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quels le Droit civil a pour objet de pourvoir sont nombreux, moins encore que les rapports de l'État avec les individus dont le Droit administratif contient les règles. Cette différence d'étendue dérive naturellement de la complexité plus grande et du développement plus considérable, non seulement de l'organisme de l'État, mais aussi des besoins sociaux, par rapport aux relations purement civiles des individus entre eux. Il a été possible au législateur français, au commencement du XIXe siècle, d'élever au droit civil un magnifique monument dans les 2281 articles du Code civil. Le nombre des articles de nos lois administratives est plus considérable. Si elles étaient codifiées, elles pourraient être réduites, mais à un chiffre supérieur sans doute à celui des articles du Code civil. A l'étranger, comme dans notre pays, il n'existe pas de codification des lois administratives. Cette absence de Code administratif est générale. Cependant la codification appliquée aux lois civiles, commerciales, pénales, de procédure, a fait d'immenses progrès en Europe et en Amérique. Un grand nombre d'Etats ont publié des Codes d'une importance capitale, et pas un Code administratif. L'étendue du Droit administratif n'y est,comme en France, qu'une des causes de l'absence de codification de ce droit.

Il existe cependant un Etat, un seul de nous connu, le Portugal, qui possède une loi intitulée « Code administratif ». Nous parlerons dans le présent volume de ce Code administratif portugais. Ce titre est ambitieux. La loi qui porte ne correspond qu'à la partie du Droit administratif, dont nous traitons dans ce tome Ir. C'est une loi d'organisation administrative, conçue sur le modèle de la loi française du 28 pluviôse de l'an VIII, bien que plus déve

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loppée. Malgré sa très grande importance, la loi du 28 pluviôse de l'an VIII n'a jamais affecté la prétention d'être un Code administratif. Elle n'en a reçu ni le titre, ni le caractère. Il en est de même de nos lois successives d'administration départementale et communale qui lui ont succédé, et qu'a suivi, dans ses propres évolutions, cette loi portugaise.

L'absence de codification, dans leur ensemble, des lois administratives, est donc un fait aussi constant à l'étranger qu'en France.

I

La grande étendue du Droit administratif n'explique pas seule ce phénomène. Il a d'autres causes, et surtout des causes historiques, absolument déterminantes pour la France, et, par voie de répercussion, pour les législations étrangères qui ont suivi l'exemple de notre codification de 1803 à 1810, sans y trouver de Code administratif.

Avant d'indiquer les causes historiques qui faisaient encore obstacle alors à la rédaction d'un tel code, une observation est nécessaire. Comme les Assemblées de la Révolution, l'ancienne Monarchie avait voulu doter la France du bienfait de la codification. Ses tentatives sont bien connues. Il convient de constater qu'elles comprenaient ce

que nous appelons les lois administratives, comme les autres. Il en fut ainsi au xve siècle de l'ordonnance du 25 mai 1413, au xvIe siècle du Code Henri de 1587, au commencement du xvie, sous Henri IV, de l'œuvre de Louis Carondas préparant par son ordre le Code destiné à devenir la loi générale du royaume, et sous Louis XIV, de ce qui, dans sa pensée et celle du chancelier Séguier, devait être le Code Louis, et a donné du moins naissance au Recueil des ordonnances du Louvre.

La loi de division du travail législatif était méconnue dans ces divers essais. Indépendamment de leurs autres causes d'insuccès, ils étaient condamnés, par leur prétention même de réunir dans un Code unique toute la législation du pays.

Les causes historiques de l'absence de codification de nos lois administratives au lendemain de la Révolution sont diverses, et cependant peuvent se résumer d'un mot, sauf à le justifier. On peut dire que le Droit administratif n'existait pas, et même qu'il n'était pas possible, dans notre ancienne France.

Le nom lui-même faisait défaut. On chercherait vainement l'expression de « droit administratif » avant le xixe siècle. Le motif en est que, dans ce siècle seulement, le Droit administratif s'est formé. Sans doute, il y avait dans le passé une organisation pouvant correspondre dans une certaine mesure, avec des différences infinies et profondes, à l'administration de nos jours. Elle ne porte même pas le nom d'« administration ». Dans la langue du xvIe siècle, on dit « la police 1», ainsi qu'en témoignent les Lettres

De la police sons Louis XIV, par Pierre Clément, 1869.

et autres actes du ministère de Colbert 1, et la Correspondance de Louis XIV 2. Il en est de même au xvme siècle. Le Traité de la police de De la Marre 3, commissaire au Châtelet, qui reçut 300,000 livres du Régent pour les frais de cette publication, présente incontestablement le tableau le plus complet des lois administratives de notre ancienne France. On y voit aussi l'image saisissante du système réglementaire de l'ancien droit, s'imposant avec ses inutilités, ses abus, ses violences, dans toutes les manifestations de la vie et du travail humain, et dans tous les phénomènes économiques. L'idée et le mot de « police », substitués à l'idée et au mot d'« administration », et surtout de «< droit administratif », avaient certainement alors leur raison d'être.

Toute branche du droit suppose en effet un ensemble de principes appliqués et mis en œuvre. Des prescriptions en matière d'administration, même des institutions administratives, peuvent exister, et ont existé dans notre ancienne France, comme dans toute société, avant la formation possible du Droit administratif comme science. Nous trouverons, dans l'ancien Conseil du Roi, les origines premières des Conseils d'État de nos jours; mais là se trouvent aussi celles de la Cour de cassation. Nous verrons aussi, dans les anciennes Chambres des comptes, les origines de la Cour des comptes d'aujourd'hui ; mais avec combien de différences fondamentales? Avec quel mélange

Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés par Pierre Clément (Imprimerie nationale; 8 volumes, 1861-1882).

*Correspondance administrative du règne de Louis XIV, par G.B. Depping (Imprimerie nationale; 4 vol. in-4; Documents inédits sur l'Histoire de France, publiés par le Ministère de l'Instruction publique).

4 volumes in-folio et 9 plans de Paris; t. Ier, 1705; t. II, 1740; t. III, 1719, et tome IV, par Le Clerc du Brillet, 1734.

d'attributions diverses, tenant surtout à l'absence des principes, sans lesquels il n'y a ni science, ni branche du droit, ni codification possibles.

Cette grande idée d'unité nationale, si chère au patriotisme français, même en laissant de côté le point de vue ethnographique des races et des langues, et seulement envisagée au point de vue juridique, présente des éléments divers. En voici trois, l'unité politique du pays, son unité de législation, son unité d'administration.

La gloire de l'ancienne Monarchie a été de doter la France de son unité politique, et avec elle d'une incomparable source de puissance et de grandeur. Nos anciens rois et leurs grands ministres voulurent aussi l'unité de législation et l'unité d'administration.

Les essais de codification générale, mentionnés plus haut, étaient, au fond, des efforts méritoires vers l'unité législative. Le droit des ordonnances représentait cette tendance. Mais il n'empêche que la France restait soumise, pour son droit privé, suivant la diversité des provinces, et pour tout ce qui n'était pas réglé par les ordonnances royales, à deux autres sources du droit différentes, le droit écrit et le droit coutumier, ce troisième droit variant encore d'une province à l'autre.

Les divergences dans le droit public n'étaient pas moindres. Quand Voltaire se plaignait de vivre dans un pays « où l'on changeait de lois en même temps que de che«vaux de poste », il pouvait l'entendre des lois de droit public, comme des lois de droit privé. Dans un régime social fondé sur la division de la nation en différents ordres nantis de droits et soumis à des devoirs différents, la coexistence des privilèges de territoires et des privilèges de per

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