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des hospices fussent vendus et que le produit de cette vente fût appliqué à des achats de rentes sur l'État. Cette conversion d'une valeur immobilière et immuable en une valeur que les événements politiques soumettent à des fluctuations fréquentes fit pousser les hauts cris aux membres des administrations charitables et du clergé. « Où donc s'arrêtera, disait-on, l'audace de ce gouvernement tyrannique s'il ne respecte même pas les biens des pauvres? » L'Empereur se vit contraint de désavouer le soudard brutal et grossier dont il avait fait, dans un double accès de folie et de peur, un ministre de l'intérieur et de la sûreté générale, et dont le renvoi sur les bancs des aides de camp attachés au service des Tuileries fut un soulagement pour la France qui gémissait dans l'oppression.

En ce moment-là, un crime s'accomplissait, à Bologne, sous la protection du drapeau français. Le 24 juin 1858, des soldats pontificaux volaient un enfant à une famille juive nommée Mortara. Sous le prétexte qu'une fille catholique au service de cette famille avait, subrepticement et suivant les conseils du Saint-Office, administré le baptême au petit Mortara dont les jours étaient mis en danger par un accès de fièvre vermiculaire, les hommes noirs s'emparèrent de l'enfant, malgré les supplications du père affolé de douleur. Bravant les cris de la conscience publique révoltée par ce forfait monstrueux, ils emportèrent dans un couvent d'Alatri leur proie qu'ils avaient, d'abord, cachée dans un séminaire; ils répondaient au malheureux père : « Comme juif, vous êtes hors la loi; nous agissons pour le salut de l'âme de votre fils. » Ce rapt odieux se consomma au nom de la religion catholique; il indigna la presse de tous les pays: En France, le Siècle, le Journal des Débats, le Courrier de Paris, la Presse, la Gironde, le Phare de la Loire demandaient énergiquement que le Pape rendît aux parents l'enfant volé. L'Union et la Gazette de France subtilisaient sur cet acte abominable; l'Univers l'approuvait et

injuriait le judaïsme; les journaux bonapartistes se taisaient. La franc-maçonnerie envoya au grand-maître Lucien Murat une protestation contre l'enlèvement du jeune Mortara. Les rabbins adressèrent d'inutiles prière à Pie IX qui gorgeait de friandises l'enfant dont la mère faisait mal à voir. En Angleterre, les meetings se succédaient et déclaraient « voir dans cet acte d'agression papale contre une famille juive inoffensive une raison de plus pour protester contre le caractère antichrétien de la papauté et la révoltante tyrannie qu'elle exerce, partout où elle domine, sur les intérêts temporels et spirituels du genre humain. » Les violateurs des droits sacrés et inviolables des pères et des mères refusèrent de rendre à sa famille le petit Mortara, et Napoléon III continuait à abriter sous les plis du drapeau de la France ces ravisseurs « moitié renards, moitié loups. » Dans son allocution aux jurés, Orsini expliquait en ces termes comment il avait résolu de frapper l'Empereur : << Une idée fixe me possédait : rendre l'indépendance à ma patrie ou mourir. Longtemps, je crus Napoléon III capable de délivrer l'Italie; en le voyant resserrer de plus en plus son alliance avec le parti absolutiste, je perdis cette espérance et je me dis il faut supprimer cet obstacle. Ces dernières paroles qui avaient impressionné l'Empereur et que le Journal officiel retrancha, beaucoup d'Italiens se les étaient dites; après la mort d'Orsini, ils se les répétèrent; M. Pietri, remplacé par M. Boitelle à la Préfecture de police en acquit la preuve : « Napoléon III, étonné du nombre des assassins que l'Italie lui envoyait, se décida à faire quelque chose pour elle sur le rapport de l'ancien préfet de police Pietri expédié par lui en mission auprès des sociétés italiennes (1). » Ce rapport n'était qu'une paraphrase de ces mots contenus dans la lettre écrite par Orsini à l'Empereur, le 11 février: « Tant que l'Italie ne sera pas indépendante, la

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(1) Chroniques du dix-neuvième siècle, p. 372.

tranquillité de Votre Majesté ne sera qu'une chimère. » Le 9 juillet, M. de Cavour, sous un autre nom que le sien, se rendit à Plombières où l'avait appelé une lettre de Napoléon III. Là se conclut, entre la France et le Piémont, un traité offensif et défensif dont l'Indépendance belge fit, la première, connaître les clauses et que le gouvernement français niait pendant que les deux contractants en préparaient l'exécution.

