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CHAPITRE IV

E DEUX-DÉCEMBRE 1951

Les

La Journée du Deux-Décembre: Proclamations et parallèles. bases d'une Constitution. Louis Bonaparte se dément pour mentir. Fouché et M. de Maupas. naux indépendants.

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Suppression des jourAttitude du peuple et de la bourgeoisie.

Première réunion des députés républicains; leur première proclamation. Réunions au Palais législatif, chez M. Cré

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mieux et à la mairie du Xe arrondissement. Arrestation de 227 représentants; leur attitude. Arrêt de la Haute-Cour; expulsion des juges. Protestations. Louis Bonaparte et sa

cavalcade. Michel de Bourges au boulevard du Temple. Réunions chez MM. Beslay et Lafon; le comité de résistance.— Réunion chez Cournet. Un rendez-vous patriotique.

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Le Dix-huit Brumaire, le général Bonaparte commit, du moins, son crime en plein jour; il se présenta, lui-même, dans les deux Assemblées. Laissant, à une certaine distance les grenadiers qui le suivaient, il s'exposa aux apostrophe: et aux menaces des défenseurs de la Constitution qu'il vou lait détruire, et un fer vengeur de la sainteté des lois mé prisées aurait pu le frapper, s'il se fût trouvé là un homm capable de mettre en pratique la maxime vieille comm le monde et que Montesquieu a proclamée en ces termes « Le crime de César qui vivait dans un gouvernement lib n'était-il pas hors d'état d'être puni autrement que par l' sassinat? Et demander pourquoi on ne l'avait pas po1

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par force ouverte ou par les lois, n'était-ce pas demander raison de ses crimes? (1) »

Le Deux-Décembre, Louis Bonaparte fait enlever, un à un, en pleine nuit et dans leur sommeil, les défenseurs de la Constitution qu'il veut renverser. Pendant que des aventuriers, des policiers et des soldats surveillent ou exécutent l'enlèvement des citoyens dont le Peuple eût, peut-être, écouté la voix, et d'officiers supérieurs dont la probité influente eût pu ramener à l'honneur les régiments qu'on en détournait, lui, le parjure, le traître, cache ses inquiétudes et ses peurs au fond de son palais protégé par trente-deux mille soldats.

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L'homme du Dix-huit Brumaire n'avait, du moins, ayant son crime, attaché son nom qu'à des exploits glorieux. Sa campagne d'Italie avait été une succession de victoires couronnées par des traités avantageux pour la France; celle d'Égypte, dont le résultat devait être si désastreux, ne se révélait encore que par le retentissement des batailles gagnées par nos soldats dans ce pays lointain. Tant de succès exclusivement attribués au génie militaire de ce général l'entouraient d'un prestige qui éblouissait le Peuple et l'armée. Dédaignant les voluptés au milieu desquelles s'avilissait le chef du Directoire, il avait, depuis près de cinq années, vécu sur les champs de bataille. Et puis, ni le Conseil des Anciens, ni celui des Cinq-Cents n'avaient su préserver ia fortune publique des dilapidations auxquelles Barras la livrait pour entretenir ses débauches. Tout cela favorisaft l'accomplissement de l'attentat et pouvait, aux yeux de certaines gens d'accommodement facile, en atténuer la criminalité.

L'homme du Deux-Décembre, au contraire, n'était connu que par ses équipées scabreuses et folles avant son élévation au pouvoir et par ses machinations contre la République,

(1) Grandeur et décadence des Romains.

depuis qu'il en était devenu le gardien. Pendant les deux années qui précédèrent son crime, il ne songea qu'aux plaisirs sensuels dont il fut toujours l'esclave, et à brigander une dictature qui lui permettrait de s'abandonner à eux plus commodément en lui facilitant les dilapidations et les abus: Lorsqu'on le croyait occupé des grandes affaires de l'État, il ne songeait, en réalité, qu'aux refus très-secs de telle actrice en renom et aux moyens à employer pour prendre avec telle autre une éclatante revanche. Les années 1850 et 1851 ont été celles où les favorites de théâtre ont régné le plus sur le Prince-Président. Plus tard, les dames du monde allaient avoir leur tour (1). »

Pour justifier son guet apens, le Bonaparte du Dix-huit Brumaire accusa l'Assemblée d'avoir, trois fois, violé la Constitution et de tramer des complots aux dangers desquels il pouvait, seul, arracher le pays. Dans une proclamation aux Français, il se posai! envictime que d'imaginaires conspirateurs visaient, et en défenseur de la République, pour le salut de laquelle il avait déchiré la Constitution.

