Page images
PDF
EPUB

neront droit à douze messes par an à perpétuité. » Ainsi dix mille fidèles se partageant cinquante mille billets, le curé B.... se trouvait chargé de cent vingt mille messes annuelles occupant perpétuellement trois cent trente-trois prêtres en chiffre rond. Ce curé avait-il la promesse d'un aussi grand nombre de ses confrères assez désintéressés pour dire gratuitement jusqu'à leur mort toutes leurs messes? En outre, par un miracle dû à l'intercession de Notre-Dame des Perthes, avait-il donc engagé à son œuvre trois cent trente-trois curés ou vicaires appartenant à chacune des générations à venir? Du néant où ils sont encore, ces futurs lévites avaient-ils envoyé au curé B... leur miraculeuse adhésion à son œuvre perpétuelle? Les Pères jésuites ont, il est vrai, fourni à ce vénérable desservant le moyen de réduire de moitié le nombre des prêtres nécessaire à l'accomplissement de sa lourde promesse : « Un prêtre, disentils, qui a reçu de l'argent pour dire une messe peut recevoir d'autre argent pour la même messe en appliquant la partie du sacrifice qui le regarde comme prêtre à celui qui le paie de nouveau (1) »

Voici qui est mieux à Paris, en 1857,un jésuite se mit en loterie. « Un très-révérend Père fut, lui-même, en corps et en âme, le lot qui devait appartenir au numéro gagnant(2).»

prospectus du jésuite en loterie disait : « Les dames seules peuvent prendre un billet. Chaque billet est de cent francs. Le révérend père L...., qui prêche, en ce moment, le carême à l'église des Missions étrangères est le lot gagnant. La condition du don de sa personne à la dame gagnante est que, pendant trois jours, il lui appartiendra pour toute œuvre, prédication, pèlerinage, méditation, quêtes etc., etc., le tout à la volonté de ladite dame. » La circulaire suivante, signée du père L..., accompagnait

(1) Filutius, Tract. 1 ex: 11, no 95.

(2) Correspondance de l'Indépendance belge, n" des 9 et 11 avril 1857.

chaque billet : « Madame, les moyens nous manquant pour la construction de l'église que la Compagnie fait bâtir rue de Sèvres, nous avons cru devoir recourir à une loterie. Mais, la Compagnie étant pauvre, etc., etc., j'ai pensé à me mettre en loterie moi-même. La dame qui me gagnera m'aura à sa disposition pendant trois jours, etc., etc. » Le reste comme au prospectus.

La production de pareils faits ne suffit-elle pas à caractériser une époque ?

CHAPITRE V

L'Italie en 1858. Napoléon III et le carbonarisme italien. · Felice Orsini; les bombes du 14 janvier; les abords de la salle de l'Opéra ;' le retour aux Tuileries. Arrestations. - Bouc émissaire du bonapartisme. — Espinasse ministre de l'intérieur. La loi de sûreté générale; la France est de nouveau terrorisée. Menaces à l'Angleterre; irritation des Anglais; chute de lord Palmerston. Deux agents provocateurs à Londres. - Jugement et condamnation d'Orsini et de ses complices; ses lettres à l'Empereur; la question de grâce est agitée; exécution d'Orsini et de Pietri. Trois élections à Paris; le groupe des Cinq est formé. Loi sur la noblesse. Mort de la duchesse Hélène

[blocks in formation]

-

[ocr errors]

Espinasse est renvoyé du ministère. Le petit

Mortara; les voleurs d'enfants. Un rapport de M. Pietri; M. de Cavour à Plombières; traité entre la France et le Pié

mont.

On saisira mieux les événements qui se succèderont dans ce chapitre lorsque j'aurai fait connaître la situation de l'Italie en 1858.

