Page images
PDF
EPUB

de mettre de côté les objets qui pourraient servir à les désigner; ils ne contenaient ni bourse, ni montre, ni bijou; toutes les poches avaient été retournées par les soldats (1). »

Maudits soient ceux qui, au nom de la discipline militaire, firent couvrir de tant de souillures l'uniforme de l'armée française! Ils la mèneront à des catastrophes dont la honte égalera l'immensité.

(1) Taxile Delord, Hist. du second Empire, t. I, p. 387, Paris, 1869.

+

CHAPITRE VII

DU 5 AU 31 DECEMBRE 1851

Le comité de résistance et les représentants républicains. — Paris le 5 décembre. Exposition de cadavres; arrestations; exécu

tions.

[ocr errors]

Décret et proclamation. - Les dévotieux. Assimilation de l'honneur à l'infamie. Scènes de carnage dans les

départements.

[ocr errors]

Arrêtés des commandants militaires. Ca

lomniateurs démentis. - État de siége.

prisons de Paris. - Le fort de Bicêtre. naces et violences. La veille du vote. nœuvres intimidatrices.

Confiscations.
Le plébiscite.
Le scrutin.

[ocr errors]

Un sophisme d'intérêt.

- Les

- Me

Ma

· Dépouille

ment et recensement suspects. Le décret du 29 décembre.L'amitié, la pitié, l'hospitalité sont des crimes. Sentences horribles. La commission consultative à l'Élysée.

[blocks in formation]

Comme tous les membres du Comité de résistance qui, jusqu'au dernier moment, remplirent avec courage leur mission périlleuse, ceux de la montagne et de la gauche républicaine de l'Assemblée dissoute n'avaient rien épargné pour l'accomplissement de leur devoir; l'exemple suivait le conseil de Flotte, Schoelcher, Victor Hugo, Charamaule, Carlos Forel, Esquiros, Dulac, d'Etchégoyen, Brillier, MadierMontjau et beaucoup d'autres s'étaient fait remarquer sur divers points où l'on combattait. Dans la soirée du 4, plusieurs d'entre eux furent rencontrés, les mains encore noires de terre et de poudre, l'écharpe en sautoir et ne désespérant pas de voir, le lendemain, « tout Paris sous les armes, »

pour venger les victimes et châtier les auteurs de « l'horrible boucherie. »

Hélas! il trouvèrent, le lendemain, tout Paris dans la stu peur. Afin que l'épouvante, en se prolongeant, glaçât les cœurs, les meurtriers avaient voulu qu'on laissât « des cadavres exposés pendant vingt-quatre heures aux regards d'un public consterné (1). » On en avait rangé trente « au milieu d'une mare de sang, sur les marches du grand dépôt des tapis d'Aubusson; » soixante-deux, parmi lesquels ceux de trois femmes et de trois enfants, gisaient, côte à côte, dans le passage de la Cité Bergère qui ressemblait à un hypogée. Dans la rue Grange-Batelière, les trois cadavres nus dont j'ai parlé étaient encore étendus. De la rue Mandar à la rue Thévenot, il y en avait d'amoncelés sur toutes les portes, et, autour d'eux, des chandelles brûlaient : entre les rues du Cadran et Montorgueil, l'un de ces cadavres, disloqué, piétiné, éventré faisait reculer d'horreur le passants mornes et silencieux. A l'angle de la rue Saint Sauveur on s'arrêtait devant celui d'un jeune homme i barbe et à moustaches noires, revêtu seulement d'une chemise de batiste; une balle l'avait frappé au cœur.

Les maisons et les magasins étaient fermés sur la ligne des boulevards « qui, de mémoire d'homme, n'eurent jamais un aspect si lugubre (2), » et qu'occupaient militairement les brigades Marulaz et Reybell. Il fallait que la crainte se mêlât à l'épouvante, aussi, voyait-on, « au débouché de toutes les rues et jusqu'à la Bastille, un peloton de cuirassiers ayant, tous, des vedettes ambulantes, le sabre pendant à la dragonne et le pistolet au poing (3). » A chaque croi sée des maisons formant les quatre angles des rues di Temple et Rambuteau se tenait « un grenadier ayant fusil chargé et prêt à faire feu au moindre geste hostile de

(1) H. de Mauduit.