CHAPITRE VI

1859

Paroles alarmantes.

Mariage du prince Napoléon. Irrésolutions de l'Empereur. Déclaration de guerre. Départ de Napoléon III pour l'Italie; l'Impératrice et les médailles. Composition et force des armées française, sarde et autrichienne. La campagne d'Italie. - Premiers combats. Garibaldi et les chasseurs des Alpes. Palestro.

Solférino. Le traité de Villafranca.

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Magenta. Malegnano. Indignation des Italiens. Le retour de l'Empereur; ses explications embarrassées et mensongères. Retour de l'armée d'Italie. — Flatterie groL'amnistie du 16 août; protestations et déclarations des proscrits. · Le traité de Zurich. Soulèvement des Romagnes et annexions. Conseil de Napoléon III à Pie IX.

tesque.

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Le 1er janvier 1859, à la réception du Corps diplomatique aux Tuileries, l'Empereur dit à M. de Hubner ambassadeur d'Autriche à Paris : « Je regrette que nos relations avec votre gouvernement ne soient pas aussi bonnes que par le passé! » L'effet de ces paroles ayant été alarmant, le Moniteur déclara que rien, dans nos relations diplomatiques, n'autorisait de pareilles alarmes. Le 13, on apprit que le prince Napoléon venait de partir pour Turin où il allait épouser la fille de Victor-Emmanuel. En annonçant à des députations des deux Chambres ce mariage qui se célébra le 30, le roi de Sardaigne dit : « L'année commence bien, elle se terminera mieux encore, je l'espère. Cette alliance pourra devenir une source d'avantages pour les éventualités

futures. » Et, le 7 février, l'Empereur ouvrant la session législative s'exprimait en ces termes : « La paix, je l'espère, ne sera pas troublée. » Le 5 mars, le Moniteur donna un démenti« aux auteurs de bruits de guerre égarant outrageusement les esprits, alarmant gratuitement les intérêts, jetant du doute sur les pensées les plus loyales et des nuages sur les situations les plus claires.>>

Tiraillé à droite par les cléricaux que l'Impératrice appuyait, à gauche par le prince Napoléon que vint renforcer M. de Cavour, l'Empereur ne savait à quoi se résoudre ; il flottait incessamment de la paix à la guerre; dans une dernière entrevue avec le premier ministre de Victor-Emmanuel, ses irrésolutions se fixèrent; les instances du prince Napoléon triomphèrent, cette fois, du fatal ascendant que l'Impératrice prendra bientôt sur le caractère indécis et faible de son triste époux. A la fin de mars, les indécisions de Napoléon III penchaient tellement vers la paix que M. de Hubner le crut, un jour, décidé à l'abandon de la Sardaigne et conseilla au chef du cabinet autrichien, M. de Buol, de garder une attitude hautaine vis-à-vis du cabinet de Turin. Le lendemain, M. de Cavour quittait Paris; il apportait à son roi la certitude que la France déclarerait prochainement la guerre à l'Autriche.

Des propositions faites par l'Angleterre, en qualité de médiatrice amiable, et auxquelles adhérèrent la France, la' Prusse et la Russie furent repoussées par l'Autriche qui, le 19 avril, somma le roi de Sardaigne « d'avoir à mettre, sans délai, son armée sur pied de paix et à licencier les volontaires italiens. » Trois jours étaient accordés à Victor Emmanuel pour répondre, par un oui ou par un non, à cet ultimatum inacceptable et équivalent à une déclaration de guerre.

Les événements vont se précipiter. Le 22 avril, le Moniteur déclare que, en présence de l'attitude de l'Autriche, Napoléon III a ordonné la concentration de plusieurs divi

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