Page images
PDF
EPUB

tribu était tenue d'avoir des maîtres pour enseigner les éléments de la musique et la gymnastique aux frais de la tribu. La tribu avait la surveillance des leçons données dans sa circonscription. (DEMOSTH. c. Boot.) Ainsi tout citoyen recevait l'enseignement élémentaire obligatoirement. Les habitants de Mytilène ayant soumis à leur puissance quelques-uns de leurs alliés, qui s'étaient séparés d'eux, leur défendirent de donner la moindre éducation à leurs enfants. Ils n'avaient pas de meilleur moyen de les maintenir dans l'asservissement que de les condamner à l'ignorance. La gymnastique était indispensable dans un pays où tout citoyen devait le service militaire, qui commençait par la garde de la frontière dès l'âge de dixbuit ans, dans un pays qui ne pouvait lever que 8 à 10,000 hommes, et qui, avec ces 10,000 hommes, maintenait sa prépondérance dans la Grèce et obtenait le premier rang dans les grandes guerres où cette même Grèce avait 300,000 hommes à combattre. L'enseignement dans la tribu avait du rapport avec celui qui s'organise dans une mesure au-dessous de notre civilisation, parmi nos écoles communales. L'enseignement ailleurs que dans la tribu n'était pas gratuit; tel était celui des gymnases publics, autres que le Cynosarge. Cet enseignement, que l'on pourrait appeler secondaire, embrassait la musique. Celui que l'on pourrait appeler supérieur, était donné par les professeurs d'éloquence, les sophistes et les philosophes. Il fut payé d'abord très-chèrement par les élèves, mais plus tard rétribué par l'Etat de même que chez nous. Protagoras d'Abdére, Gorgias et Zénon d'Elée se faisaient payer instruction complète 100 mines 9000 fr.). On marchandait la sagesse cotée st haut, et les consommateurs obtenaient souvent des vendeurs de fortes remises. Il arrivait qu'on était élève et maitre en même temps. Hippias suivait encore les leçons de Prolagoras, qu'il avait déjà retiré de ses leçons en très-peu de temps 150 mines (12,500 fr.) C'était une petite fortune à Athènes. í gagna 20 mines (1800 fr.) dans une petite ville seulement en passant, Bans même ouvrir son cours. (DÉMOSTHÈNES c. OE phobe, DIODORE, SUIDAS.)

Le grand nombre des maîtres avait fait baisser les prix du temps de Socrate. Evenus de Paros ne demandait plus que 10 mines (900 fr.) pour l'enseignement complet. Isocrate enseignait toutes les parties de l'éloquence pour la même somme. Ce taux demeura le prix courant. (LYCURGUE, Vie des dix orateurs.) Socrate enseignait gratuitement, en supposant qu'on puisse qualifier d'enseignement son esprit de prosélytisme. On connaissait aussi à Athènes l'enseignement individuel qui était toujours rétribué. Prodicus prenait par leçon de 1 à 3 dragmes (de 90 cent. à 2fr. 70 cent.), sommes fort analogues au prix de nos leçons, mais fort supérieur à raison de la rareté de l'argent à Athènes. Certaines leçons étaient payées jusqu'à

50 dragmes (45 fr.). L'enseignement de la médecine, des arts, des métiers, par conséquent l'apprentissage, étaient également rétribués (PLATON), sans que nous puissions dire à quel prix revenons à l'éducation générale.

XXIII. On a déjà vu que l'éducation commençait à 7 ans et durait jusqu'à 20. Solon pensait que l'enseignement en commun était seul propre à former des citoyens. Aristote est d'avis qu'on ne prescrive aux enfants pendant les cinq premières années de la vie aucun travail qui exige de l'application. Leurs jeux peuvent seuls alors, ditil, les intéresser et les animer. (ARISTOTE, De la répub., liv. vii, ch. 17.) Apollodore prolonge ce temps jusqu'à la sixième année de son fils. (PLUTARQUE, Des lois, liv. vi.) Platon au contraire veut que tout concoure à faire aimer à l'enfant, dès l'âge le plus tendre, ce qu'il devra aimer et hair toute sa vie. (Lois, liv. 11.)

