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était la négation des principes que la gauche, en cette matière, avait toujours professés. M. Ollivier prétendit que ses anciens amis « étaient atteints d'une maladie nommée Pessimisme par Mallet du Pan et qui consiste à critiquer tout ce qui vient d'un gouvernement qu'on n'approuve pas, surtout le bien parce qu'il profite à ceux qui le font. » En proposant d'ajourner cette loi « équivoque et inconsistante >> que M. Jules Simon venait de combattre avec une bien-disance exquise et une rare puissance de raisonnement, M. Jules Favre lança ce trait qui piqua le défectionnaire au vif: « Quoi qu'en dise ce Mallet du Pan cité par le rapporteur et que je n'admire pas, il n'y a que deux écoles en politique, celle des principes et celle des expédients. Je suis pour la première. » M. Ollivier dissimula sa confusion sous une phraséologie à l'usage des renégats; il parla de « son honneur qu'il croyait inutile de défendre, de sa conscience avec laquelle il se sentait en paix, de l'orgueil qu'il a de n'ètre effleuré par aucune parole. » — « Pas d'équivoque, répliqua Jules Favre; il faut qu'on nous dise comment on a abandonné d'anciennes opinions en proposant, aujourd'hui, ce qui les contredit absolument. » Prenant en pitié l'embarras de l'homme qu'il avait entraîné dans l'apostasie, M. de Morny se hâta de dire : « qu'il était contraire à la liberté et au droit de demander compte à un membre de cette Chambre de ses opinions passées. » « C'est le pavé de l'ours, » murmurait-on en souriant. Trente-six députés protestèrent contre cette loi que, à la sollicitation de M. Rouher, le Corps législatif vota. Les journaux bonapartistes comblèrent de louanges et proclamèrent chef du parti des hommes nouveaux le transfuge qui, désormais, ne cessera de chanter la palinodie.

M. Havin ayant opté pour la Manche et M. Jules Favre pour le Rhône, les électeurs de la 1re et de la 5o circonscription de la Seine les remplacèrent, le 31 mars, par MM. Carnot et Garnier-Pagès qui obtinrent une majo

rité considérable sur les candidats du Gouvernement. La discussion du budget ramena celle des affaires du Mexique. M. Berryer s'étonna de voir figurer comme ressource budgétaire l'indemnité mexicaine de 170 millions sur lesquels un emprunt avait été contracté par une création de 18 millions 600 mille francs de rentes décrétée à Miramar. Les prospectus, dit l'orateur légitimiste, donnent à croire que la France et l'Angleterre garantissent cet emprunt vers lequel le gouvernement impérial attire les souscripteurs par des promesses alléchantes: intérêt de 10 pour cent, émission à 63 francs, et remboursement à 80 francs. M. Rouher entonne, aussitôt, sur la grandeur et sur le succès de l'entreprise un nouveau chant dithyrambique; il affirme que les rentes mexicaines seront réalisées conformément aux prévisions du budget de 1865. Croyant en cette affirmation officielle qui ne tardera pas à se renouveler afin d'entraîner vers un deuxième emprunt le reste de leurs épargnes, les victimes des bons mexicains mordaient à l'hameçon tendu par le gouvernement de Napoléon III.

Le 13 mars, une réunion électorale motivée par la prochaine ouverture du scrutin dans les deux circonscriptions qui avaient à remplacer MM. Carnot et Favre s'était tenue chez M. Garnier-Pagès. Après l'avoir dissoute, la police alla fouiller les appartements de ceux qui y assistaient; elle fractura les meubles de MM. Floquet, Carnot et Clamageran qui étaient absents, et ne respecta rien pas même les lettres de famille. C'est le 16 juin seulement que l'instruction judiciaire commença; les inculpés étaient au nombre de trentequatre. L'accusation fut abandonnée à l'égard de vingt et un et maintenue contre MM. Bory, Carnot, Clamageran, Corbon, Dréo, Durier, Ferry, Floquet, Garnier-Pagès, Hérisson, Hérold, Jozon et Melsheim. Le Procès des Treize fut jugé le 5 août. M. Jules Favre prit la parole le premier; sa plaidoierie fut si complète et si brillante que M. Berryer, Isun de défenseurs, déclara que ni lui, ni ses collègues

n'avaient rien à y ajouter. Le tribunal présidé par M. Dobignie qui avait dirigé les débats avec une excessive âpreté, condamna les Treize « chacun solidairement à 500 francs d'amende. >>

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Le 15 septembre, la France et l'Italie firent une convention; elles s'engagèrent, l'Italie à ne pas attaquer et à préserver de toute attaque le territoire actuel du SaintPère, et la France à retirer ses troupes des États pontificaux, dans un délai de deux ans, graduellement et à mesure que s'organiserait l'armée papale pouvant se recruter de catholiques étrangers. Cette convention devait être exécutoire dès que le roi d'Italie aurait déterminé l'endroit où la capitale du royaume serait transférée.

Le 28, les représentants ouvriers de plusieurs nations européennes se réunirent à Londres pour jeter les bases d'une association universelle des travailleurs. Un comité en rédigea les statuts, et, le 25 octobre, la Société Internationale des travailleurs était fondée.