Servile imitateur de cette justification fallacieuse, le Bonaparte du Deux-Décembre adresse aux Français une proclamation dans laquelle il accuse l'Assemblée «d'être devenue un foyer de complots, d'attenter aux pouvoirs qu'il tient directement du Peuple, d'accumuler sur lui les provocations et les outrages, de ne pas respecter le pacte fondamental (2). » Cette proclamation était rédigée avec une habile duplicité. Aux Parisiens dont le républicanisme est aussi ardent que leur aversion pour les royalistes des deux branches bourbonniennes, il présente son acte criminel comme étant

(1) Mémoires secrets du dix-neuvième siècle.

(2) La Constitution avait, il est vrai, été violée deux fois, le 8 mai 1819, dans son article 5, par le renversement de la république romaine, et le 31 mai 1850, dans l'une de ses dispositions fondamentales, par la mutilation du suffrage universel. Mais ces deux violations de la loi furent l'œuvre commune de Louis Bonaparte et de la majorité royaliste de l'Assemblée.

exclusivement dirigé contre « ces hommes qui ont perdu deux monarchies ils veulent, ajoute-t-il, me lier les mains afin de renverser la République; mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France: LE PEUPLE, »>

Afin de donner une apparence de vérité à ces mensonges agréables au Peuple dont ils flattaient la haine, Louis Bonaparte les accompagne d'un décret dissolvant l'impopulaire Assemblée, rétablissant le suffrage universel, et convoquant le Peuple français dans ses comices à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant. La frauduleuse proclamation disait : « Je soumets à vos suffrages les bases fondamentales d'une Constitution que les Assemblées développeront plus tard. Ce système créé par le Premier Consul, au commencement du siècle, a donné à la France le repos et la prospérité; il les lui garantirait encore. »

Dans mon récit de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, j'ai dit quelle étrange sorte de repos et de prospérité goûta la France avec un pareil système. Quant à cette seconde Assemblée que la Constitution proposée à la sanction populaire nomme un Pouvoir pondérateur formé de toutes les illustrations du pays, on sait ce que ce Pouvoir fait du pacte fondamental et des libertés publiques dont il est constitué le gardien; on n'a pas oublié la flétrissure que Napoléon Ier imprima sur ces troupeaux de mercenaires tout brodés, rampant dans les fanges où ils trouvent leur pâture, léchant indistinctement les mains qui la leur jettent, donnant toujours l'exemple des ingratitudes et des lâchetés, se hâtant de renier et d'insulter le maître sous les pieds duquel ils mettaient leur tête, dès que l'adversité lui ôte le moyen de les gorger encore de faveurs et d'or.

De même que le Bonaparte du Dix-huit Brumaire irrita l'armée contre les patriotes en les traitant de « factieux et de brigands qu'il fallait mettre à la raison, » de même le

Bonaparte du Deux-Décembre excite par d'hypocrites condoléances les soldats contre la population de Paris : « En 1830 comme en 1848, leur dit-il, on vous a traités en vaincus. » Cet homme faussait tout, morale et vérité, histoire et serment, En 1830 comme en 1848, le Peuple ouvrit ses bras à l'armée; le soldat, l'ouvrier et le bourgeois fraternisèrent. L'homme du Deux-Décembre le savait bien; mais, pour en venir à ses fins, il ne se laisse arrêter par aucune impudence; il s'inflige des démentis à lui-même; ainsi fait-il dans sa proclamation à l'armée, proclamation où l'ingratitude va de pair avec l'imposture; il y présente aux soldats comme outrageante pour eux la révolution de Juillet que tous les Bonapartes saluèrent à pleins transports comme la vengeresse de leurs griefs contre les Bourbons, et la révolution de Février que son insulteur d'aujourd'hui remerciait, avec effusion et en lui offrant un serment de reconnaissance, « de lui avoir fait retrouver la Patrie et les droits de citoyen après trente-trois années de proscription et d'exil (1). »

Mais le voici qui comble la mesure: après avoir suggéré à l'armée de faux sujets de plainte contre les deux révolutions dont sa famille et lui ont retiré tant d'avantages et de contentement, il feint de s'apitoyer sur le sort de ces pauvres soldatset«il associe leur histoire avec la sienne : il y a, leur dit-il, entre nous, dans le passé, communauté de GLOIRE et de malheur. »

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son

Quel était donc son apport dans cette communauté de gloire? Son équipée de Strasbourg pour laquelle il demanda pardon à Louis-Philippe qui le gracia, ridicule débarquement, avec le petit chapeau et un aigle apprivoisé, sur la plage de Boulogne où son pistolet visant un capitaine qui le traitait de conspirateur et de traître brisa a mâchoire d'un soldat, sa grotesque évasion de

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ses passes histrioniques dans le tournoi d'Eg

(1) Discours de Louis Bonaparte à l'Assemblée constituante, 26 septembre 1818.

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