Eschine, dans sa harangue contre Timarque, cite plusieurs lois concernant les enfants. Les maîtres d'école ne devaient pas ouvrir leurs classes avant le soleil levé, et devaient fermer aussitôt après son coucher. Ceux qui avaient passé l'âge de l'enfance ne pouvaient pas entrer dans le lieu de leurs exercices, excepté le fils de l'instituteur ou son frère ou son gendre. La loi ajoute Si d'autres y entrent, qu'ils soient punis de mort. Les chefs des gymnases ne pouvaient permettre aux jeunes gens sous aucun prétexte d'entrer dans les salles consacrées à Mercure. En cas d'infraction ils encouraient les peines portées contre ceux qui se rendaient coupables du crime de corruption d'enfants : par la même raison, les choréges devaient avoir passé l'âge de 40 ans.

Une autre loi portait que si un père, un frère, un oncle, un tuteur, ou quelqu'un ayant autorité sur un enfant, le vendaient pour le prostituer, on ne pourrait accuser l'enfant, mais celui qui l'avait vendu et celui qui l'avait acheté. L'enfant que son père avait vendu pour le prostituer était exonéré de l'obligation de loger et de nourrir son père; le seul devoir qu'il eût à remplir envers lui était de l'enterrer et de lui rendre les honneurs funèbres. Quiconque déshonorait un enfant libre était accusé devant les thesmothètes par le tuteur de l'enfant la peine capitale pouvait être prononcée. Le condamné était livré aux décemvirs qui le faisaient exécuter le jour même. Si la con-damnation se bornait à une amende, elle était exigible dans les onze jours. Faute de paiement le coupable était retenu en prison jusqu'à sa libération. L'attentat à la pudeur commis contre les jeunes esclaves, entraînait les mêmes peines. Les jeunes gens coupables de prostitution étaient déclarés par la loi indignes de remplir les fonctions d'ar chonte et celles du sacerdoce, de plaider pour le peuple, d'obtenir aucune' magistraz ture dans la ville ou hors de la ville, par lo sort ou par l'élection. Ils étaient exclus de la fonction de héraut, des députations, du

pas assez à la morale évangélique, et il en est résulté ceci que le christianisme n'est pas entré, comme il le devait, dans les livres, dans les lois et dans les mœurs, qu'il n'a pas marqué, comme il l'aurait dû, de sa divine empreinte tant de peuples, tant de gé nérations qui ont porté le nom chrétien. (Ecrit en 1846.)

droit de voter dans l'assemblée du sénat ou du peuple. Il perdait celui d'entrer dans les temples publics, de paraître dans les solennités et d'y porter des couronnes, même d'entrer dans l'enceinte (fermée par une corde) de la place publique. Quiconque avait enfreint ces interdictions était punissable de mort. Malgré cette vigueur de réaction contre l'immoralité des jeunes hommes, l'habitude, les mœurs générales de la nation l'emportaient, tant ce mal, grec par excellence, y était ancré profondément. (87). Les punitions infligées aux jeunes enfans étaient le fouet avec des poireaux et de l'ail nouveau. On les accoutumait, à Athènes comme à Sparte, à supporter le froid et le chaud et toutes les intempéries des saisons, dans les gymnases dont il va être parlé.

Les filles apprenaient à lire, à écrire, à coudre, à filer, à préparer la laine dont on fait les vêtements, à veiller au soin du ménage. Celles qui appartenaient à la classe élevée, parvenues à l'âge de 7 ans, paraissaient en public dans les cérémonies religieuses. Elles portaient les offrandes mystérieuses dans les fêtes de Cérès, et broyaient de l'orge sacrée en l'honneur de Minerve. A dix ans, revêtues d'une robe flottante, elles remplissaient le rôle de l'ourse dans les Baronies (88), et à 16 ans la fonction de canéphore en portant dans la cérémonie un collier de figues sèches. On cultivait avec le plus grand soin à Athènes la pudeur d'une jeune fille, et sa chute était dans la famille le sujet du plus violent désespoir. Eschine raconte qu'un citoyen ayant découvert que la sienne avait perdu son honneur, l'enferma dans une maison déserte avec un cheval, qu'il laissa affamer, et qui finit par la dé vorer. La place où cette maison avait existé s'appelait la place du Cheval et de la Fille, comme un éternel monument de la douleur et de la vengeance du père outragé. On a vu que Platon, à la différence d'Aristote, était d'avis qu'on ne pouvait inspirer trop vite aux enfants les sentiments et les idées dont on voulait les pénétrer profondément pendant le cours de leur vie. On a beaucoup reproché, et on reproche encore au christianisme de s'emparer de l'esprit des enfants, de les circonvenir par ses doctrines, de leur inoculer ses maximes, de les élever à ses pratiques dès l'âge le plus tendre: eh bien! s'il est un reproche imputable au clergé dans l'enseignement de la jeunesse, à laquelle il a pris part depuis dix-huit siècles, ce n'est pas celui d'intolérance et d'illibéralisme, ce serait plutôt d'avoir donné beaucoup trop de place à l'antiquité paienne, et

