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pagnie de Napoléon III et d'Eugénie! Ne voulant pas s'associer à cette profanation d'un deuil de famille aussi récent et mettre sa main dans les mains de ceux qui avaient entraîné son beau-frère à des crimes dont le drame de Queretaro fut le châtiment, l'impératrice d'Autriche était restée à Vienne. A leur sortie de l'Hôtel de Ville, les deux empereurs furent accueillis par les cris mille fois répétés de: << Vive l'Italie! Vive Garibaldi! » C'était une protestation contre le gouvernement impérial qui favorisait l'engagement des royalistes bretons dans l'armée du pape et les souscriptions ouvertes par les familles cléricales en faveur des blessės papalins, tandis qu'il refusait aux journaux démocratiques l'autorisation de convier leurs lecteurs à secourir les blessés garibaldiens. Cette iniquité augmentait l'irritation causée par la seconde expédition de Rome.

Des républicains français avaient résolu de donner aux Italiens un témoignage de sympathie. Les restes de Daniel Manin mort à Paris, le 22 septembre 1857, avaient été déposés dans le caveau de famille du peintre Ary Scheffer. Le 2 novembre 1867, des ouvriers et des bourgeois, en assez grand nombre, se rendirent au cimetière Montmartre; ils portaient, les uns, des couronnes et les autres, des bouquets d'immortelles destinés au tombeau provisoire de l'illustre défenseur de Venise, du grand citoyen dont la vie consacrée, toute entière, à son pays n'eut aucune tache. Ils trouvèrent le cimetière rempli de soldats et la tombe du patriote vénitien entourée de sergents de ville; ils passèrent devant elle en la saluant. Plusieurs d'entre eux voulurent déposer les couronnes et les bouquets sur le tombeau de Godefroy Cavaignac; des agents de police travestis en ouvriers et en bourgeois les arrêtèrent.

MM. Alfred Naquet, Accolas, Hayot, Verlière, Chouteau et Godichet furent traduits, le 27 novembre, devant la police correctionnelle sous la double prévention de manœuvres à l'intérieur et d'affiliation à une société secrète dite Com

mune révolutionnaire des ouvriers de Paris. Des condamnations à quinze mois et à un an de prison les frappèrent. Godichet, condamné, pour la forme, à un an d'emprisonnement fut mis en liberté, le 1er décembre. Son attitude pendant le procès ne laissa aucun doute sur le rôle qu'il avait joué dans cette affaire.

La mort de M. Fould donna lieu à un remaniement ministériel. M. Magne reprit le portefeuille des finances, qu'il avait tenu déjà. Les prétendants à celui de l'intérieur étaient nombreux. L'Impératrice qui de son atelier de modes fonctionnant sans relâche aux Tuileries passait dans la chambre du Conseil et se mêlait, sans y rien comprendre, des affaires de l'État, fit choisir M. Pinard ex-procureur général et membre du conseil d'État; il justifiait par ses sentiments ultra-cléricaux la haute protection dont l'honorait sa souveraine. Le 15 novembre, quatre jours avant l'ouverture de la session de 1868, il remplaça M. de Lavalette disgracié à cause de l'opposition qu'il avait faite à la seconde expédition de Rome.

L'Exposition n'avait donné aucun des résultats qu'on en attendait. La paralysation des affaires, l'élévation de l'encaisse de la Banque au chiffre de un milliard neuf cent-dixneuf mille francs, la hausse croissante du prix du pain, l'effet produit par la sanglante catastrophe qui venait de terminer l'entreprise mexicaine, le souvenir des défaites diplomatiques essuyées, en Allemagne, par la politique de l'Empereur dont la santé chancelait comme son intelligence, les paroles imprudentes et hautaines jetées par M. Rouher, du haut de la tribune, au sujet de l'occupation de Rome, paroles que je rapporterai bientôt, les craintes de complications prochaines au milieu desquelles la France se trouverait isolée, tout faisait naître les plus sinistres idées et multipliait les sujets de mécontentement. Dans l'Isère où le gouvernement avait toujours eu les électeurs en main, le candidat officiel fut battu par M. Riondel. Trois rapports

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du préfet de police à l'Empereur résumaient ainsi la situation de la France à la fin de 1867: « On ne parle que de la grève du milliard; les placards séditieux et les inscriptions à la main se multiplient. Le syndicat des banquiers, Pinard, Fould et C est accusé d'avoir gagné treize millions sur la première émission des obligations mexicaines, et quatre millions sur les Pagarés alors que les souscripteurs avaient à peu près perdu leur mise. Le mécontentement excité par la cherté du pain ne diminue pas, et il règne parmi nos ouvriers, parmi leurs femmes surtout, une inquiétude réelle. On recueille des affiches apposées dans les faubourgs et dans lesquelles on s'attaque à l'Empereur lui-même ; on tient des propos violents qui rappellent la disette de 1847. -Les inquiétudes qui tiennent aux complications allemandes sont entretenues par les affaires de Rome. Partout c'est un débordement de critiques amères, de défiances injustes (?), d'appréhensions inquiètes. Le respect de l'autorité est méconnu; la calomnie s'attaque à tout (1). »

