leurs compétences respectives, que des limites territoriales de chacune des trois unités administratives.

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PARALLÈLE DES LOIS ET DES RÈGLEMENTS

C'est sous cette double réserve qu'il convient, pour déterminer exactement le caractère commun à tous les règlements, de les mettre en parallèle avec la loi, et d'indiquer successivement leurs différences et leurs ressemblances.

66. Il existe deux différences entre les règlements et la loi : 1° ils émanent d'un autre pouvoir que le pouvoir législatif qui a mission de faire la loi du pouvoir exécutif ou de ses délégués, chargés de faire exécuter la loi; 2° l'acte réglementaire n'émane pas seulement d'un autre pouvoir que la loi; il participe à la subordination de l'exécutif au législatif, en ce sens qu'il ne doit tendre qu'à procurer l'exécution de la loi. Là est la raison d'être, et en même temps la limite de son action. Il faut que les prescriptions des actes réglementaires, nationaux, préfectoraux et municipaux, empruntent une base aux prescriptions du législateur. Si non ils constituent une usurpation de la part des organes de la puissance exécutive, au détriment de la sphère d'action exclusivement réservée à la puissance législative, et donnent lieu à la sanction des articles 127 et 130 § 1er du Code pénal. Ces règles ne sont que des conséquences du principe de la séparation des pouvoirs. Ce principe de limitation du règlement par la loi, reçoit la double sauvegarde du recours au conseil d'État pour excès de pouvoir, et de l'obligation de l'autorité judiciaire de n'appliquer les règlements qu'après en avoir vérifié la légalité, sans préjudice des recours hiérarchiques.

Les ressemblances entre l'acte réglementaire (du président de la République, du préfet, ou du maire) et la loi, sont au nombre de huit. Ce sont : 1o la généralité de disposition; l'acte réglementaire comme la loi, est général; il s'applique à tous sans distinction; 2o la réglementation de l'avenir; 3° la défense des intérêts publics et non d'un intérêt privé; 4° la force obligatoire, dérivant de la Constitution même; 5° la sanction pénale (art. 471 n° 15 du Code pénal, et les textes divers édictant une peine plus grave et saisissant une juridiction plus élevée); 6° l'obligation, pour l'autorité judiciaire, de les appliquer; 7° le droit, pour la même autorité, d'apprécier leur légalité, non pour les annuler,

DECRETS REGLEMENTAIRES

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mais pour refuser de les appliquer; 8° le droit, pour la même autorité, de les interpréter comme les lois.

67. Le président de la République fait des règlements dans trois conditions différentes: -1° en vertu du droit inhérent à la puissance exécutive dont nous venons de parler [n° 65]; 2 en vertu d'un mandat spécial donné par des lois très nombreuses relativement à certains objets déterminés; et 3° en vertu de lois plus rares, qui délèguent au chef de l'État de véritables attributions législatives, en ce sens qu'elles lui donnent pour mission d'édicter par voie de règlement des mesures qui, d'après le principe de la séparation des pouvoirs, sont du domaine de la loi. Tels sont, à titre d'exemple, l'article 615 du Code de commerce et la loi du 18 juillet 1889 modifiant l'article 617 du même Code, relatifs à l'institution des tribunaux de commerce; dans le même ordre d'idées, la loi du 26 octobre 1888 relative à la création d'une section temporaire du contentieux au conseil d'État [n° 95], l'article 6 de la loi du 27 février 1880 relatif aux frais d'études dans les facultés de droit, l'article 147 de la loi du 28 avril 1846 et l'article 8 de la loi du 24 juillet 1867 relatifs à l'établissement des octrois, et (d'après l'ordonnance réglementaire du 28 juillet 1822 et deux arrêts de la cour de cassation du 12 août 1835) l'article 10 de la loi du 27 juillet 1822 relatif aux fraudes en matière de douanes.

Les décrets portant règlement d'administration publique, dont nous avons indiqué les conditions de légalité [n° 65] et qui présentent la plus haute somme de garantie, occupent une place considérable dans le droit administratif de la France. Un des rapports sur la statistique quinquennale des travaux du conseil d'État a pu, avec la plus entière exactitude, tenir le langage suivant : « C'est au moyen des règlements d'administration pu«blique que les services publics ont été organisés en France « depuis 1800; et cette législation secondaire, si je puis ainsi << parler, n'est pas la partie des travaux du conseil d'État qui ait <«< été la moins consultée et la moins imitée par les divers gou<< vernements de l'Europe. »

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