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Le 8 décembre, Pie IX se vengea de la convention du 15 septembre par la publication de l'encyclique Quanta cura suivie du fameux Syllabus. Des quatre-vingt-neuf anathèmes dont se compose ce résumé violent des doctrines de la Société de Jésus, il résulte que l'Église catholique dont l'indépendance est absolue et illimitée a le droit d'employer la force, que toutes les autorités sont soumises à la sienne, qu'il n'y a d'autre souveraineté que celle dite de droit divin, que le Pape est le Roi des rois, l'arbitre souverain dans les différends qui s'élèvent entre les Rois et les Peuples, que toutes les libertés doivent être supprimées, que la philosophie n'existe pas puisqu'elle pro- ' cède de la liberté de recherche et ne tient aucun compte de la révélation surnaturelle, que toute science ne s'accordant pas avec les miracles et les prophéties est un mensonge, qu'il faut mettre le bâillon sur toutes les lèvres indépendantes, qu'on ne peut émettre d'autres opinions que

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celles approuvées par les évêques auxquels appartient le droit exclusif de diriger l'éducation non-seulement dans leurs séminaires mais encore dans les écoles et dans les universités de l'État,· que tout mariage contracté uniquement devant un officier de l'état civil est nul et que, en dehors du sacrement de mariage, il n'y a que des concubinaires et des bâtards, que la Société civile doit être abolie, que la prédominance de l'Église sur l'État est indiscutable comme sa domination universelle sur les corps, les âmes et les esprits. Voici le couronnement donné par les jésuites à ce monument d'extravagance et de délire : « Anathème à ceux qui diront: Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et se mettre d'accord avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. » On ne saurait avouer plus nettement que le catholicisme est la négation de toute liberté, l'ennemi juré du progrès et de la raison. Ce défi indigna la presse démocratique et la presse libérale; s'il révolta les libres penseurs, les catholiques libéraux s'en attristèrent car il détruisait leur chimérique espoir d'une alliance entre le catholicisme et la liberté que Pie IX déclarait irréconciliables et incompatibles.

M. Baroche adressa aux évêques une circulaire prohibant la publication dans les mandements et l'impression de la première partie de l'encyclique « parce qu'elle contient des propositions contraires aux principes sur lesquels repose la Constitution de la France. » Les protestations épiscopales contre la circulaire ministérielle se succédèrent pendant les premiers mois de l'année 1865. Les évêques de France, un seul excepté celui de Montpellier, · déclarèrent arrogamment « qu'ils adhéraient, de toute leur âme, aux enseignements contenus dans l'encyclique, et qu'ils voulaient bien rendre à César ce qui est à César, mais après avoir rendu à Dieu ce qui est à Dieu. » Cela voulait dire : Nous ne reconnaissons d'autre autorité que celle du Pape. Les jésuites s'effrayèrent de l'irritation qui se propageait

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contre leur œuvre. Le vieillard du Vatican, dont ils ont brisé la volonté et dont l'esprit affaibli obéit à leurs ordres, écrivit sous leur dictée « qu'on avait défiguré le sens de la doctrine syllabique. » Peu à peu, les ultramontains reprirent courage et restituèrent au Syllabus son vrai sens qu'on n'avait pas défiguré mais que Mgr Dupanloup avait détorqué en le soumettant à de jésuitiques interprétations. Aujourd'hui, les papistes en sont venus à cet excès d'audace qu'ils disent au Très-Saint-Père : « Ah! béni, mille fois béni soit le pontife qui a donné au monde le Syllabus dont le texte est si clair, » et qu'ils crient partout : « Eh! bien, oui, c'est le Syllabus, nous le proclamons bien haut, que nous plaçons à la base de notre œuvre et où nous puisons les idées qui nous dirigent. » Et ils marchent à l'assaut de la société moderne. En même temps, les journaux religieux déclarent que « le prêtre et le jésuite c'est tout un. » Tous nos prêtres feraient donc partie de cette Internationale noire dont Ignace de Loyola est le fondateur? Le catholicisme jésuitisé est la négation du christianisme que, déjà, on avait dépouillé de son caractère en le dogmatisant.

Le premier nom inscrit sur le nécrologe de 1865 est celui de Proudhon. Cet écrivain populaire avait, comme penseur une grande puissance, comme controversiste une sécheresse hardie, comme critique une touche mâle. Se plaçant au point de vue abstrait, sa logique impitoyable ne ménageait rien; semblable au scapel, elle disséquait impassiblement les personnes et les institutions; elle mettait à nu les plaies sociales, crime impardonnable aux yeux de ceux qui ont intérêt à ne pas les guérir; aussi, traduisaient-ils devant les tribunaux cette personnalité originale et gênante. Chaque condamnation nouvelle grandissait la popularité de Proudhon, ce qui ne lui déplaisait guère, car son moi le dominait. Il osa dire à Napoléon III : « Vous ne fonderez ni une dynastie ni rien de stable car votre situation et votre provenance sont contradictoires et s'excluent. Vous vous procla

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