De même que la France, « l'Europe, réveillée comme d'un rêve, voyait et pesait toutes les fautes grossières et le décousu de cette politique qui allait, de gaieté de cœur, se heurter aux obstacles les plus formidables, épuiser le sang et l'argent de la France dans des expéditions insensées (2). »

Au dedans et au dehors, « on avait la conviction que les membres de la trilogie qui gouvernait la France étaient usés: L'Empereur par la maladie, l'Impératrice par la frivolité, M. Rouher par ses mensonges (3). »

(1) Datés des 15 et 22 septembre et du 24 novembre 1867. (2) Le dernier des Napoléons.

(3) Taxile Delord, Histoire du second Empire, t. V, p.

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265.

CHAPITRE XII

1868

Le fameux jamais! - Les deux précurseurs de Malaise et mécontentement.

Session de 1868.

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Garibaldi.

Arrestations au Château-d'Eau.. Condamnations. Exhumation des restes de Manin. Campagne ultramontraine.

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- Nou

· Le

Reprise de la session; vote des lois sur la presse et sur les réunions publiques. velles audaces de M. Rouher; il est mis sur la sellette. Sénat jugé par un sénateur. - Dépravation des mœurs sous le second empire; luxe et dévergondage; la prostitution insoumise; le cher seigneur et Marguerite Bellanger. - La Lanterne ; la Cloche; le livre d'Eugène Ténot. Première application de la loi du 9 mars. Violation du droit de réunion. Élection de M. Jules Grévy. La révolution espagnole. Manifestations au cimetière Montmartre. Souscription et procès Baudin. — Plaidoieries; triomphe éclatant de Léon Gambetta; premier châtiment infligé au 2 Décembre. Mort de Berryer. — La grande bataille imaginaire gagnée par M. Pinard; l'Empereur reprend le portefeuille de l'Intérieur au protégé de l'Impératrice.

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La session législative de 1868 s'était ouverte le 19 novembre 1867. L'Empereur qui, le premier, avait violé la convention du 15 Septembre, se plaignit qu'elle n'eût pas été exécutée par l'Italie. « J'ai dû, ajouta-t-il, envoyer de nouveau nos troupes à Rome et protéger le pouvoir du saintSiége. Le calme est presque entièrement rétabli dans les États du Pape, et nous pouvons calculer l'époque prochaine du rapatriement de nos troupes. »>

Quatre demandes d'interpellation relatives à l'application des lois concernant la liberté individuelle, à la politique

intérieure et extérieure et à la seconde expédition de Rome furent soumises à l'approbation des bureaux; ils n'autorisèrent que la dernière. Le 2 décembre, M. Jules Favre prit la parole sur cette question : « La seconde expédition, ditil, est moins excusable encore que la première. Le gouvernement impérial viole le droit, abuse de la force et ne satisfait personne. Si la convention du 15 septembre a été violée par le gouvernement italien, le gouvernement impérial avait donné l'exemple de cette violation. >>

Au problème immense que cette question posait, M. Jules Simon ne voit qu'une solution possible: La séparation de l'Église et de l'État : « Le système concordataire doit être aboli; il laisse subsister une certaine tolérance pour la liberté de penser chez les peuples où il est établi, mais la liberté elle-même n'y régne pas. » M. Guéroult fit cette déclaration : « J'avais cru que le gouvernement arriverait progressivement à l'application des idées libérales; s'il persiste dans sa soumission à la politique cléricale, il n'aura pas d'adversaire plus résolu que moi. D'ailleurs, le pouvoir temporel agonise. »>

C'est au milieu de cette discussion, que, le 4 décembre, M. Rouher, jeta hautainement son fameux JAMAIS : « Il y a, s'écria-t-il, un dilemme : Le Pape a besoin de Rome pour son indépendance; l'Italie aspire à Rome qu'elle considère comme un besoin impérieux de son unité. Eh bien, nous le déclarons au nom du gouvernement français, l'Italie ne s'emparera pas de Rome JAMAIS! >> - «Jamais! jamais! » vociférait la majorité. « Non, Jamais, reprit M. Rouher; est

ce clair? »>

Assurément; aussi clair que ceci : « l'armée française ne reviendra du Mexique sur nos rivages que son œuvre accomplie et triomphante de toutes les résistances. »

Les applaudissements donnés par la majorité à l'impolitique affirmation de M. Rouher retentirent agréablement dans le cabinet de Berlin. Des éclairs de joie durent sortir

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