(87) Plutarque constate que les pères de famille tenaient à préserver leurs enfants du crime contre nature. Je n'ose, dit-il, conseiller ce qu'ils désapprouvent mais quand je vois d'un autre côté Socrate, Platon, Xénophon, Eschine et tous les chœurs dos sages qui ont approuvé ces mœurs et n'en ont pas moins conduit les jeunes gens à la sagesse, je cède au désir d'imiter tant de grands hommes. C'est la preuve, remarque le Père Ventura, que le peuple avait mieux que les philosophes conservé les

Avant d'entrer dans les gymnases où l'enfance et la jeunesse antiques passaient une si grande partie de leur vie, nous devons rappeler à nos contemporains comment Socrate, comment Platon, qui ne seront pas suspects aux adversaires de l'enseignemer chrétien, avaient compris l'éducation de l'enfance, quel prix ils attachaient à la culture et à l'ensemencement de la terre encore vierge d'un cœur d'homme.

XXIV. Nous laissons la parole à Socrate et à son interlocuteur. SOCRATE: Ne savezvous pas que la première chose que l'on fai à l'égard des enfants, c'est de leur corr des fables; or, quoiqu'il s'y trouve quelqu fois du vrai, ce n'est pour l'ordinaire qu' tissu de mensonges. ADIMANTE Cela es vrai. — SOCRATE. Vous n'ignorez pas qu' tout dépend du commencement, surtout l'égard des enfants, parce qu'à cet âge in. âme encore tendre reçoit aisément toutes: impressions qu'on y fait pénétrer. AbiMANTE: Rien de plus vrai. -SOCRATE : Soffrirons-nous que les premiers venus conter indifféremment toutes sortes de fables aux enfants, et que leur âme en reçoive les in pressions la plupart contraires aux idées qu nous voulons qu'ils aient dans un âge p avancé. -- ADIMANTE : Il ne faut pas sou cela. - SOCRATE: Commençons d'abord veiller sur les faiseurs de fables. Nos h choisis, nous engagerons les nourrices les mères à en amuser les enfants, et à mer par là leurs âmes avec plus de s qu'elles n'en mettent à former leurs cor Quant aux fables qu'on leur conte aujour d'hui, il faut les rejeter pour la plupart. ADIMANTE De quelles fables entendez-vous parler? SOCRATE : N'est-ce pas une fai des plus dangereuses et de la plus grane conséquence que celle d'Hésiode, rappo tant d'Uranus des actions qui excitent vengeance de Saturne, que le récit des mauvais traitements de Saturne envers Jupiter. son fils, et du fils envers son père. Qua tout cela serait vrai, sont-ce des choses apprendre aux enfants? - ADIMANTE : lest vrai, de pareils discours sont dangereux. SOCRATE: On ne doit jamais les entendre da notre ville. (République de Platon.) Je veux pas qu'on dise en présence d'un enla

instincts de la pudeur, les idées et les sentimen de la religion naturelle, tout comme il est prot que le peuple avait mieux que les philosophes C servé les notions des plus importantes vérités, d vérités primitives propagées et perpétuées part tradition. (La raison philosophique et la raison tholique, 1. II, 1 partie, p. 121 et 122; 1855.)

(88) En mémoire d'une ourse furieuse qui avai ravagé l'Attique. La cérémonie avait lieu dans bourg de l'Attique où Diane était adoréc.