(2) Le Moniteur parisien. (3) H. de Mauduit.

cette population plus comprimée que satisfaite de ce qu'elle voyait; les figures étaient mornes (1). »

Pour entretenir mieux l'épouvante et la crainte, on multipliait les arrestations; des files de prisonniers traversaient les rues sous l'escorte de sergents de ville et de soldats. De temps en temps, des coups de feu s'entendaient dans la direction de la préfecture de police où quelque exécution se faisait en attendant celles qui se préparaient pour la nuit prochaine. Un ancien garde de Paris passait, vers deux heures après midi, sur le pont Saint-Michel; sous le prétexte qu'il a menacé, de la voix ou du geste, les gardes placés en sentinelles, on l'arrête; «et comme il opposait une vive résistance aux gardes qui le conduisaient à la préfecture, le chef de poste le fait fusiller par deux de ses soldats dans la rue de Jérusalem (2). » Dans la matinée, un citoyen décoré, refusant de décliner son nom et ses qualités, avait été tué de la même façon dans la cour du Harlay.

Hier, on pénétrait dans les maisons, comme des assassins, en brisant les portes avec le canon et la crosse du fusil, aujourd'hui, on s'y glisse, comme des voleurs, en crochetant les serrures avec des rossignols. C'est ainsi que, à onze heures du soir, des argousins apparurent, sans avoir fait le moindre bruit, dans la chambre de madame Carnot qui était couchée ; ils furetèrent partout, depuis le cabinet de toilette jusqu'à la chambre des enfants.

A la même heure, le divan de la rue Le Peletier était envahi par une compagnie de chasseurs de Vincennes, ayant à sa tête le commissaire Boudrot. A ses côtés se tenait un ancien écrivain devenu célèbre dans le monde de la police, le mouchard Lucien Delahode. Sur un signe de ce drôle qui avait mangé le pain de ceux qu'il vendait, le commissaire arrêta neuf personnes au nombre desquelles se trouvaient Xavier Durrieu et Kesler du journal La Révolution, Edouard (1) H. de Mauduit.

(2) Le Moniteur parisien.

Gorges du Siècle et M. Lignères, un négociant de Paris. On emmena les prisonniers à la mairie du faubourg SaintMartin en longeant les boulevards où campaient des soldats d'infanterie encore avinés et qui criaient aux chasseurs de de l'escorte : « Piquez-les ! Embrochez-les ! » Le lendemain, ils furent acheminés vers la préfecture de police au milieu d'une imposante colonne que le général Canrobert, accaparant toutes les gloires, voulut commander lui

même !

Le matin de ce jour-là, dans un décret publié par le Moniteur, L. Bonaparte arrêta que le massacre de la veille serait « récompensé et compté comme service de campagne. » Le soir, dans une proclamation, le général Saint-Arnaud félicitait les les massacreurs « d'avoir accompli un grand acte de leur vie militaire, sauvé la République; de s'être montrés braves, dévoués, infatigables, » et il ajoutait : « La France vous admire et vous remercie. Le président de la République n'oubliera jamais votre dévouement.» La proclamation du ministre de la guerre est aussi injurieuse à l'honneur militaire que le décret du dictateur, au sujet duquel un historien des plus graves s'exprime ainsi : « Quand on voit que le chef d'une nation fière et puissante est capable d'apposer sa signature au bas d'un document de ce genre, le 5 décembre, on peut se former une idée des sensations qu'il éprouvait, la veille, lorsqu'à l'angoisse de la terreur n'avait pas encore succédé l'indécente allégresse d'avoir échappé au péril (1). » - Louis Bonaparte s'empressa d'élever à des grades supérieures les officiers qui s'étaient distingués par leur ardeur au massacre.

Afin que la religion bénisse leurs forfaits comme elle avait béni ceux de Charles IX, les criminels de Décembre se mettent à papelarder et à faire des avances au clergé dont ils réclameront, bientôt, les prières et l'appui. Tandis que,

(1) W. Kinglake.

« PreviousContinue »