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ment l'alliance d'une maison souveraine et obtenait, enfin, une princesse accomplie sans doute mais dans les rangs secondaires? » Celui qui tenait ce langage n'avait pu, étant Empereur, obtenir un brin de princesse dans les plus humbles rangs; et, en évoquant, avec une inconvenance que chacun blâmait, le souvenir de la duchesse Hélène d'Orléans, il exposait fortement sa fiancée à des comparaisons fâcheuses pour elle. C'est que jamais contraste ne parut si frappant. D'un côté une intelligence éprise du beau et du bien sous leurs formes les plus nobles, un esprit nourri de la lecture des grands écrivains et de la sagesse que l'étude sérieuse donne, des mœurs et un maintien qui attiraient tous les respects, enfin, la tolérance religieuse qu'admet un culte basé sur la liberté We conscience; de l'autre, eh bien! de l'autre... le contraire de tout cela, ́si les apparences ne sont pas trompeuses, ou si le diadème ne transforme pas la jeune fille de vingt-sept ans, étourdie, futile et bigote en une Impératrice comprenant les difficultés de sa tâche et les délicatesses de son devoir. Les événements nous diront si, comme nombre de gens semblaient le pressentir, Louis-Napoléon « épousa la ruine de sa race et celle de la France, le 29 janvier 1853.» Ce jour-là, dans la soirée, le mariage civil fut célébré aux Tuileries. Le lendemain, les deux époux ayant communié et entendu la petite messe dans la chapelle de l'Élysée, se rendirent, en très-grande pompe, à Notre-Dame où l'évêque de Nancy, grand aumônier du palais, les maria religiensement. Pendant la grand’messe, au moment de l'offrande, on vit se lever le prince Napoléon et sa sœur la princesse Mathilde qui, assurait-on, avaient supplié leur cousin de ne pas contracter une pareille alliance; ils allèrent, dévotement, présenter les cierges à l'Empereur radieux et à l'Impératrice diamantée de la tête aux pieds.

S. M. Eugénie, débuta heureusement dans son rôle de souveraine; à un acte de courtisanerie elle répondit par un trait de bienfaisance. M. Berger, préfet de la Seine, avait

obtenu de la commission municipale de Paris une somme de 600,000 francs destinés à l'achat d'un collier qu'il offrit à la fiancée de l'Empereur. Après l'avoir porté, un instant, le jour de son mariage, l'Impératrice le renvoya au préfet; dans une lettre simple et digne, elle priait M. Berger de le vendre et d'en distribuer la valeur aux pauvres.

MM. de Larochejacquelein et de Pastoret jouissaient d'une grande faveur auprès du comte de Chambord; leur influence était considérable dans le parti légitimiste qui exaltait leur chevaleresque dévouement à la monarchie traditionnelle; nul, d'ailleurs, dans aucun parti, ne doutait de leur loyauté. Aussi, les honnêtes gens virent-ils, avec un étonnement douloureux, les noms de ces hommes figurer sur une liste de sénateurs en compagnie de celui de M. de Mouchy. Ces trois défectionnaires avaient abdiqué, moyennant 30,000 francs par an, leur vieille fidélité au drapeau des lis, et leur apostasie s'abrita sous celui de l'Aigle que leurs pères avaient combattu.

En même temps, on arrêtait, comme auteurs de correspondances adressées à des journaux étrangers, MM. de SaintPriest, Pagès-Duport, Coëtlogon, René de Rovigo, de la Pierre, Virmaître, de Villemessant et de Mirabeau, légitimis-, tes. Des journalistes appartenant à d'autres partis, MM. Pel loquet, Chatard, Charreau, Venet, Vergniaud et Monselet furent arrêtés aussi pour le même motif. A la suite de lettres saisies, on inculpa de participation à une société secrète MM. de la Pierre, Rovigo, Herbert, les deux frères de Coětlogon, Virmaître, Aubertin, Flandrin, Planhol et de Chante.. lauze. L'accusation fut maintenue contre les cinq derniers seulement. Traduits en police correctionnelle, ils protestèrent contre le droit, que s'était arrogé M. de Maupas, de saisir à la poste et d'ouvrir des lettres à leur adresse. Un pareil droit existe-t-il, et la justice admet-elle des preuves émanant d'une telle source? Le tribunal de première instance avait répondu affirmativement et condamné les cinq

accusés. La Cour d'appel restreignait au cas de flagrant délit le droit du ministre de la police à s'emparer de lettres privées, mais non sans en prévenir la justice.

La police avait l'œil à tout. La mère de Ledru-Rollin mourut. Des agents enlevèrent le corps, de grand matin, et ne permirent à personne de l'accompagner. Quelques amis purent suivre le convoi d'Armand Marrast dont les derniers jours s'étaient éteints dans la pauvreté ; mais il leur fut interdit de lui faire, sur sa tombe, les suprêmes adieux.