qu'en commettant les plus grands crimes, qu'en se vengeant de son père, il ferait une chose ordinaire et dont les premiers et les plus grands des dieux leur ont donné l'exemple. Si nous voulons que les enfants de Dotre république aient horreur des discordes, Bous ne leur parlerons pas des combats des dieux, ni des piéges qu'ils se dressaient les uns aux autres; encore moins leur raconterons-nous, avec les ornements de la poésie, les guerres des géants et tant de querelles qu'ont eues les dieux et les héros avec leurs proches et leurs amis. Qu'on n'entende jamais dire chez nous que Junon a été mise aux fers par son fils, et que Vulcain a été précipité du ciel par son père, pour avoir voulu secourir sa mère pendant que Jupiter la frappait; car tout ce qui s'imprime dans lesprit des enfants à l'âge tendre y laisse des traces que le temps ne peut effacer: c'est pour cela qu'il est de la dernière conséquence que les premiers discours qu'ils entendent Soient de nature à les porter à la vertu. Adiante demande à Socrate ce qu'il faudrait mettre dans les mains des enfants à la place des fables d'Homère. Nous ne sommes des poetes ni vous ni moi, lui répond Socrate; Dous chercherons sur quel modèle les poëtes devront copier leurs inventions, et puis Tous les laisserons faire. Le christianisme a'eprouve pas le même embarras que Socrate, el ses livres de morale sont tout trouvés. AMMANTE Que devrons-nous apprendre s les fables que l'on composera touchant Divinité?-SOCRATE: Il faut que les poëtes es représentent partout Dieu tel qu'il est, essentiellement bon. On ne doit jamais en rier autrement. Ce qui est bon n'est-il pas enfaisant? Dieu est donc cause 'de ce qui fait de bien. Il est cause du bien, il n'est es cause du mal; on doit n'attribuer le ven qu'à lui (Voy. CHARITE (esprit de la). Socrate devine la grâce, bien que, incoméement éclairé par son génie, il confonde evices avec les maux. Il blâme à tort Hoere d'avoir dit que dans le palais de Juier il y a deux tonneaux pleins, l'un des sinées heureuses, l'autre de jours inforcés. Mais Socrate lui-même va réfuter Socrate. Ce qu'il ne faut laisser dire à auCan poëte, continue-t-il, c'est que ceux que eu punit sont malheureux; qu'ils disent, a is bonne heure, que les méchants sont à andre, en ce qu'ils ont besoin de châtients; il n'est permis ni aux jeunes ni aux Vieux de dire, en vers ni en prose, et nul e doit eatendre dire, que Dieu a fait du ai aux hommes; un pareil propos est inneus à Dieu, nuisible à l'Etat, et se dé rit de lui-même. Ce qui revient à dire

ie Dien ne peut pas avoir tort; vérité moral à laquelle correspond la fiction anglaise e impeccabilité du monarque King cannot To be wrong d'après Blasktone. SOCRATE: Ne faut-il pas non plus élever nos jeunes derriers dans la tempérance?-ADIMANTE: Assurément.SOCRATE : Les principaux Jets de la tempérance ne sont-ils pas de nous rendre soumis envers ceux qui gou

vernent, et maîtres de nous-mêmes en lout ce qui concerne le boire et le manger et les plaisirs des sens. Ainsi Homère a tort de faire dire au sage Ulysse que rien ne lui parait plus délectable que de voir des tables couvertes de mets délicieux, et un échanson verser à la ronde le vin dans les coupes, et ailleurs, que le genre de mort le plus triste est de mourir par la faim.-Il est impossible de porter plus loin le sentiment de la prédominance de l'âme sur le corps, du mal moral sur le mal matériel que le fait Socrate. Il blâme Homère de représenter Jupiter tenu éveillé par l'Amour, tandis que les autres dieux et les hommes goûtent les douceurs du sommeil, oubliant par l'excès de sa passion tous les desseins qu'il a formés, et tellement transporté, à la vue de Junon, qu'il n'a jamais senti tant d'amour pour elle, même lorsqu'ils se virent pour la première fois, d l'insu de leurs parents. Il reproche à Homère le récit de l'aventure de Mars et de Vénus surpris dans les filets de Vulcain. Croyezvous, dit Socrate, que tout cela soit bien propre à porter nos jeunes gens à la tempé

rance? ADIMANTE: Il s'en faut de beaucoup. SOCRATE: Qu'on ne dise pas non plus devant les jeunes gens que les présents gagnent les rois et les dieux. Nous refuserons de croire ou d'avouer qu'Achille ait été avare au point de se laisser gagner par la magnificence d'Agamemnon, et de ne rendre le cadavre d'Hector à son père qu'après avoir fait payer sa rançon.

