aux autorités de Cherbourg; puis elle regagna Paris où l'Empereur lui conféra, par un décret, le titre de Régente, « pour en exercer les fonctions dès qu'il aurait quitté la capitale. » Le 26, il adressa une proclamation aux Français et une lettre au général Mellinet, commandant en chef de la garde nationale de Paris. Ce jour-là, l'Impératrice-Régente se rendit aux Invalides avec le prince impérial; la mère et le fils s'agenouillèrent et prièrent devant le tombeau de Napoléon Ier. Dans la soirée du lendemain, trois longs trains quittèrent Paris; ils transportaient au quartier général les chevaux, les voitures et le personnel des écuries de Sa Majesté, les immenses bagages impériaux, le nombreux personnel composant le service de bouche et huit agents du service de sûreté des résidences impériales. Le 28 juillet, à huit heures du matin, l'Empereur, en tenue de général de division, montait en wagon, à la gare des fêtes, située dans le parc réservé de Saint-Cloud; son fils, qu'il emmenait avec lui, portait l'uniforme de sous-lieutenant; sa maison militaire prit le même train qui, par le chemin de ceinture, rejoignit celui de l'Est. Redoutant, sans doute, un froid accueil et peut-être des manifestations hostiles, l'Empereur n'osa pas traverser Paris qui brisait, un à un, les anneaux de la sanglante chaîne dont il l'avait si traîtreusement chargé. A six heures et demie du soir, Napoléon III arrivait à Metz où la garde impériále et les cent-gardes étaient depuis la veille. Le général Dejean fit l'intérim du ministère de la guerre en l'absence du maréchal Lebœuf nommé major général de l'armée du Rhin, dont l'Empereur allait prendre le commandement en chef. CHAPITRE XVI 187 Affaire de Sarrebruck; le baptême du feu. La surprise et le combat de Wissembourg. — Attitude du ministère et anxiété de la population. Fausse victoire, enthousiasme et colère. — Dépêches lugubres; l'invasion du territoire. Proclamations et décrets. Les désastres: Forbach; Froschwiller ou Reichsoffen. - L'espion prussien de M. Ollivier. Corps législatif; la séance du 9; renversement du ministère Ollivier. Le cabinet Palikao. Le maréchal Leboeuf et l'Empereur jugés par l'Assemblée. Les Prussiens à Nancy. Échauffourée de La Villette. Le silence du gouvernement et l'inquiétude publique. Les dépêches du 15 août. Combat de Borny. Bataille de Rézonville. Retraite injustifiable. Bataille de Gravelotte Mensonges du comte de Palikao; les carL'Empereur au camp de Châlons. ou de Saint-Privat. rières de Jaumont. traite désastreuse du 1er et du 5° corps. Une conférence au camp de Châlons; ses résultats. - Le général Trochu gouverneur de Paris. · L'Impératrice s'oppose aux résolutions de l'EmpeHésitations du duc de Magenta; son départ pour Reims. Nouvelle conférence. C'est la faute de Le 2 août, l'Empereur télégraphie à la Régente que <«<Louis a reçu le baptême du feu, a été admirable de sang froid, a conservé une balle tombée tout près de lui, et que des soldats pleuraient en le voyant si calme. » Il s'agissait de la prise des hauteurs qui dominent Sarrebruck et d'où trois divisions françaises avaient bombardé cette ville ouverte qu'un détachement prussien occupait. Quand la réalité se fut dégagée des exagérations de la dépêche pa ternelle et des complaisances du Bulletin officiel dans lequel le général Frossard, parlant de son jeune élève, disait: »Sa présence d'esprit, son sang-froid au milieu du dangersont dignes du nom qu'il porte; » quand on eut appris que la médaille militaire venait d'être décernée à cet enfant et que nos pertes se réduisaient à un officier tué et à dix soldats blessés, on goguenarda au sujet « du baptême et de la balle; » nul ne douta que cet engagement stérile et bruyamment exploité par les journaux bonapartistes n'eût, au début d'une guerre entreprise dans l'unique intérêt de la dynastie, visé qu'à une réclame dynastique. Jusqu'à la fin de la campagne, cet intérêt dominera celui de la France. Le 4, la division du général Abel Douay, forte de neuf mille hommes et appartenant au premier corps (maréchal Mac-Mahon), occupait Wissembourg. La cavalerie négligea de reconnaître certaines hauteurs et de sonder les bois qui bordent la Lauter. Funeste imprévoyance qui souvent se renouvellera! Au moment où les soldats apprêtaient leur soupe, le canon tonna sur ces hauteurs qu'on n'avait pas reconnues; il foudroyait nos troupes surprises. A la hâte elles prennent les armes, se rangent en bataille et passent la Lauter. Arrivés au pied des hauteurs que l'artillerie allemande couronne, nos soldats sont accueillis par une fusillade éclatant de tous côtés. L'ennemi, que dérobent à la vue les plis du terrain et le feuillage