Depuis le mariage de l'Empereur, le luxe allait croissant. On a banni le frac noir des réunions et des fêtes de la Cour; l'habit habillé y est seul admis. Les maréchaux Magnan et Saint-Arnaud, le général de Lawœstine et M. de Newerkerque s'étaient, les premiers, présentés en culotte courte; et leur exemple est suivi. M. de Maupas avait poudré ses cochers, et chacun l'imite. L'Empereur impose des équipages somptueux aux grands fonctionnaires qui en ont de trop modestes; il adresse des réprimandes aux dames qui se montrent, plusieurs fois, avec la même robe ou le même manteau de Cour; il prodigue autour de lui la savonnette à vilain, et un tas de gens mal décrassés qu'il décore et qu'il crée comtes et ducs forment la noblesse du second empire. On donne, à pleine bouche, de l'Excellence et du Monseigneur à tout ce monde-là qui se querelle à propos des préséances dont une commission, ayant parmi ses membres MM. Troplong président du Sénat et le garde de sceaux Abbatucci est chargée de régler les détails. Miss Howard reçoit de Napoléon III une couronne de comtesse et les titres de propriété du château de Beauregard; madame de Montespan, l'une des maîtresses de Louis XIV, l'avait fait bâtir; Napoléon III l'acheta, l'embellit et l'offrit à cette Anglaise du demimonde qui avait rêvé une couronne d'Impératrice.

CHAPITRE II

DU 1 MARS AU 31 DÉCEMBRE 1853

Le chiffre des transportés et celui des proscrits.

Les amnisties.

Les présides africains; Jules Miot; le chiffre des morts. - Le grand bal du Palais-Bourbon et le cimetière de Jersey. Pauline Roland. - Les proscrits en Belgique, au Piémont, en Suisse, en Espagne, en Angleterre et ailleurs. Noukahiva. La justice expéditive de Napoléon III. Kelch, Rassini et Galli; Sinibaldi; Donati. Le bravo de Napoléon III.

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Affaires de la

Reine-Blanche, de la Commune révolutionnaire. - Complots de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique.

La session de 1853.
Le ministère de

Les Pères capucins; lugubre rapprochement. la police et la presse.

Pendant que les puériles questions de cérémonial et d'étiquette occupent les plus fortes têtes de l'empire et que les fètes se succèdent aux Tuileries, les transportés et les proscrits luttent, les uns contre les mauvais traitements de leurs geôliers, les autres contre les misères de l'exil. Au mois de mars 1853, on compte plus de 6,000 transportés en Afrique ou à Cayenne et plus de 5,000 proscrits éparpillés en Belgique, dans le Piémont, en Suisse, en Espagne, en Angle terre et dans les États-Unis. La prétendue amnistie du 15 août 1852 et celle du 29 janvier 1853 n'étaient que tromperies; on exigeait des transportés et des proscrits «l'engagement écrit de ne rien faire, désormais, contre le gouvernement de l'élu du pays. » La misère, la faiblesse de caractère, les supplications des familles mourant de faim pous

sèrent douze ou quinze cents victimes seulement à subir les conditions de leur bourreau. Encore, les malheureux amnistiés furent-ils soumis à la surveillance de la haute police et à des tracasseries sans nombre.

On ne saurait imaginer les tortures qu'on infligeait aux transportés. L'internement dans les villes algériennes était exclusivement accordé à ceux qui avaient des ressources pécuniaires et à des ouvriers trouvant à y exercer leur industrie. Mais, « les internés sont complétement à la discrétion de la gendarmerie; les commandants de brigade doivent exiger que chaque interné vienne, tous les jours, donner sa signature à la caserne; les internés ne peuvent invoquer aucune loi, ni aucun droit; il est défendu d'avoir aucun rapport avec eux. » C'est le colonel commandant la gendarmerie d'Afrique, M. Vernon, qui édicta ces instructions inqualifiables (1).

Le règlement des pénitenciers militaires était appliqué aux transportés enfermés dans les camps. Sous ce climat énervant, ils n'ont pour boisson que de l'eau dans laquelle ils font tremper des racines de réglisse. Leur nourriture est insuffisante de moitié; ils doivent répondre à trois appels; chaque jour. Si aux insolences des gardes-chiourmes on répond dignement, ou si on émet une opinion républicaine, on est mis au cachot. Beaucoup des transportés étaient contraints à défricher des terres, à déssécher des sols marécageux et à casser des cailloux sur les routes; le prix de leur journée était fixé à un franc que des retenues diverses réduisaient à DEUX sous.

« Pour enfler ses listes de grâces, écrivait M. Pascal Duprat, à un journal anglais, le gouvernement y fait entrer un assez grand nombre de morts,» et d'évadés ajouterai-je; c'est ainsi que, sur les dernières, figuraient, à ma connaissance, M. Petit, notaire de l'Allier, décédé à Mustapha depuis sept mois et

(1) Circulaire du 3 août 1853.

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