Socrate s'élève contre l'orgueil d'Agamemnon qui l'emporte à se vouloir battre coutre le fleuve Scainandre. Il blâme Homère d'avoir peint Achille assez cruel pour traîner le corps de son ennemi autour du bûcher de Patrocle et pour immoler sur ce bûcher des Troyens captifs. Nous soutiendrons, ditil, que cela n'est point vrai; nous ne souffrirons pas qu'on fasse croire à nos jeunes hommes qu'un héros, un fils de Thétis, un arrière-petit-fils de Jupiter, que l'élève du centaure Chiron ait eu l'âme assez mal réglée pour se laisser maîtriser par ces deux passions une basse avarice et un orgueil qui insultait aux hommes et aux dieux. Empêchons les poëtes, dit-il, d'avancer que les héros ont commis de telles actions, ou, s'ils les ont commises, qu'ils fussent enfants des dieux; empêchons- les de persuader · aux jeunes gens que les dieux ont produit quelque chose de mauvais et que les héros ne valent pas mieux que les autres hommes. En effet quel homme ne justifiera pas à ses yeux sa méchanceté, lorsqu'il sera persuadé qu'il ne fait que ce que faisaient les enfants des dieux et du grand Jupiter, dont l'autel s'élève dans les airs sur le sommet du mont Ida, et dont le sang coule encore dans leurs veines? Si donc un de ces hommes habiles dans l'art de tout peindre venait chez nous pour y faire admirer sa personne et ses ouvrages, nous lui rendrions hommage comme à un homme divin, ravissant et merveilleux; mais nous lui dirions,que notre ville n'est pas faite pour posséder un homme d'un si

rare mérite et qu'il ne nous est pas permis d'en avoir de semblables. Nous le conduirions poliment dans une ville voisine, après lui avoir versé des parfums sur la tête et l'avoir orné de bandelettes, et nous nous contenterions du poëte et du conteur, moins agréable mais plus austère et plus utile, qui se mettrait à l'unisson des discours propres à former un honnête homme. L'enseignement chrétien n'en demande pas tant: il donne à Homère et à ses successeurs droit de bourgeoisie dans ses villes et des chaires dans ses écoles, seulement il stipule la priorité pour la morale de l'Evangile. Platon lui-même ne bannit pas tous les poëtes de sa République comme on l'a tant répété, mais seulement ceux qu'il estime pernicieux.

Socrate continue: Dans une république tout dépend du commencement; si elle a bien commencé, la pratique du, bien y va toujours en s'élargissant comme le cercle. Une bonne éducation forme d'heureux naturels; les enfants marchant ensuite sur la trace de leurs pères, deviennent meilleurs qu'eux, et mettent au jour des enfants qui les surpassent eux-mêmes en mérite. Ceux qui sont à la tête de notre république veilJeront à ce que l'éducation se maintienne dans toute sa pureté; ils ne souffriront pas qu'on innove; ils se défieront des nouvelles méthodes. Je suis de l'avis de Damon: On ne peut toucher aux règles de la musique sans ébranler les lois fondamentales du gouvernement. Le christianisme a plus de confiance en sa doctrine que Socrate n'en avait dans la sienne, par la raison qu'il ne reconnait à aucun système, à aucune transformation sociale, la force de neutraliser son action sur l'homme, parce qu'il croit à son indestructibilité, à sa toute-puissance. Socrate, ajoute : Nous avons donc soin d'assujettir de bonne heure nos enfants à la plus exacte, à la plus rigide discipline, parce que pour peu qu'elle vienne à se relacher et que nos enfants s'en écartent, il est impossible que dans l'âge mûr ils soient vertueux et soumis aux lois. Si l'éducation des enfants, qui semble d'abord n'être qu'un jeu, commence bien, si l'amour de l'ordre entre dans leur cœur (Platon ajoute avec la musique), il arrivera par un effet tout contraire que l'ordre public croîtra, et que si la discipline était tombée en quelque point, les générations élevées dans la discipline les redresseraient elles-mêmes. Elles rétabliraient ces observances qui observances qui passent pour des minuties et que leurs devancières avaient négligées. ADIMANTE : Quelles observances?-SOCRATE : Par exemple celles de se taire devant les vieillards, de se lever lorsqu'ils paraissent, de leur céder partout la place d'honneur; celles qui concernent le respect dû aux parents; la manière de s'habiller, de se couper les cheveux, de se chausser, tout ce qui regarde le soin du corps et mille choses semblables. Toutes ces pratiques sont une suite naturelle de l'éducation. Eu effet, le semblable