Le joug autrichien écrasait la Lombardie et la Vénétie dont les frémissements rendaient François-Joseph plus implacable dans son oppression; cet empereur, entrant dans la ligue formée par tous les tyrans et tyranneaux de l'Italie contre la liberté des peuples soumis à leur domination, signait avec Rome un concordat qui livrait aux jésuites une grande part de l'autorité civile; aussi le haut clergé français avait-il délégué deux évêques et le cardinal Donnet

à François-Joseph « pour le remercier, au nom de leurs confrères en épiscopat, de la conclusion de ce concordat et des libertés accordées à l'Église dans l'empire autrichien.» Dans les États napolitains que décimaient les bourreaux du monstre couronné sous le nom de François II, les hommes noirs venaient d'obtenir la puissance législative et la redoutable inviolabilité réclamée par la bulle in cœna Domini (1). —Dans le duché de Modène, gouverné par un major autrichien, régnait un individu nommé François V dont la féroce bestialité avait mis « la bastonnade en permanence. » — La duchesse régente de Parme, sœur du comte de Chambord, s'absorbait dans la douleur du veuvage et dans la prière sous la tutelle des Autrichiens auxquels elle avait livré son duché. Les États pontificaux, depuis la restauration de Pie IX par une armée française, gémissaient dans une horrible servitude; souvent, des cris d'horreur traversaient l'Italie quand se renouvellaient des décapitations de martyrs de la liberté comme celles qui épouvantèrent Sinigaglia patrie du souverain pontife; les prisons de Rome regorgeaient de patriotes arrêtés sous le moindre prétexte afin de donner raison à ces paroles que le cardinal Antonelli adressa, un jour, à un officier supérieur de notre armée : «Il faut que, partout comme ici, les ouvriers de la vigne du Seigneur puissent tout oser; si le zéle les égare, il faut qu'ils n'aient pas à craindre le rire du libéralisme et les satiriques récits de la liberté de la presse (2). » Depuis le retour du pape, l'exil, la prison, les assassinats commis au nom du Christ et de l'ordre avaient déjà, en 1855, réduit de plus de 60,000 âmes le chiffre de la

(1) Publiée en 1568 par Pie V, qui, en parlant des jésuites, disait : « Oui, avec de tels hommes, je triompherai des Rois et j'exterminerai les Peuples rebelles si Dieu m'accorde quelques années de vie. »>

(2) Le cardinal Antonelli ne faisait que répéter la phrase prononcée, en 1829, par monseigneur Capelletti gouverneur de Rome et directeur de la police papale à cette époque-là,

population romaine : « Pendant mon séjour à Rome, écrivait un Anglais, les arrestations n'allaient jamais au-dessous de douze à vingt par nuit; j'ai vu même de ces pauvres jeunes gens appartenant presque tous à l'élite de la popution romaine passer à la fois, de bon matin, devant ma fenêtre, la plupart conduits dans des chariots et enchaînés deux à deux. » Malgré cette énorme dépopulation de la ville éternelle, il fallait au pape des soldats étrangers pour contenir ce qui restait d'habitants à Rome en dehors de ses quarante mille prélats, prêtres, moines, porte-croix, gardesnobles, marguilliers, sacristains ou bedeaux. Les mercenaires suisses enrôlés par le Vatican ne suffisant pas à étouffer le patriotisme des Romains, Napoléon III couvrait du drapeau français la tyrannie sacerdotale. En échange de l'appui que lui donna le clergé pour ressusciter l'empire, il promit de protéger le pape.

Mais il avait fait, antérieurement, une autre promesse à des hommes qui ne l'oubliaient pas; le comte Arese venait, de temps en temps, la rappeler au carbonaro oublieux qui, en 1831, avait juré de se dévouer à l'indépendance de l'Italie dont, en 1849, il fit bombarder la capitale. J'ignore si, comme on l'a prétendu, le sort, dans une loge dite des vengeurs, avait désigné quarante patriotes pour frapper le traître couronné qui, au lieu de seconder la délivrance de l'Italie, concourait à son asservissement; mais, je sais que, à l'exemple de Pianori et de tant d'autres dont les tentatives échouèrent, beaucoup d'Italiens étaient résolus à tuer celui qui employait une partie de ses soldats à tenir Rome et les provinces avoisinantes sous le joug abhorré du gouvernement des prêtres. N'est-il pas odieux, disaient les Italiens, que des étrangers envahissent un pays ami sans en avoir reçu la moindre provocation, y détruisent un pouvoir issu de la souveraineté nationale, lui substituent, de leur propre autorité, et maintiennent par la force une tyrannie renversée par le Droit?

« PreviousContinue »