des vignes, décime nos egiments. Les Prussiens sortent des profondeurs du bois; ils sont quatre-vingt mille; la moitié de ces forces est engagée; les Français combattent un contre cinq. L'explosion d'une batterie de mitrailleuses tue le général Abel Douay que le général Pellé remplace. La lutte inégale se soutient encore, mais une plus longue résistance devient impossible. Éclaircis par la mort, les rangs de la division écrasée se resserrent; la retraite est ordonnée; elle s'opère en bon ordre. Wissembourg est au pouvoir des Allemands; l'entrée de l'Alsace leur est ouverte. L'invasion a fait sa première étape. Les journaux étrangers nous apportèrent la nouvelle de cette défaite; le ministère Ollivier l'avait apprise dans la journée du 4; il la communiqua seulement dans l'aprèsmidi du 5, en l'atténuant et sans indiquer ni le jour où nous l'avions subie, ni les pertes que nous avions éprouvées. Cette communication inexacte et sommaire se terminait par l'avis que « le maréchal de Mac-Mahon concentrait sur les lieux les forces placées sous son commandement. »> Dans la soirée, on laissait se répandre le bruit qu'une revanche venait d'être prise par le héros de Magenta. Le 6, à la première heure, on courut aux nouvelles pas de dépêches affichées, et dans le Journal officiel cette simple ligne : Le maréchal occupe, avec son corps d'armée, une forte position. » Une foule anxieuse et houleuse remplit les rues et les boulevards; elle croit que d'un moment à l'autre arrivera la dépêche victorieuse si impatiemment attendue. «< Elle est arrivée, crie-t-on; elle vient d'être affichée à la Bourse l'armée de Mac-Mahon a écrasé celle du Prince Charles; on a fait prisonnier ce prince, son état-major et vingt-cinq mille Allemands; Landau est pris. » Aussitôt éclate une joie délirante; aux fenêtres, des drapeaux se déploient; des chanteurs de l'Opéra sont reconnus dans la foule, entourés et invités à chanter la Marseillaise dont le refrain est accompagné par des milliers de voix ; de toutes parts retentissent les cris de : « Vive la France! Vive l'armée! » Les tribunaux interrompent leurs audiences; un enthousiasme irréfléchi et le soleil capiteux d'août enfièvrent les cerveaux à ce point que personne, depuis midi jusqu'à deux heures, ne s'étonne que la dépêche officielle ne soit affichée nulle part. Des citoyens qui mettent en doute l'authenticité de cette victoire sont injuriés et font naître autour d'eux une exaspération menaçante. Cependant, un éclair de raison traverse quelques esprits; on va aux informations, et, bientôt, sur les boulevards et dans les rues on entend des voix crier: « Retirez les drapeaux! La nouvelle est fausse.» On comprend vite que la dépêche est l'œuvre d'un spéculateur. La colère succède à la joie. Des groupes furieux se portent, d'abord, vers la Bourse où ils brisent l'entourage de la corbeille dans laquelle agiotent les agents de change,- puis, vers le ministère de la justice où ils somment le chef du cabinet de se montrer. Les clameurs vont en redoublant. M. Ollivier paraît au balcon et annonce que l'auteur de l'odieuse manœuvre vient d'être arrêté. On se calme. Le soir, une proclamation des ministres aux Parisiens confirmait l'arrestation et promettait le châtiment du coupable. Le préfet de police publiait, de son côté, un avis portant que « l'auteur de la fausse nouvelle est sous la main de la justice. » Comment se nommait-il? Qu'en a fait la justice? On ne l'a jamais su. Tenait-il de trop près au gouvernement pour qu'on n'osât le nommer et le châtier? Ce fut en vain qu'on demanda l'annulation de toutes les opérations faites à la Bourse de ce jour-là. Le faussaire et ses complices jouirent impunément des sommes qu'ils avaient escroquées à la crédulité publique (1). Des foules compactes stationnaient devant les ministères de la guerre, de la justice et de l'intérieur; elles étaient résolues à y passer la nuit pour attendre les nouvelles. A une heure du matin, M. Chevandier de Valdrôme parut et lut cette dépêche : « Le corps du général Frossard est en retraite. Pas d'autres détails. » On se retira en proie à de funestes pressentiments qui ne tardèrent pas à se réaliser. Le lendemain, 7, on afficha sur les murs de Paris une proclamation ministérielle suivie de deux dépêches signées: NAPOLÉON, et d'une troisième adressée par le major général (1) Les fluctuations du 3 0/0 donneront une idée du chiffre énorme que ces sommes purent atteindre. La veille, qui était un vendredi, ce fonds d'État clôturait au cours de 66 fr. 70; le samedi, jour du mauvais coup, la fausse nouvelle le fit monter jusqu'a 69 fr. 15; et, à la Bourse suivante, celle du lundi 8, il descendit a 64 fr. 50. |