n'allire-t-il pas toujours à lui son semblable? Notre conduite finit par être très-bonne ou très-mauvaise selon la nature de nos mœurs, Socrate ajoute encore plus loin que les hommes bien préparés par l'éduca tion sont prêts à recevoir toutes les bonnes semences sociales, et il fait cette ingénieuse comparaison Vous savez de quelle ma nière s'y prennent les foulons lorsqu'ils veulent teindre la laine en pourpre. Parmi les laines de toutes sortes de couleurs ils choi sissent la blanche et ils la préparent ensuite afin qu'elle prenne mieux la teinture qu'ils lui destinent. La couleur de cette façon ne s'efface pas, et l'étoffe, soit qu'on la lave soit qu'on la savonne, ne perd pas son éclat. Il en est de la plupart des qualités de l'âme comme de celles du corps; quand on ne les a pas reçues de la nature, on les a quiert par l'éducation et la culture (Rép bliq., liv. Iv et vII). Ainsi, suivant Socrate, c'est dans les âmes sorties pures d'une édo cation austère que s'impriment le mieu les vertus citoyennes ; et il en sera de même de toutes les autres vertus.

Socrate reprend : N'avez-vous pas remarqué jusqu'où s'étendent les facultés ces hommes à qui on donne le nom d'h biles scélérats? Ils sont d'autant plasma faisants qu'ils sont plus intelligents et plus perspicaces. Si dès leur enfance on ar coupé ces penchants criminels qui, comme autant de poids, entraînent leur amer les plaisirs sensuels et grossiers, et la por tent à regarder toujours en bas; si apr l'avoir débarassée de ces entraves on ed tourné le regard de cette âme vers des jets plus dignes d'elle, elle les aurait d cernés et contemplés avec la même pénétr tion. I donne encore cet autre precep pour l'éducation des enfants. Afin de form leur intelligence, dit-il, il faut banuir ce qui sent la gêne et la contrainte. Quele exercices du corps soient forcés ou vol taires, le corps n'en retire pas moins d'an tages; mais les leçons que l'on veut fair entrer de force dans l'âme, n'y demeure pas. Ne gênez donc pas l'esprit des enfa dans les choses de l'intelligence, fail en sorte qu'ils s'instruisent en jouas et c'est ainsi d'ailleurs que vous serez même de connaître les facultés de chacu Il n'est pas d'avis de mêler la gymnastiqn à l'étude des sciences, rien n'étant, ditplus ennemi des sciences que la fatigue le sommeil qu'amènent les exercices corps. L'homme fait, dans son opinion commence à vingt ans. C'est l'âge suque il propose d'accorder des distinctions à ceu qui en ont mérité. A cet âge aussi, on da fixer les yeux des élèves sur l'ensemble études auxquelles ils se sont livrés en déla dans leur enfance, afin de les accoutu à embrasser les rapports des sciences expliquer l'univers. Il prescrit de faire second choix à 30 ans, parmi ceux qui montré le plus de constance dans les étude spéculatives, dans les travaux de la guer et dans les autres épreuves auxquelles

république soumet les citoyens. Nous trouvons dans le monde antique, depuis Pythagore jusqu'à Socrate, comme dans les institutions de l'ère chrétienne, la même lente succession des épreuves. Les citoyens de cette seconde classe devaient monter dans l'échelle des honneurs de degrés en degrés. Socrate demande que l'on donne cinq ans à la dialectique, qui dans sa pensée réunit toutes les branches de la philosophie. Il ne pense pas que l'homme soit propre à cette étude avant trente ans. Quand elle est achevée l'élève a atteint 35 ans, et cependant aux yeux de Socrate ce n'est encore qu'un apprenti philosophe; son novicial durera encore quinze autres années. Arrivés à 50 ans, ceux qui seront sortis purs de toutes les épreuves, qui se seront distingués par leur conduite, comme dans la science, ceux-là seront appelés à diriger 'eil de leur âme vers l'être qui illumine e monde, à regarder face à face l'essence du bien, c'est-à-dire Dieu, à chercher dans rette contemplation le modèle de leurs meurs, la règle du gouvernement et du citoyen. Le magistrat cesserait bientôt d'être philosophe, s'il n'était que magistrat. Pour éviter cet écueil, livrés plus spécialement à la philosophie les fonctionnaires de Socrate ne porteront que secondairement le fardeau des affaires publiques et du pouvoir. Ils n'y verront jamais ur moyen d'atteindre un but ambitieux, ils n'auront Cautre mobile que le bien général, et après ir formé d'autres magistrats philosophes passeront de cette vie dans les lles forCafes. L'Etat leur érigera de magnifiques ombeaux, et si l'oracle d'Apollon le trouve 100 on leur fera des sacritices comme à des génies tutélaires ou du moins comme a des âmes bienheureuses et divines. On Tu quelle haute idée se faisait de l'éducation des enfants l'école de Platon.

Dans l'Utopie de Socrate les enfants étaient retirés des mains de leurs parents lage de dix ans, relégués à la campagne el confiés à ceux qui étaient chargés de leur éducation. Leurs instituteurs les élèront conformément aux lois de la répuSique et les préserveront des mauvaises Labitudes qu'ils eussent prises dans leurs milles. Ainsi s'opérait la formation de la république sur table rase. La conséquence en tirer c'est que dans toute réforme réelle ou spéculative il faut placer à la base l'éducation des enfants et commencer dès hur âge le plus tendre à en poser la preAlère pierre.

XXV. Il nous a été impossible de découinrà Athènes aucune espèce d'enseigne funt de cette morale à laquelle Socrate atache un si grand prix. Elle n'avait point de professeurs dans les écoles élémentaires. Lar n'oublions pas que tout ce qu'on vient de dire n'est qu'une pure théorie. Il n'y avait de morale enseignée que par les phisophes et elle était uniquement à l'usage des riches et apprise seulement dans le second age de la vie. Le christianisme seul a

donné au peuple une doctrine morale qui lui fût applicable. Comment les enfants auraient-ils su ce que nul n'avait mission d'enseigner? Quand Socrate parle d'une règle de vie, il n'en peut citer d'autre que la musique. En quoi consistait cette musique à laquelle il accorde tant d'étendue et de puissance? C'est ce qu'on ignore. L'enseignement religieux où tout simplement le catéchisme est remplacé dans l'ère païenne par le gymnase. Rien n'exprime mieux la différence des deux civilisations païenne et chrétienne, ayant la première le corps, la seconde l'âme pour fondement.

XXVI. Le mot de gymnase exprime la nudité du combat: le nom d'athlète, c'est-àdire de celui à qui le gymnase donnait une profession, dérivé d'as, travail et lutte. Le gymnase était le travail, le combat, en temps de paix. Les luttes du corps tenaient lieu à Athènes et à Rome de celles de l'âme. Le peuple de la Grèce, en masse, vivait de la vie matérielle, de la vie physique, de même que la classe élevée, en masse, vivait de la vie épicurienne, de la vie des sens, comme le prouvent les mœurs dont Lysitrata et d'autres comédies d'Aristophane sont l'expression. Le spiritualisme de l'école socratique avait été livré en pâture aux risées de la société athénienne, dont elle froissait toutes les idées, par ses poëtes comiques. L'athlète cependant, par une contradiction bizarre de l'esprit humain, était le modèle de cette sobriété, dont les ascètes des premiers siècles chrétiens ont donné l'exemple à un tout autre point de vue. Ceux qui se livraient à cette profession fréquentaient dès leur bas âges les gymnases ou palestres, on ne les nourrissait à leur début que de figues sèches, de noix, de fromage mou et d'un pain grossier appelé maza. Le vin leur était interdit et la continence commandée. Le corps et l'âme sont tellement unis qu'ils tirent leur force du même régime.

Qui studet optatam cursu contingere metam
Multa tulit, fecitque puer, sudavit et alsit;
Abstinuit venere el vino.

Saint Paul se servit de la comparaison des athlètes pour exhorter les Corinthiens à une vie sobre et pénitente. Les athlètes, dit-il, gardent une exacte tempérance, el cependant ce n'est que pour gagner une couronne corrup tible, au lieu que nous en attendons une incorruptible. (I Cor. IX, 25.) Tertullien anime le courage des martyrs par la même comparaison. Les athlètes avant leurs exercices étaient frottés d'huile pour acquérit plus de souplesse. Ils s'étaient couverts d'abord d'une ceinture, ou écharpe, pour diminuer leur nudité, mais la chute de cette ceinture ayant fait perdre la victoire à un combattant, on la retrancha comme une superfluité incommode. La nudité dans les exercices du gymnase est un trait caractéristique de l'ancien monde, on y recourait dans la lutte, le pugilat, le paucrace et la course à pied. Les athlètes étaient soumis dans les gymnases à un noviciat de dix mois. Athènes

« PreviousContinue »